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Antibiotiques, la fin du miracle

L’antibiorésistance constitue l’une des plus grandes menaces pesant sur la santé mondiale, la sécurité alimentaire et le développement, alerte l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

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L’information a de quoi inquiéter. En Suisse, des patients décèdent d’infections que plus aucun antibiotique ne parvient à combattre. Cela concerne particulièrement des personnes très sévèrement atteintes dans leur santé, comme les grands brûlés, par exemple.

Information confirmée par la doctoresse Laurence Senn, responsable de l’unité hygiène, prévention et contrôle de l’infection du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), qui tient cependant à la pondérer. «Lorsqu’une personne est brûlée à 80%, les risques d’infection sont très élevés et des traitements antibiotiques multiples sont nécessaires, favorisant progressivement la sélection de bactéries résistantes.» Reste que, selon les statistiques, 270 personnes meurent chaque année dans notre pays à la suite d’une infection qui n’a pu être traitée (700'000 dans le monde, 25'000 en Europe). Un chiffre que l’auteure de la campagne Objectif préservation antibiotiques (OPA), financée par le Fonds national suisse de la recherche scientifique, menée dans huit hôpitaux romands et lancée sur la Toile en 2018 (objectif-preservation-antibiotiques.ch), accueille une fois encore avec prudence. «Il faudrait toujours considérer l’état général de la personne avant d’imputer son décès directement à l’inaction des antibiotiques.»

Tous concernés

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  Didier Martenet

Cela dit, Laurence Senn n’est pas dans le déni. Pour elle, la résistance aux antibiotiques est une réalité à affronter dont tout le monde doit prendre conscience. Et pour cause. «Faute de rentabilité, il n’y a pas grand-chose de nouveau en vue dans le pipeline des pharmas. Dès lors, la crainte est de perdre progressivement les antibiotiques que nous utilisons aujourd’hui.»

Pour la spécialiste, chacun de nous est concerné. «C’est un peu comme pour le réchauffement climatique. En tant que simple citoyen, on se demande comment apporter sa pierre à l’édifice. L’une des causes de la résistance aux antibiotiques venant de la surconsommation humaine, contribuer à abaisser cette consommation a forcément un impact», explique-t-elle, avant de préciser la nature du combat à mener. «L’usage excessif ou inapproprié accélère le phénomène de résistance. Il est important de préciser que ce ne sont pas les êtres humains ou les animaux qui deviennent résistants, mais les bactéries qui, une fois devenues résistantes, peuvent ensuite se propager d’une personne à l’autre.»

«Superbactéries mortelles»

Il y a deux mois, l’OMS lançait à cet égard un appel planétaire, mettant en garde contre les abus dans certains pays et, plus surprenant, la sous-consommation dans d’autres régions. Deux phénomènes entraînant l’émergence de «superbactéries mortelles». Selon l’institution, qui se base sur un rapport collecté en 2015 auprès de 65 pays, 500'000 personnes issues de 22 pays présentent à ce jour une résistance aux antibiotiques. «Ce rapport confirme que le phénomène constitue un grave problème partout autour du globe», explique le docteur Marc Sprenger, directeur du secrétariat chargé du dossier de la résistance aux antimicrobiens à l’OMS.

Toujours dans ce rapport, on lit que les taux de résistance à la pénicilline, utilisée depuis des décennies pour traiter la pneumonie, vont de 0% à 51% dans les pays ayant notifié des données. De plus, entre 8% et 65% des E.coli, associés aux infections urinaires, présentent une résistance à la ciprofloxacine, l’antibiotique le plus couramment utilisé contre ces infections. «Un nombre croissant d’infections, comme la pneumonie, la tuberculose, la gonorrhée ou la salmonellose, deviennent plus difficiles à traiter, les antibiotiques perdant leur efficacité», indique le signataire de l’enquête.

