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Yann Marguet a trouvé sa voie malgré lui

L’humoriste vaudois de 35 ans joue à guichets fermés et sa tournée reprend dès le 15 janvier prochain. Qui est vraiment ce drôle de barbu portant bonnet? En revenant sur les traces de son enfance à Sainte-Croix, il nous livre une partie de ses secrets.

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VALENTIN FLAURAUD / VFLPIX.COM

On le retrouve à Sainte-Croix où il a grandi. Yann Marguet attaque une belle part de gâteau avec un chocolat chaud nappé de chantilly. Avant de retourner sur les pas de son enfance, évoquée dans le triomphal Exister, définition, tout premier spectacle de sa carrière, l’humoriste prend des forces dans un café de la rue Centrale. Sa mémoire olfactive a commencé à travailler dès sa descente du train. «L’air a une odeur particulière ici», nous fait remarquer le barbu au bonnet blanc. Ce matin, celui-ci est assorti à ses Adidas choisies dans sa collection de baskets. Il en possède 300 paires rangées méthodiquement. «Ça finit la silhouette», dit-il. Cette passion le renvoie au film Retour vers le futur 2 où l’on découvre les Nike Air Mag autolaçantes de Michael J. Fox, alias Marty McFly.

Marguet est ainsi ponctué des pieds à la tête. Il précise même: «D’ailleurs, j’ai des cheveux, mais je les rase.» Son inspiration capillaire? «C’est Jeff Bridges dans le rôle du méchant Obadiah Stane, l’ennemi d’Iron Man.» Alliant le geste à la parole, il nous fait découvrir la photo dans son iPhone. Le personnage en impose effectivement.

A l’extérieur du bistrot, la température affiche 4°C et ce n’est pas vraiment Hollywood. Du quincaillier à la salle de cinéma, la commune de Sainte-Croix semble s’être figée dans le temps. C’est plutôt commode pour prendre la direction des souvenirs. Ici, comme partout en Romandie, Yann Marguet, 35 ans, c’est désormais quelqu’un. Mais qui au juste? Pour lever le mystère, nous filons à son ancien domicile, avenue des Gittaz.

Les locataires actuels, des journalistes britanniques à la retraite, avouent que la veille ils n’avaient encore jamais «entendou» parler de ce type au sweat rouge. «Mais notre fille est très fan!» assurent-ils. Nous voilà rassurés. L’accueil est jovial, on se tutoie. Yann n’a pas le temps d’enlever son manteau qu’il éclate en sanglots. Ses hôtes ne comprennent pas ce qui se joue sous leurs yeux. Ils ignorent que leur visiteur vient de perdre son père. Et soudain l’émotion le submerge. En quelques secondes, il est redevenu un petit enfant.

Son papa, c’était René Marguet, disparu subitement le 5 octobre dernier à 92 ans. Autrefois, devant la porte d’entrée, ici même où il se tient depuis quelques secondes, ils jouaient tous les deux aux sumos. Le petit bonhomme de 5 ans en sous-vêtements, les mains sur les genoux, affrontait le solide sexagénaire. «Il avait 57 ans quand je suis né. J’ai vite compris à l’école qu’il était plus âgé que les autres. J’ai toujours eu l’angoisse de le perdre. Et j’avais fini par croire qu’il était éternel.»

Sur scène, Yann Marguet évoque brièvement son géniteur, «myope des narines», sa façon de dire qu’il portait des lunettes sur le nez. L’enfance est le point de départ du spectacle. Elle le ramène à ses premières peurs et forcément aux nôtres. Une nuit, Yann s’est perdu dans son lit. «Oui, ça m’est vraiment arrivé. J’étais prisonnier des draps, la tête du côté de la mauvaise extrémité. J’ai hurlé à la mort en appelant «maman!»

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«Je devais avoir 5 ans sur cette image. Avec mon père, devant la porte d’entrée de l’appartement, nous jouions ensemble aux sumos.» DR

L’anecdote fait mouche à chaque fois. L’an dernier, sur 60 représentations, sa mère est venue le voir à plusieurs reprises. Lorsqu’elle est dans la salle, il l’interpelle: «N’est-ce pas maman?» Et Jacqueline Marguet répond du tac au tac: «Oui mon chéri!»

Avant de devenir le tonitruant barbu de Couleur 3, celui des «Orties» avec son premier sketch balancé le 14 février 2016 sur le thème de la Saint-Valentin ou encore le grivois Fusil McCul de la chronique «Sexomax», Yann Marguet a été un petit garçon. «Totalement insouciant de la réalité. Je vivais et je vis encore l’instant présent. Je suis incapable de me projeter et je ne suis pas nostalgique du passé.»

