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Interview

Affaire Credit Suisse: «La réputation de la Suisse n’a pas souffert»

La conseillère fédérale Karin Keller-Sutter est la marraine d’un saint-bernard nommé Zeus. Lors d’une visite à ce grand chien, elle revient sur ses premiers mois en tant que ministre des Finances. Sereine, elle explique pourquoi elle fait confiance à la nouvelle UBS.

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Karin Keller-Sutter, ministre des Finances

Prêt pour l’excursion avec sa marraine! Le saint-bernard Zeus s’apprête à prendre le bus pour Plan-Cerisier, au-dessus de Martigny (VS).

Nicolas Righetti/Lundi13

«Mais qu’il est mignon!» Tenant le petit chiot saint-bernard dans ses mains, Karin Keller-Sutter, 59 ans, laisse transparaître son émotion. En cette journée de fin d’été, la conseillère fédérale s’est rendue à la Fondation Barry, à Martigny (VS), pour rendre visite à Zeus, le saint-bernard dont elle est la marraine. L’occasion de découvrir les sept chiots nés il y a deux semaines. Zeus attend dehors, dans le chenil. Lorsque la Saint-Galloise approche, l’animal de 77 kilos lui saute joyeusement au cou. KKS caresse la tête du mâle de 4 ans. «Quand Zeus tire sur la laisse, on ne peut plus rien faire, dit-elle en riant. Mais il est quand même plus facile à maîtriser que certains politiciens. Et probablement aussi que certains banquiers!» Lors d’une balade avec Zeus à Plan-Cerisier, au milieu des vignes, Karin-Keller Sutter revient sur ses huit premiers mois en tant que ministre des Finances.

- Il y a déjà eu UBS, Swiss et maintenant Credit Suisse. Quelle sera la prochaine entreprise suisse à devoir être sauvée?
- Karin Keller-Sutter:
Nous n’avons pas sauvé Credit Suisse. Le Conseil fédéral, l’autorité de surveillance financière et la Banque nationale suisse ont tout mis en œuvre pour éviter que la Suisse ne subisse des dommages. Si Credit Suisse avait fait faillite, cela aurait causé d’énormes dégâts. Le système de paiement aurait pu s’effondrer et de nombreuses personnes auraient perdu l’accès à leur compte. La banque était d’importance systémique. D’autres entreprises le sont aussi, comme le groupe énergétique Axpo. Avec Credit Suisse, la Confédération a dû servir d’écran de protection. 

- Que doivent penser les petits entrepreneurs? Eux, on les laisse tout simplement faire faillite. 
- Je comprends très bien la colère des gens. J’ai moi-même grandi dans une entreprise qui, si on s’était laissé faire, aurait fait faillite. Mais si l’auberge familiale avait sombré, cela n’aurait pas eu une importance systémique, car il y a beaucoup d’autres restaurants. Personnellement, tout comme la population, j’ai été très contrariée que la mauvaise gestion de la direction mette la Suisse dans cette situation. 

- Il y avait d’autres options que la vente forcée de Credit Suisse à UBS. C’est ce que constate le groupe d’experts que vous avez mis en place.
- Le Conseil fédéral n’a jamais dit que l’on ne pouvait pas liquider Credit Suisse. Mais il y aurait eu des dommages considérables pour la place financière et l’économie. Personne dans le monde n’a jamais liquidé une banque d’importance systémique. Le Conseil fédéral ne pouvait pas prendre un risque aussi important. Nous avions heureusement une meilleure solution, car une autre banque était prête à assumer les risques financiers et juridiques.

- On reproche à votre prédécesseur, Ueli Maurer, d’avoir raté le sauvetage de Credit Suisse. Mais le Conseil fédéral est une autorité collégiale. Comment en est-on arrivé là? 
- Le Conseil fédéral n’est pas chargé de surveiller les banques. C’est la tâche de l’autorité de surveillance financière, la Finma. Et, surtout, la responsabilité de la banque incombait au management de Credit Suisse. Charger simplement mon prédécesseur, c’est un peu trop facile. Mais on peut toujours soutenir que la reprise en main de Credit Suisse aurait été plus appropriée à un autre moment. C’est ce que la Commission d’enquête parlementaire doit maintenant clarifier.

- Vous n’avez pas beaucoup dormi à l’époque, avez-vous déclaré. Qu’en est-il maintenant qu’UBS est devenue un monstre bancaire?
- Cela ne m’empêche pas de dormir. Il s’agit maintenant de veiller à ce qu’un tel problème ne se reproduise plus. Or ces crises ne respectent aucune règle. Maintenant, tout le monde parle d’UBS. Mais qui peut garantir qu’une autre banque ne sera pas touchée? Nous travaillons sur des propositions pour éviter cette éventualité. Au printemps, le Conseil fédéral présentera un rapport sur les lacunes à combler.

- Le quotidien zurichois «NZZ am Sonntag» estime qu’au total 27 000 postes seront supprimés, surtout à l’étranger. C’est la réputation de la Suisse qui va en pâtir.
- De mon point de vue, la réputation de la Suisse n’a pas souffert. Nous avons réagi rapidement et assuré la stabilité. Notre action a été saluée au niveau international et tout le monde a été soulagé.