Trois sources

Aux dires des experts et au-delà des résistances naturelles que développent les êtres vivants, il y a trois sources d’antibiorésistance. La surconsommation humaine, la surconsommation vétérinaire* et la fabrication même des antibiotiques dans des usines asiatiques peu regardantes sur l’environnement.

Plus de 90% de ces produits sont en effet fabriqués dans des unités chinoises ou indiennes, dont une partie des résidus finissent dans la nature, créant des foyers d’antibiorésistance pouvant se diffuser sur la planète entière par le biais des échanges et des voyages. Dans certains fleuves proches des halles de fabrication, on a retrouvé des concentrations d’antibiotiques de plusieurs milliers de fois supérieures à ce qui est détecté dans les effluents hospitaliers ou urbains de nos pays.

Et la Suisse dans tout ça?

Et la Suisse dans tout ça? Elle a réagi plutôt tardivement, mais de manière assez vigoureuse. La Confédération a annoncé en juin 2015 le lancement d’un nouveau programme national de recherche doté de 20 millions de francs.

En 2016, le Conseil fédéral a aussi mis sur pied une stratégie nationale contre la résistance aux antibiotiques (StAR, www.star.admin.ch), qui définit des objectifs et des mesures afin de prévenir l’apparition de nouvelles résistances et de limiter leur transmission et leur propagation.

Marge de progression

Le 9 novembre dernier, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a également lancé une campagne visant à sensibiliser la population à cette thématique par le biais de spots TV, d’affiches publicitaires et d’un site internet (quand-il-faut-comme-il-faut.ch). «En parallèle, il faut à tout prix optimiser les traitements. Chez les patients hospitalisés, on administre souvent un antibiotique à large spectre sur la base d’un diagnostic de présomption. Or il est primordial de cibler le traitement lorsque la bactérie en cause a été identifiée. Il existe également une marge de progression dans le raccourcissement de la durée des traitements et, dans une moindre mesure, dans la prise d’antibiotiques à mauvais escient. En médecine ambulatoire, la Suisse est déjà plutôt bonne élève», observe Laurence Senn.

Si l’incidence de certaines bactéries résistantes a diminué ces dernières années – c’est en particulier le cas pour le staphylocoque doré –, le nombre de souches résistantes présentes dans notre pays ne cesse de croître, selon les données récoltées par Anresis.ch, le Centre suisse pour le contrôle de l’antibiorésistance.

«Pas de quoi céder à la panique pourtant», de l’avis de Laurence Senn, pour qui une action coordonnée devrait ralentir, à défaut de stopper, l’avancée d’un risque que l’OMS qualifie de dangereusement élevé.


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  Didier Martenet

Vrai ou faux?

Une virgule inscrite au mauvais endroit par un chimiste allemand en 1870 a réussi à nous mettre dans la tête que les épinards étaient particulièrement riches en fer. Relayée par Popeye, cette idée reçue est pourtant erronée puisqu’il n’y en a que 3,6 mg pour 100 g. de feuilles cuites. Les antibiotiques n’échappent pas non plus à ce genre de préjugés et de poncifs. Trions le vrai du faux.

- Les antibiotiques tuent le virus de la grippe, du rhume, de l’angine non bactérienne ou encore de la gastroentérite.
FAUX. Les antibiotiques n’ont aucun effet contre les virus. Ils ne sont d’aucune utilité non plus contre les mycoses (infections provoquées par des champignons) ou les parasites (malaria, etc.).

- La prise inutile d’antibiotiques les rend inefficaces.
VRAI. Plus on en ingère, plus leur efficacité s’émousse. Car à chaque fois que des antibiotiques sont utilisés, les bactéries capables de leur résister survivent et profitent de l’élimination des bactéries sensibles pour se développer.

- Les Suisses abusent des antibiotiques.
FAUX. Dans la communauté, les Suisses divisent pratiquement la moyenne européenne par deux. En milieu hospitalier, notre consommation est en revanche équivalente à celle de nos voisins.

