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Les Verbes

Yann Marguet: «Penduler»

Yann Marguet revient sur la catastrophe la plus importante depuis le Covid-19: le trou de Tolochenaz qui a causé de fortes perturbations entre Lausanne et Genève. Au point que, selon les CFF, les voyages non-essentiels entre les deux capitales sont à éviter. Mais l'humoriste en est certain: personne ne fait le trajet chez l'ennemi pour le plaisir.

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Yann Marguet

L'humoriste et comédien romand Yann Marguet.

Valentin Flauraud

L’actualité est volatile. Que ce soit les guerres, les compétitions sportives, les morts célèbres, les scandales financiers ou les ours blancs trop maigres flottant sur des morceaux de banquise, j’ai toujours vu l’info comme un prétexte à causer de trucs entre le fromage et le dessert. «Ah nan, mais c’est affreux ce qui se passe au Yémen, en ce moment… Tu reveux un peu de tilsit?» Et puis soudain, il y a l’Evénement. Le vrai, le grave, celui qui vous fait quitter le domaine du «fun fact» pour impacter votre vie de plein fouet, celui qui vous rend vulnérable, qui vous permet de réaliser en un instant la fragilité du monde dans lequel vous évoluez: pendant deux jours, y avait plus de trains entre Lausanne et Genève.

Si l’on mesure la puissance d’une nouvelle au nombre de notifications «push» du journal 20 minutes qu’elle génère, alors qu’on se le dise: c’est la catastrophe la plus importante qui ait frappé la Romandie depuis le Covid-19. Nos Chemins de fer fédéraux, si conspués au sein de nos frontières mais dont les dysfonctionnements sont habilement tus lorsqu’il s’agit de se la péter devant un Français et sa SNCF toute pourrie, auront fait clignoter nos téléphones portables de façon stroboscopique pendant une poignée de jours et c’était quelque chose. Qui eût cru que l’équilibre de l’Arc lémanique tout entier reposait sur la présence ou non d’un trou à Tolochenaz, nous offrant du même coup une occasion de réinterpréter la maxime généralement utilisée pour décrire la théorie du chaos: «Un trou à Tolochenaz peut-il provoquer un vide abyssal dans l’ambiance de travail entre Lausanne et Genève?»

La réponse est oui. L’annonce «Un service de bus a été mis en place pour assurer la liaison» suffit à le savoir immédiatement. Qui s’est déjà retrouvé debout au milieu des vitres embuées d’un car postal plein à craquer entre Morges et Allaman après avoir lutté pour sa survie dans l’entonnoir de sauvageons se pressant contre la porte électropneumatique du véhicule comme s’il s’agissait du dernier canot de sauvetage du Titanic le sait: c’est pas ce jour-là qu’on sera nommé au titre d’employé de l’année. Bien penduler, c’est important. Et ce ne sont pas celles et ceux qui ont ressorti la Volvo à cette occasion pour arriver au travail une douzaine d’années plus tard qui me diront le contraire. Les liaisons dangereuses, ça marche en bouquin mais pas entre Lausanne et Genève.

Et voilà qu’on apprenait lundi que la situation ne serait totalement rétablie que deux semaines plus tard. On reste en Suisse, y’a pas le feu au trou. En attendant, ça roule plus lentement sur le tronçon perforé de Toloch’ – au passage, a-t-on vérifié qu’Audrey Hepburn était toujours dans sa tombe? – et les CFF déconseillent les voyages «non essentiels» entre Lausanne et Genève. L’inimitié entre les deux capitales étant ce qu’elle est, je me demande amusé quel Lausannois ou quelle Lausannoise a déjà fait le trajet chez l’ennemi pour le plaisir (et vice-versa). Pour ma part en tout cas, les deux odyssées de l’extrême que j’ai dû faire la semaine dernière dans la Cité de Calvin, c’était pas pour faire des selfies devant le Jet d’eau. Proposition: prendre la notion de «non essentiel» avec laquelle on nous bassine depuis bientôt deux ans et la carrer dans le «trou de Tolochenaz» pour le reboucher. Vous me remercierez plus tard.

>> Lire aussi la précédente chronique de Yann Marguet: Yann Marguet: «Piétiner»

Le cataclysme aura au moins eu comme bienfait de mettre en évidence la précarité du segment le plus emprunté de Suisse romande (dans tous les sens du terme) et par extension la merdicité générale du réseau de transports entre les deux plus gros bleds de la région. «Prenez le train», qu’ils disaient. «D’accord, mais c’est quand même vachement cher et ça marche pas toujours très bien.» Puisse donc ce «petit accroc» rappeler aux puissants Suisses alémaniques que, même si on ne sera jamais aussi beaux et importants qu’eux, il existe d’autres axes que celui qui relie Berne à Zurich et Zurich à Berne. J’ai bon espoir, cela dit. Eux, ils aiment quand ça roule et là, ça roulait pas. Bonne semaine.

 

Par Yann Marguet publié le 17 novembre 2021 - 08:03