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Les verbes

Yann Marguet: «Se royaumer»

Cette semaine, Yann Marguet peu avare en néologismes, nous livre sa dernière trouvaille. A point nommer pour traiter des derniers scandales buckinghamesques.

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YANN MARGUET ENFANCE

Yann Marguet.

Valentin Flauraud

D’accord, ce verbe n’existe pas vraiment, il est souligné en rouge par Microsoft Word. Ça me fait toujours un petit pincement au cœur, quand un mot est incriminé de la sorte par un correcteur automatique d’orthographe. Que ce soit pour un classique fsgshggs (ou la vengeance des doigts sur le clavier quand l’inspiration peine à venir) ou un bête nom de famille, tel que Jacquottet, la vision de ce zigzag carmin tombant comme un couperet m’attriste. «Va-t’en! Tu n’es pas le bienvenu ici!» semble-t-il dire à de pauvres mots qui ne demandent qu’à vivre. Pourtant, dans mon monde, se royaumer, ça se dit. Ça signifie «se croire chez soi», «ne pas se gêner», «se prendre pour le roi de la place». Et dans cette chronique, ça me permet surtout d’introduire en toute digression le fait que j’avais envie de parler de la royauté britannique sans trop savoir comment commencer. C’est maintenant chose faite.

Vous m’auriez demandé ce que je pensais des époux exilés du Sussex il y a six mois, je vous aurais répondu: «Je m’en bats les fricandeaux, de ces deux couillons.» Dans l’intervalle, j’ai vu la série The Crown, retraçant l’histoire de la famille royale d’Angleterre, de l’accession au trône de Babeth II à nos jours, et tout a changé. Je suis maintenant un converti. Je m’en bats désormais les fricandeaux avec passion. Je comprends tout. L’attachement des Anglais à leur reine, l’engouement mondial pour les frasques de celles et ceux qui l’entourent, la dramaturgie d’une lignée de conquérant·e·s devenu·e·s au fil du temps stars des tabloïds et visages sur assiettes souvenirs. C’est fascinant. Bon Dieu, je pourrais même feuilleter Point de vue chez mon gastroentérologue en attendant les résultats de ma coloscopie, c’est dire! L’acheter, non. Faut pas déconner.

Quel fardeau d’arriver au monde en étant déjà «quelque chose». De ne pas être bébé mais «bébé princier». Certes, nous portons toutes et tous en passant la grande porte de l’existence un bagage génétique, une histoire de famille, des privilèges et des désavantages, mais le poids de la royauté, qui plus est souffrante et en quête de sens comme celle de Grande-Bretagne, ça a l’air coton! «Keep calm and carry on», comme ils disent. Bien sûr, un réflexe relativiste très humain voudrait que l’on compare leurs problèmes à ceux des Somaliens et qu’on se foute bien de leur gueule, mais vous le savez comme moi: quand les pâtes de la cafétéria sont trop cuites, on pense d’abord au fait que ça nous a coûté huit balles nonante plutôt qu’à la faim dans le monde. Chacun ses problèmes.

Chacun ses problèmes, et à les voir ainsi étaler leur vie privée dans une «interview choc» vendue à un prix sur lequel même la BBC n’a pu s’aligner, à balancer «bombe» sur «bombe» sur une famille avec laquelle on aimerait plutôt les imaginer faire un Sunday roast en rigolant, le tout devant une animatrice milliardaire exagérément compatissante pour faire honneur à l’entretien du siècle (à ce prix-là, il faut que ça ait de la gueule, quand même)… C’est difficile de les envier. Ajoutez à cela le fait que la meute débattra, dans les minutes qui suivent la diffusion, du degré de véracité des pensées suicidaires de la princesse et le moins qu’on puisse dire, c’est que les rois ne se royaument pas beaucoup.

Ne les connaissant pas personnellement si ce n’est au travers du prisme d’un feuilleton télé (qui me donne tant d’amour pour eux, cela dit), je me garderai bien de me prononcer sur qui est raciste et qui ne l’est pas, qui ment et qui dit la vérité, qui est méchant et qui est gentil. Je me contenterai de contempler leurs vies folles, leurs destins brisés et leur façon si tragique et pathétique d’exister. Quant à savoir qui existera le plus longtemps dans l’histoire qui agite les médias en ce moment, j’ai envie, à la manière d’une ordalie, de m’en remettre au jugement divin de mon correcteur automatique d’orthographe. Voyons cela. Harry. Meghan. Et me voici de nouveau triste.

Par Yann Marguet publié le 17 mars 2021 - 08:37