Après le gymnase, il ignorait ce qu’il allait faire de sa vie: «Je ne savais même pas ce qu’était l’université. J’étais dans une sorte d’indifférence léthargique à tout.» Il a fait droit, puis criminologie avant de passer assistant. En tout, ça a duré dix ans. Puis il a bifurqué vers la Haute Ecole pédagogique, pensant devenir enseignant, pour finalement tout arrêter. Il est comme ça, il stoppe et change de direction. L’humour s’est pointé un peu par hasard. «A Sainte-Croix, nous n’avions pas les infrastructures qui m’auraient permis de faire partie d’une ligue d’improvisation. Par rapport à d’autres, j’ai perdu dix ans.»

Côté écriture, il avait exercé sa plume au Lausanne Bondy Blog et, un beau jour, Rouge FM lui a proposé des chroniques. Quant à retrouver son tout premier trait d’esprit, il a été involontaire et il nous en fait la démonstration dans la salle de bains parentale. «Je me hissais sur un escabeau pour atteindre le lavabo et le miroir: «Monte là-dessus, tu verras Montmartre», me répétait ma mère. Un jour, je lui ai répondu un peu fâché: «Tu sais quoi? Il est moche, ton martre!»

En passant au salon, on aperçoit la nappe de brouillard monter, prête à avaler Sainte-Croix. Yann caresse le pourtour de la cheminée en bois et touche son enfance du doigt. «La grille comme les outils, rien n’a changé.» Mais l’heure avance et le locataire doit s’éclipser. Il est devenu guide au Centre international de la mécanique d’art (le CIMA). Jolie coïncidence: Marguet lui apprend que c’est son père qui a créé le célèbre musée et ses automates. «Il a été syndic de Sainte-Croix et directeur financier d’Hermes-Precisa International.» Lorsque l’usine a fermé, René Marguet a misé sur le tourisme pour sortir la région sinistrée de la crise. Comme le rappelait le quotidien régional La Presse, René Marguet, alors député radical au Grand Conseil, avait réussi à convaincre Jean-Pascal Delamuraz, encore conseiller d’Etat chargé de l’Economie, de faciliter l’obtention d’un permis d’établissement pour Alain Prost.

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A l’avenue de la Gare, à deux pas de l’école, au cinéma Royal, Yann Marguet, confortablement installé dans la salle, déguste un Cornetto à la fraise en se remémorant «Titanic», le film qui l’a vraiment marqué. VALENTIN FLAURAUD / VFLPIX.COM

Cette figure du canton de Vaud a été un papa aimant et le premier public de son fils. «Avec lui, on regardait Le Bébête Show. Je reproduisais la voix des personnages.» Notamment la grenouille, mélange de Kermit, le batracien du Muppet Show, et du président Mitterrand. «A la maison, lorsqu’on recevait des invités, il m’appelait et je faisais le spectacle.»

Caché derrière sa barbe, Marguet se dévoile par bribes. Depuis sept mois qu’il joue à guichets fermés, il découvre à la fois le métier de la scène, le succès et la notoriété. Sa force expressive est frappante. Dans la même seconde, il est capable de vous faire hurler de rire et de vous inquiéter. Il pourrait incarner un juge ou un assassin. Frédéric Recrosio, son metteur en scène, l’a parfaitement capté. Yann Marguet l’admirait bien avant qu’ils ne collaborent. «Son spectacle Rêver, grandir et coincer des malheureuses a été pour moi une révélation.»

Ensemble, ils ont élagué, soupesé chaque phrase, chaque effet, comme on règle un moteur. «Si une vanne un peu facile fait mouche à coup sûr, il ne faut pas forcément la garder.» Marguet est un diesel. Lent mais sûr, il pourrait aller très loin. «Demain, je pourrais décrocher la médaille du roi du saucisson ou une Palme à Cannes.» Il le dit sans s’étonner et sans se vanter. «C’est comme si tout ce que j’avais fait auparavant menait à ce que je récolte aujourd’hui. Tout prend un sens. Je suis enfin moi-même.»

Plébiscité chez nous, il a le souci d’aller se faire entendre ailleurs. «En 2020, je vais explorer la France, ses opportunités.» En décembre dernier, invité pour les 30 ans du Montreux Comedy Festival, il s’est frotté aux humoristes tricolores sous la houlette de Kev Adams. «Ce soir, je suis le seul qui n’a pas pris de coke», balançait-il d’entrée. Sa vanne comme sa silhouette lui ont rapidement permis de se démarquer et son sketch sur l’année 536, élue la pire de l’humanité, a fait la différence. Marguet évolue dans son univers personnel, à la fois absurde et émouvant, là où les autres, adeptes du stand-up, font des vannes stéréotypées à une cadence de mitraillette, le plus souvent en dessous de la ceinture.

