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A la découverte du saumon fumé des Tsars dans le Toggenburg

Depuis 1978, c’est dans une ferme du Toggenburg (SG) que le saumon Balik est fumé pour séduire les fins palais du monde entier. Prestige, proximité et conte de fées.

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Norvégiens, écossais ou suisses, les filets fumés d’Ebersol offrent une chair ferme d’une qualité unanimement reconnue, jusqu’à Tokyo.

Julia Leijola

Ebersol. Drôle de nom! C’est celui d’un village serti dans le vert intense du Toggenburg, une région champêtre et vallonnée du canton de Saint-Gall. Autrefois, cette modeste station thermale bordait une route principale, déviée depuis longtemps. Aujourd’hui, le hameau aux fermettes typiques semble donc aimablement assoupi sur le chemin des pèlerins d’Einsiedeln. Mais cette Belle au bois n’est pas aussi endormie qu’il n’y paraît. Son air de calendrier de l’avent cache d’étonnants secrets. Alors ouvrons l’une de ses portes en bois vermoulu…

Celle de ce vénérable rural isolé du reste du village, par exemple. Figurez-vous que c’est là, entre forêts mystérieuses et cours d’eau sauvages, que sont fumés jusqu’à 110 000 saumons chaque année! Et pas n’importe quels saumons. Cette ferme est la clé de voûte de la production des prestigieux produits estampillés Balik. Entre les mains de la société Caviar House & Prunier, cette marque s’est forgé un renom international. Ses élégants emballages agrémentent les présentoirs des épiceries fines de Paris, de Dubaï ou de Tokyo. Ses produits sont utilisés par les plus grands chefs, comme Philippe Chevrier (Domaine de Châteauvieux, Satigny, 19/20), Rolf Fliegauf (18/20, Ecco, Ascona) ou Stefan Heilemann (Widder, Zurich, 18/20).

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Sertie dans le paysage magique du Toggenburg (SG), cette ferme trois fois centenaire abrite un fumoir à saumons unique. 

Julia Leijola

Il faut dire que, à Ebersol, c’est d’une «manufacture de saumons» qu’on parle, pas d’industrie. Et il en sort des produits de niche, d’une qualité qui fait l’unanimité. Car, ici, tout est fait à la main, dans les règles de l’art. Et une partie des saumons fumés dans ce lieu inattendu sont même suisses. Les frétillants poissons ne remontent évidemment plus le Rhin et ses affluents, comme autrefois. Mais ils proviennent d’un élevage helvétique, celui de Lostallo, dans les Grisons. Les autres, la majorité, arrivent directement de Norvège et d’Ecosse. Et comme la route est longue jusqu’à Ebersol, ils sont congelés pour le voyage, le meilleur moyen d’assurer la qualité du produit final. Car, ici, il n’y a ni gare, ni autoroute. Et l’aéroport de Kloten est à une heure de route… Mais alors, pourquoi avoir choisi Ebersol comme lieu de production?

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Lavés, salés, fumés, les poissons partent ensuite dans les épiceries fines et les grands restaurants du monde entier. La cuisine? Elle sert à préparer des repas lors de soirées privées à la ferme.

Lenaka

Pour le savoir, ouvrons une nouvelle porte. Celle de l’histoire qui nous dévoile une fable liée à la Russie des tsars. La fable qui a fait d’Ebersol le milieu du monde des filets de saumon fumé parmi les plus prestigieux de la planète.

Tout commence dans les années 1970, lorsque le comédien zurichois Hans Gerd Kübel décide de changer de vie. Alors que d’autres vont élever des chèvres en Ardèche, lui s’installe dans cette ferme, à Ebersol, pour y vivre de ses plantations. Mais l’utopie a ses limites, légumes et poules, puis bovins, ne lui permettent pas de tourner. Alors il tente le saumon fumé. Mais il lui manque le savoir-faire nécessaire pour que son produit soit exceptionnel. C’est finalement son métier d’acteur qui lui ouvrira indirectement la voie du succès. Comment? En menant notre homme à Berlin, la ville encore divisée par un mur, mais où se rencontraient l’Est et l’Ouest.

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Les détails de la méthode de fumage demeurent secrets. Mais ce qui fait la différence, susurre-t-on, c’est la qualité de l’eau et le traitement artisanal des poissons: ici, on parle de «manufacture».

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C’est là que Kübel fait la connaissance d’un Russe, Israel Kaplan. Et ce dernier lui confie qu’il est le petit-fils du dernier fournisseur de saumon fumé de la cour impériale de Russie. Mieux, il est le gardien du secret de leur fabrication. Et, comme dans un conte de Noël, cette méthode, il est prêt à la lui céder. Ni une, ni deux, Kübel revoit sa copie et adapte ses procédures de fumage du saumon. Cette fois, le succès est au rendez-vous, avec le prestige des tsars en toile de fond.

Ce succès reste pourtant modeste au regard de ce qu’il est devenu aujourd’hui. Il y a une vingtaine d’années, c’est une nouvelle rencontre qui va permettre de booster la notoriété des saumons fumés à Ebersol. Celle de Hans Gerd Kübel et de Peter Rebeiz, à la tête de Caviar House & Prunier, spécialiste, on s’en doute, du caviar, mais aussi des produits de la mer. Tous deux sont artistes et entrepreneurs à la fois. Et, comme dans un nouveau conte de Noël, le premier finit par transmettre la ferme et le secret de la préparation artisanale des saumons au second, qui cherchait à ajouter à son assortiment le nec plus ultra du saumon fumé.

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A Ebersol, c’est d’une «manufacture de saumons» qu’on parle, pas d’industrie.

DR

Mais enfin, ce secret de fabrication, quel est-il? Comme c’est un secret, la porte du fumoir reste close. Mais ce que l’on sait, c’est qu’il s’agit d’un processus lent, manuel et peu agressif. Que le résultat semble étroitement lié à la qualité de l’eau d’Ebersol: nous vous l’avons dit, le village était autrefois connu pour ses eaux bienfaisantes! Ce que personne ne dit, c’est si l’élément déterminant est lié à l’activité artistique des propriétaires successifs (Kübler était acteur, Rebeiz est musicien et il a installé un studio d’enregistrement dans la ferme) ou à la minutie des 24 collaborateurs qui baignent, fument, tranchent et assaisonnement les précieux saumons. Qu’importe! La fable est belle à raconter, la touche de mystère la rend encore plus croustillante et, dans l’assiette, ces saumons à l’accent du Toggenburg sont objectivement excellents.

Par Knut Schwander publié le 10 décembre 2021 - 15:01