- Tout le monde est très positif au sujet de Sergio Ermotti, le nouveau CEO. Vous aussi? 
- Il jouit sans aucun doute d’une grande expérience. UBS l’a certainement aussi rappelé parce qu’il a assaini la banque aux trois clés après la crise de 2008. 

- Avez-vous confiance en lui? 
- J’ai confiance en cette direction. Mais nous devons penser à l’après. Un jour ou l’autre, il y aura de nouveaux managers. Je pars du principe que le dialogue doit se poursuivre. Que c’est aussi dans l’intérêt de la direction d’UBS de rester en contact avec le monde politique. 

- Sergio Ermotti dit qu’il ne veut pas que la politique se mêle de la gestion des affaires. Comment cette attitude est-elle perçue? 
- Certes, UBS est une entreprise privée. Mais le secteur bancaire est l’un des secteurs les plus réglementés. Les discussions sur l’avenir ne font que commencer. Il appartient aux politiques de discuter des règles du jeu et, le cas échéant, de les adapter. 

- UBS n’est pas la seule à représenter un gros risque. Les banques cantonales pourraient aussi coûter cher aux contribuables.
- Oui, on l’a vu par exemple lorsque la Banque cantonale de Soleure a sombré. Les banques cantonales versent certes de beaux dividendes, mais si quelque chose arrive, la collectivité doit endosser des pertes. Le secteur bancaire comporte des risques.

Karin Keller-Sutter à la fondation Barry, à Martigny.

Karin Keller-Sutter, de passage à Martigny (VS), a rendu visite à son filleul le saint-bernard Zeus et en a profité pour s’exprimer sur Credit Suisse et UBS.

Nicolas Righetti/Lundi13

- En tant que ministre des Finances, vous devez économiser 2 milliards de francs. Est-ce vraiment le bon moment, maintenant que tout devient plus cher à cause de l’inflation? 
- Nous avons inscrit le frein à l’endettement dans la Constitution. Celui-ci oblige la Confédération à présenter un budget équilibré. En vigueur depuis vingt ans, le frein à l’endettement a été approuvé par 85% des votants. Ne pas dépenser plus que ce que l’on gagne constitue un pilier de la mentalité suisse. Malheureusement, le parlement a approuvé des dépenses sans savoir comment les financer. C’est pourquoi nous devons maintenant épargner 2 milliards de francs. 

- Lorsque la Confédération fait des économies, elle supprime des prestations, ce qui impacte la population. 
- La population ne le ressent pas. Il y a beaucoup de coupes que personne ne remarque. Le programme de recherche Horizon impliquait un engagement de 800 millions de francs. Or la Suisse a été exclue de ce programme par l’Union européenne, ce qui se traduit par l’économie de cette somme. Toutefois, des mesures d’accompagnement sont prévues pour la recherche, que l’on ne doit pas priver de moyens. Nous n’économisons même pas vraiment. Nous ne faisons que freiner la croissance des dépenses. Il est également clair que nous ne voulons pas d’augmentation d’impôts. Ce ne serait pas dans l’intérêt de la population. Le frein à l’endettement nous aide donc. C’est aussi grâce à lui que nous avons de l’argent quand nous en avons vraiment besoin, par exemple pour faire face à la crise du covid. 

- La Suisse a toujours un endettement très faible.
- Oui, l’endettement est faible. Mais les pays étrangers ne sont pas un exemple en la matière. Mes homologues ministres des Finances nous envient. 

- Regrettez-vous d’avoir changé de département? 
- Les débuts ont été mouvementés et intenses. Mais je ne regrette rien. Je suis au Conseil fédéral parce que je veux prendre des responsabilités et participer aux décisions politiques. J’aime beaucoup travailler au sein du collège. En ce moment même, dans le cadre de cette discussion budgétaire, nous collaborons tous très étroitement. 

- Mais des problèmes importants demeurent, comme nos relations avec l’UE et la neutralité. Dans quelle direction allons-nous? 
- Ces dernières années, de nombreuses crises se sont succédé. Lors de l’annonce de son départ, le chancelier de la Confédération Walter Thurnherr a déclaré qu’il s’agissait de la pire législature depuis la Seconde Guerre mondiale. Le Conseil fédéral n’a pas voulu cette situation. Ni le covid, ni la guerre en Ukraine, ni les tensions énergétiques. Nous fonctionnons en mode de crise, c’est évident. Et nous avons bien sûr des discussions, cela fait partie du jeu. On lit parfois que les conseillers fédéraux ont des querelles. C’est faux. Selon les médias, la population voudrait un Conseil fédéral fort. Mais en fait, pas du tout. En Suisse, on se méfie du pouvoir et on est soucieux d’équilibrer les forces. C’est aussi une bonne chose.

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Silvana DegondaMehr erfahren
Par Silvana Degonda publié le 24 septembre 2023 - 09:19