- La résistance aux antibiotiques augmente en Suisse et dans le monde.
VRAI. La résistance augmente partout dans le monde et la Suisse n’échappe pas au phénomène. Notre pays a instauré en 1999 déjà un programme national de recherche intitulé "La résistance aux antibiotiques" et, depuis 2004, le centre Anresis surveille en continu cette évolution. En 2017, Anresis disposait de données de résistance pour environ 80% des patients hospitalisés et pour plus d’un tiers de tous les patients ambulatoires.

- Une personne qui prend des antibiotiques devient résistante.
FAUX. Ce ne sont pas les personnes qui deviennent résistantes mais les bactéries. Celles-ci peuvent se propager d’une personne à l’autre, d’une personne à un animal ou vice-versa.

- L’antibiorésistance augmente la mortalité.
VRAI. La mortalité et la morbidité sont en augmentation et ne se limitent plus uniquement aux groupes de population à risque. Selon le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), en 2007, environ 25'000 personnes sont décédées d’infections par des bactéries résistantes dans les pays de l’Union européenne (UE). L’institut estime que le nombre de décès annuel pourrait passer à 10 millions en 2050. Les derniers chiffres concernant la Suisse, non confirmés par les milieux médicaux que nous avons consultés, font état de 270 décès par année.

- L’utilisation d’antibiotiques pour stimuler la croissance des animaux d’élevage est interdite en Suisse.
VRAI. Depuis 1999. Et depuis 2006 dans l’UE.

- Les antibiotiques atterrissent dans les cours d’eau.
VRAI. Notre métabolisme ne les détruit pas. Une partie d’entre eux finissent donc dans les eaux usées et comme nos stations d’épuration ne les éliminent quasiment pas, ils terminent leur chemin dans les cours d’eau.

- Les antibiotiques dans les eaux usées sont nocifs pour l’environnement.
VRAI. Pas forcément eux-mêmes, mais le cocktail qu’ils forment avec des résidus d’autres produits. Les poissons et autres organismes vivant dans l’eau peuvent en souffrir.

- Il y a des antibiotiques dans la viande.
FAUX. Les normes sont très sévères dans ce domaine en Suisse et des contrôles réguliers sont également réalisés sur les viandes importées. «Les gens confondent parfois antibiotiques et hormones», confie un éleveur.

>> * Lire les autres sujets du dossier consacré aux antibiotiques


Les 12 chiffres qui comptent

32 tonnes d’antibiotiques utilisés à usage vétérinaire en Suisse en 2017. Près de
60% de moins qu’en 2008 (70 tonnes). Pour l’usage humain, La consommation avoisine
les 70 tonnes.

40 milliards. En dollars, le chiffre d’affaires annuel de la fabrication d’antibiotiques.

29 prescriptions d’antibiotiques sur 1000 consultations médicales en Suisse en 2017.
De 2006 à 2013, elles variaient entre 35 et 40 pour 1000 consultations.

4%. La baisse de consommation dans les pays riches.

2 milliards. En dollars, le coût annuel estimé de la résistance aux antibiotiques. 

65%. L’augmentation de la consommation d’antibiotiques dans le monde entre 2000 et 2015.

x 2. La consommation d’antibiotiques a doublé en Inde au cours des seize dernières années (ils s’obtiennent sans ordonnance). Durant la même période, elle a augmenté de 80% en Chine.

700'000. Le nombre de décès par année dans le monde imputés à l’antibiorésistance par
un collège d’experts.

30% à 50%. La marge d’optimisation dans le choix de l’antibiotique et sa durée d'administration dans les hôpitaux suisses.

30%. La proportion d’antibiotiques utilisés à mauvais escient dans les pays riches.

38. En milliards, le nombre de doses quotidiennes consommées dans le monde (contre 21,1 milliards en 2000), soit environ 440'000 par seconde et plus de 13'000 milliards par an.

3. Le podium des pays plus gros consommateurs d’antibiotiques: Turquie, Tunisie et Etats-Unis.


Par Rappaz Christian publié le 5 mars 2019 - 16:15, modifié 18 janvier 2021 - 21:03