Yann Marguet
Au Collège de la Poste, Yann Marguet semble préparer un mauvais coup. «J’avais de la facilité à l’école, alors je babillais», se souvient-il. Valentin Flauraud

Son esprit d’observation, le Romand l’a aiguisé dès l’école ou à la paroisse catholique Saint-François-de-Sales. C’est là qu’il retrouve Marie, une amie d’enfance. Yann et elle ont fait toute leur scolarité et leur première communion ensemble. Ils rient comme des gosses devant les images qu’elle a apportées. «Mon père était le photographe de Sainte-Croix», dit-elle. Sur les photos d’époque, on repère Yann au premier coup d’œil: le seul qui grimace, c’est lui. Avec leurs copains, ils ont dansé pour la première fois, bu de l’alcool en cachette, fumé des cigarettes et leurs premiers joints. «Ça sent bizarre», notait le curé. Ils se souviennent de sa blague. «Il se présentait en disant: «Jean Frund», qu’il prononçait Jean Frein. Et ajoutait: «Jean Frein quoi? J’enfreins la loi!»

Guitare en main, Yann Marguet reprend dans son show Evenou shalom alerhem, qu’il chantait ici autrefois. «Le personnage de Fabienne que je campe, cette grenouille de bénitier toujours joyeuse, n’a pas existé. Mais c’est un mélange de plusieurs personnages bien réels.»

Petit blond aux yeux bleus, «Yanou» était bon élève et il savait charmer son monde. «Il pouvait dire les pires horreurs, tous les profs se marraient. Avec lui, ça passait», confie Marie. L’angelot n’avait pas son pareil pour épingler les autres. «Chacun avait droit à un sobriquet vachard», renchérit Marie, seule épargnée. Une malheureuse avait été baptisée «le cochon qui pue le poisson».

A l’adolescence, au cinéma Royal, salle vintage dont les tickets sont encore en carton multicolore, ils allaient retrouver leur pote projectionniste. «Je me souviens de Titanic», dit Marguet, rêveur, en dégustant un Cornetto à la fraise comme au bon vieux temps. A deux pas de là, dans la cour de récré de son ancienne école, les ados, plutôt clients de l’humour de Norman fait des vidéos sur YouTube, ignorent encore qui est Marguet. Une chose est sûre, c’est bien ici qu’il a ressenti ses premiers élans amoureux. L’amour, le vrai? «Ça s’est fait plus tard, à 19 ans.» Il se souvient d’une très jolie fille de l’établissement. «Elle était dans mon top 5. Un jour, elle s’arrête dans le couloir et me demande: «Tu veux boire un verre avec moi?» Marguet, conteur hors pair, en parle comme si ça venait d’arriver: «Au même instant, un rayon de soleil est venu caresser son visage. J’ai aperçu un duvet de moustache blond et je me suis entendu lui répondre: «Non.» J’avais encore une conception idéalisée de ce que serait ma copine, de l’amour, du couple et de la famille…»

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Marie et Yann ont fait toute leur scolarité obligatoire à Sainte-Croix et même leur première communion ensemble. VALENTIN FLAURAUD / VFLPIX.COM

Encore un dernier crochet devant le magasin de jouets dans lequel il achetait ses Tortues Ninja évoquées dans Exister, définition et l’on se retrouve à la hauteur d’un croisement. «Avant de bifurquer pour renter chez nous, ma mère a dû me dire un jour que c’était la seule présélection de Sainte-Croix. Et moi, j’en avais fait une véritable fierté.» Il y a quelques semaines, avant notre rendez-vous, il avait même imaginé la photo. Yann se voyait allongé sur la route à l’endroit exact du changement de voie. Qu’à cela ne tienne, pour lui on bloque la circulation. Il s’allonge quelques secondes et voilà: sur l’image, on le découvre en rêveur insouciant à l’abri des camions et des voitures, de tout danger. L’énorme flèche lui indique symboliquement la direction à prendre. Celle de sa vie et de sa carrière? Oui, comme si tout le prédestinait, sans qu’il s’en préoccupe, à ce qui il est devenu aujourd’hui.


Par Dana Didier publié le 9 janvier 2020 - 08:34, modifié 18 janvier 2021 - 21:07