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Alzheimer, la démente maladie qui fait tant peur

Chiffres, causes, traitements: notre dossier sur la maladie d'Alzheimer. Et, du cannabis à l’EMS, cinq conseils aux proches aidants.

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Un cas toutes les six heures: c’est la fréquence de détection des nouveaux cas de démence à Genève. Christian, le père du photographe genevois Serge Macia, a été diagnostiqué alzheimer par le professeur Grisoni du Centre de la mémoire de Genève le 15 janvier 2018. Serge Macia

C’est une des maladies qui font le plus peur. D’abord, parce qu’elle ne frappe pas d’un coup mais avance masquée, sournoisement, durant des années, pour se déclarer en général au seuil de la vieillesse, alors que nos forces, inéluctablement, sont en train de décliner. Aussi, parce qu’elle fait de nous, petit à petit, des êtres dépersonnalisés, incapables d’accomplir les gestes les plus simples et les plus essentiels de l’existence: se nourrir, s’habiller, aller faire des courses, échanger avec ses proches... Ensuite, parce qu’on sait alzheimer pour l’instant incurable, menant de manière irréversible à une mort grabataire. Enfin, parce que, même si elle ne nous atteint pas personnellement, elle peut frapper indistinctement un père, une mère, un époux ou une épouse et nous entraîner dans son sinistre cortège de douleurs.

Mais la maladie d’Alzheimer fait peur également parce qu’on la connaît mal. Avec l’aide du professeur Jean-François Démonet, neurologue directeur du Centre Leenaards de la mémoire du CHUV, essayons d’y voir un peu plus clair sur cette affection qui suscite tant d’interrogations et de fantasmes.

1. Démence, maladie d’Alzheimer: quelles différences?
L’alzheimer est une maladie neurodégénérative au même titre que le parkinson. La démence correspond à un stade de cette maladie. On peut être atteint d’alzheimer sans être dément et être dément sans être atteint d’alzheimer. Cela dit, l’alzheimer est la maladie la plus souvent diagnostiquée lorsque des troubles de la mémoire apparaissent, car il attaque la mémoire de plein fouet, surtout celle relative aux faits les plus récents.

«La maladie, explique Jean-François Démonet, est provoquée par la lente accumulation dans certaines zones du cerveau de deux types de protéines toxiques clairement identifiées: le peptide bêta-amyloïde, qui forme des plaques gélatineuses microscopiques à l’extérieur des cellules, et la protéine tau, qui se dépose à l’intérieur des neurones, provoquant une dégénérescence neurofibrillaire. Ce sont ces deux lésions associées, visibles grâce aux nouvelles techniques d’imagerie médicale, qui caractérisent la maladie d’Alzheimer, même si d’autres entités pathologiques peuvent exister.»

Les manifestations principales de la maladie sont la perte de mémoire, les troubles du langage, des difficultés à se repérer dans l’espace, qui peuvent aboutir à l’incapacité d’enfiler un vêtement, et la perturbation de certaines fonctions exécutives. Entre 65 et 90 ans, la prévalence de la maladie augmente avec l’âge: 1% à 60 ans, mais jusqu’à 40% à 90 ans. Ensuite, un ralentissement semble se manifester.

2. Le nombre de malades explose-t-il?
En Suisse, plus de 150 000 personnes sont atteintes de démence sénile. L’Office fédéral de la santé prévoit un doublement de ce chiffre d’ici à 2040. A la même date, on estime à 200 millions les malades dans le monde. Des chiffres qui font peur mais que Jean-François Démonet tient à relativiser: «Ces projections épidémiologiques sont délicates à manipuler. D’abord, parce que la moitié seulement des cas de démence sont actuellement diagnostiqués, en partie du fait de la banalisation des troubles cognitifs en EMS. Ensuite, on constate aujourd’hui que les projections faites il y a vingt-cinq ans, qui partaient du principe que l’accroissement de l’espérance de vie allait immanquablement amener une augmentation des cas, se sont révélées beaucoup trop pessimistes. Pourquoi? Parce que, entre-temps, la lutte contre les maladies cardiovasculaires a, par ricochet, ralenti la progression de la maladie.»

3. Peut-on se prémunir contre cette maladie?
Contrairement à ce que l’on pense souvent, le facteur génétique intervient très rarement dans la maladie d’Alzheimer: 1% seulement des cas, souvent précoces, parfois dès 30 ans. Par contre, notre hygiène de vie influe fortement sur le risque de déclencher ou non la maladie. Tout ce qui est bon pour le cœur est bon pour le cerveau, insiste notre expert: «La prévention contre la maladie d’Alzheimer doit être mise en œuvre au milieu de l’existence pour éliminer les facteurs de risques qui sont les mêmes que pour les maladies cardiovasculaires. A savoir quatre paramètres comportementaux (tabagisme, surpoids, inactivité physique et alcool) favorisant le diabète et l’hypertension, deux paramètres biologiques qui font le lit des démences liées à l’âge. Si vous êtes un quadra ou un quinqua, c’est maintenant qu’il faut agir! A 60 ans, ce sera trop tard...»

>> Lire à ce sujet: «Mieux nourrir son cerveau»

4. Peut-on soigner cette maladie?
En 2018, la France a décidé de ne plus rembourser les médicaments contre la maladie d’Alzheimer, considérant qu’ils n’étaient pas suffisamment efficaces. Incapables de soigner les patients, ces médicaments sont même remis en cause dans leur capacité à freiner la maladie.

Une réalité que ne dément pas Jean-François Démonet: «Le problème des médicaments contre l’alzheimer, c’est leur faible biodisponibilité dans le cerveau. Ils pénètrent mal le tissu cérébral. Ils ont donc peu d’effets. Mais il est difficile pour un médecin de construire une alliance thérapeutique avec un patient sans lui prescrire un médicament, car la majorité d’entre eux sont en attente d’une prescription. Cette relation de confiance établie, il est plus facile d’intervenir pour les aider à améliorer leur hygiène de vie et dynamiser leur relation avec leurs proches afin de ralentir la progression de la maladie.»

5. Un espoir quant à l’arrivée de nouveaux remèdes efficaces?
De nombreux laboratoires, au vu de l’extraordinaire et exponentielle masse de patients à traiter dans le monde, ont tenté de relever le défi alzheimer. Mais aucun des 500 essais cliniques conduits depuis 2002 par les grandes sociétés pharmaceutiques n’a abouti à la découverte de nouvelles molécules efficaces. Jean-François Démonet partage ce constat d’échec: «Les pharmas ne sont pas des philanthropes. Elles n’existent pas pour soigner les gens mais pour gagner de l’argent. Le marché des médicaments constitue la deuxième source de revenus au monde. Développer un nouveau médicament coûte, en gros, 5 milliards de dollars. Or la recherche sur l’alzheimer s’avère, pour le moment, non rentable. Pire, un échec récent a mis en péril l’existence même d’une de ces pharmas. Il y a, en outre, un décalage énorme entre les investissements engagés dans la recherche contre le cancer et ceux consentis pour la maladie d’Alzheimer, au détriment de cette dernière. Alors que les démences sont responsables de coûts pour la société deux fois plus importants que ceux générés par le cancer.»

6. Est-ce que d’autres voies de traitement existent?
Selon Jean-François Démonet, trois directions semblent prometteuses. «On s’intéresse actuellement à la prévention des inflammations en agissant sur le système immunitaire comme on le fait avec la sclérose en plaques. Mais il est extrêmement délicat d’intervenir sur le système immunitaire. Des recherches sont également menées par mon collègue genevois Giovanni Frisoni, en collaboration avec l’Université d’Edimbourg, autour du fameux microbiote intestinal. Enfin, il y a la piste de la stimulation cérébrale par des méthodes électromagnétiques ou des ultrasons pour dissoudre localement les plaques d’amyloïde. Une technique envisageable seulement à un stade précoce de la maladie.»

>> Lire aussi le témoignage d'un fils de malade d'alzheimer: «Et si alzheimer était une chance pour mon père»


Du cannabis pour soulager les malades d’alzheimer

Un EMS genevois a entamé il y a cinq ans une expérience pilote visant à prescrire du cannabis pour améliorer le confort de vie de ses pensionnaires.

Les établissements spécialisés dans l’accueil de personnes âgées malades d’alzheimer, à l’image de nombre d’EMS classiques, sont amenés à administrer force neuroleptiques, anxiolytiques et antidouleurs pour soulager les patients et faciliter leur prise en charge par les unités de soins. Avec les problèmes d’accoutumance et d’effets secondaires qui en découlent.

James Wampfler, qui dirige à Genève la Résidence des Tilleuls accueillant des personnes âgées atteintes de démence sénile, ajoute: «Chez certains, les neuroleptiques n’agissent pas de manière satisfaisante. C’est pourquoi, il y a cinq ans, confrontés à ce type d’impasse thérapeutique, nous avons obtenu une autorisation exceptionnelle de l’Office fédéral de la santé pour tester le cannabis chez une personne et nous avons eu de bons résultats dans l’amélioration de son confort de vie.»

«Effets spectaculaires»

Dix autres pensionnaires sont alors inclus dans une étude lancée en collaboration avec les HUG et une doctorante en sociologie. De décembre 2017 à juin 2018, ils ont reçu quotidiennement de l’huile de cannabis suisse tirée du totum de la plante, la dose maximale quotidienne étant de 12 mg de THC et de 24 mg de CBD. «Les effets sur les contractions musculaires ont été spectaculaires, révèle James Wampfler. Certains résidents, chez qui on pouvait difficilement passer une lavette sous les bras pour leur faire la toilette, ont pu enfin être aisément lavés. On a constaté également une diminution des douleurs chez nombre d’entre eux et tous les proches aidants ont noté un net adoucissement du rapport au monde de leur parent.»

Aujourd’hui, sur les 55 résidents que compte l’établissement des Tilleuls, 19 sont traités au cannabis, sans effets secondaires ni phénomènes d’addiction. Ce qui a permis de réduire leur consommation de neuroleptiques et d’antidouleurs. Cependant, deux écueils à la diffusion de ce traitement demeurent: son coût (environ 500 francs par mois, non remboursés) et les difficultés administratives présidant à son autorisation. Heureusement, on prévoit d’ici à 2021 un assouplissement de la législation concernant la délivrance de cannabis thérapeutique.


Cinq conseils aux proches aidants

Deux tiers des malades d’alzheimer sont à la charge de proches aidants. Alzheimer Suisse est là pour leur venir en aide.

- S’informer. Les différentes formes de démence sont encore très mal connues du grand public. Pour bien accompagner un proche malade, il est essentiel de savoir ce qui se passe dans le cerveau des personnes atteintes.

- En parler. Il y a beaucoup de tabous autour de ces maladies. N’ayez pas peur d’en parler autour de vous. Les groupes d’entraide ou de parole permettent d’échanger avec d’autres personnes confrontées aux mêmes difficultés.

- S’entourer. La maladie d’Alzheimer ou les autres formes de démence isolent les proches aidants, qui sont de plus en plus accaparés par le malade. Ne négligez pas votre vie sociale et continuez à voir vos amis.

- Se faire aider. Difficile de reconnaître ses limites et d’accepter de l’aide externe. Mais il est essentiel de faire appel à des professionnels qui pourront vous accompagner dans le cheminement avec la maladie.

- Souffler. Des structures d’accueil à la journée ou des services d’accompagnants à domicile existent dans les différents cantons romands. Alors octroyez-vous régulièrement un peu de temps libre pour recharger vos batteries.


Par Busson François publié le 27 novembre 2019 - 09:03, modifié 18 janvier 2021 - 21:09