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Santé

Le cri d’alarme contre la surutilisation des antibiotiques

La situation est inquiétante et il faut à tout prix tenter de la résoudre dès maintenant. C’est, en résumé, l’appel du docteur Serge de Vallière, responsable de l’unité d’antibiothérapie parentérale ambulatoire du CHUV.

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Didier Martenet

«Il ne faut pas se leurrer. Les cas d’infections causées par des germes multirésistants impossibles à traiter par voie orale vont se multiplier.» Responsable de l’unité d’antibiothérapie parentérale ambulatoire du CHUV (APA), créée sous son impulsion en décembre 2013, le docteur Serge de Vallière va droit au but. Pour lui, la situation générale est déjà inquiétante, en Suisse itou. «Il est désormais de la responsabilité de tous, corps médical, classe politique et société civile, de se mobiliser pour gérer au mieux cette problématique. Sans quoi, si nous continuons à utiliser les antibiotiques à tort et à travers, nous nous retrouverons tôt ou tard dans la situation d’un pays comme l’Inde, où les statistiques sont effrayantes», indique le praticien, avant d’étayer: «Il est avéré médicalement qu’en voyageant dans cette zone, sac au dos ou en 5 étoiles, vous avez 23% de risques de revenir colonisé par un bacille multirésistant. Pire, si vous développez des diarrhées, vous avez 47% de risques de revenir avec un bacille multirésistant. Ou plus encore, si vous développez des diarrhées et que vous prenez des antibiotiques en Inde, vous avez 80% de risques d’être colonisé par un bacille multirésistant au retour», détaille Serge de Vallière.

«Pendant que l’état général de la personne est satisfaisant, elle peut très bien vivre avec une colonisation par un germe multirésistant. C’est dès que sa santé vacille consécutivement à d’autres pathologies que les choses se compliquent…» Par exemple une opération élective ne devrait pas être agendée dans les mois suivant une visite en Inde. Histoire de ne pas risquer une complication infectieuse avec une bactérie multirésistante rapportée de son voyage.

Espoir de guérison, mais…

Ces deux dernières années, 300 personnes par année ont passé par l’unité lausannoise, première du genre en Suisse, pour l’administration d’antibiotiques par voie intraveineuse. «Le centre permet de fortement diminuer les durées d’hospitalisation et donc les coûts. Cette structure est également plus confortable pour les patients, qui sont perfusés à leur domicile et ne se déplacent plus qu’une fois par semaine», explique le médecin.

A 86 ans, J. C. est un habitué des lieux. Quatre ans déjà qu’une bactérie résistante à tous les antibiotiques oraux logée dans un kyste à l’intérieur du foie se joue de tous les traitements. Après cinq séjours de près de deux semaines au CHUV, J. C. profite désormais du mode ambulatoire. «Le traitement fait effet quelques semaines, puis cela recommence. Sudation et forte fièvre», raconte l’octogénaire, qui garde la forme et le moral malgré tout, même si sa thérapie lui interdit tout projet de sortie ou de vacances avec son épouse. «C’est le plus dur», murmure-t-il.

D’autant plus que sa pathologie est compliquée, reconnaît Serge de Vallière. «Et l’âge n’a rien à voir là-dedans. Nous avons une patiente de 27 ans qui souffre du même problème», révèle le médecin, qui qualifie de «très complexe» l’équation à résoudre. Une résolution qui risque encore de se corser à l’avenir, malheureusement…

>> Lire le reste du dossier: "Antibiotiques, la fin du miracle"


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  Didier Martenet

Antibiotiques vétérinaires

LES FRIBOURGEOIS MONTRENT L'EXEMPLE

La surconsommation d’antibiotiques vétérinaires est l’une des sources de l’antibiorésistance. Le canton de Fribourg fait œuvre de pionnier pour changer les mentalités et les habitudes. Et ça marche!

Les agriculteurs helvétiques n’ont pas attendu le cri d’alarme de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour revenir à la raison. Entre 2008 et 2017, la quantité d’antibiotiques vendus aux vétérinaires a baissé de plus de moitié dans notre pays, passant de 70'000 à 32'000 kilos par année. La seule année 2016-2017 a vu une chute des ventes de 16%, se félicite-t-on à l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV).

Autant dire que les milieux agricoles ont sérieusement pris conscience des problèmes que pose une surconsommation d’antibiotiques. Mais pas que. «Les consommateurs croient souvent que nous cherchons à faire un maximum de profit et que, pour y parvenir, nous sommes prêts à tout. C’est faux. Il faut casser ce mythe. Bien sûr, nos exploitations doivent être rentables. Mais pas à n’importe quel prix. Aujourd’hui, la grande majorité des éleveurs cherchent cette efficience en prenant soin de leurs animaux et en améliorant leur bien-être. En diminuant le taux de maladies par des mesures de prévention, nous gagnons du temps de travail et donc de l’argent. Le but n’est pas d’augmenter sans cesse la production de lait mais d’éviter qu’elle ne baisse.»

Mouvement

Jeune trentenaire, Grégoire Savary veille, avec son père Dominique, sur un cheptel de 75 têtes, dont une moitié de vaches laitières. Installé à Sâles (FR), le duo fut parmi les premiers sur les 1500 producteurs de lait du canton (50'000 vaches) à adhérer au projet ReLait lancé en 2017 par l’Institut agricole de Grangeneuve. Désormais, 160 éleveurs ont intégré le mouvement.

But de cette vaste opération soutenue par la Confédération et qui se poursuivra jusqu’en 2024: diminuer au maximum l’usage des antibiotiques. «L’Etat n’est pas arrivé avec une casquette de gendarme, comme souvent, mais avec une idée de collaboration. En plus de son côté novateur, c’est ce qui nous a plu dans ce projet», explique Dominique.

En contrepartie, les éleveurs touchent un défraiement de 500 francs par année, ainsi qu’une prise en charge des frais d’analyse du lait à hauteur de 50%. «Surtout, nous profitons d’un accompagnement et des conseils des 25 vétérinaires de Grangeneuve et de l’Institut vétérinaire de l’Université de Berne participant au projet», relève Dominique. «Pour les huit ans, le budget global s’élève à environ 2,2 millions», précise Jean-Charles Philipona, responsable du secteur production animale de l’institut, pas étonné par le succès de la démarche. «Les éleveurs cherchaient des solutions pour diminuer l’utilisation des antibiotiques. Ils étaient donc demandeurs, en quelque sorte.»

Coup double

Ce changement de paradigme n’est pas sans contrainte. Cela implique de saisir systématiquement les données santé dans les programmes des fédérations d’élevage, de participer aux réunions du réseau et de mettre en place les mesures proposées par les différentes stratégies. «Mais au final, grâce à l’abaissement du taux de maladies, le gain de productivité est au rendez-vous. En 2017, nous n’avons constaté qu’une seule mammite (inflammation du pis de la vache) sur l’ensemble du troupeau», se réjouissent le père et le fils. Une réussite due en grande partie au renforcement de l’hygiène et du bien-être des animaux (installation d’un brumisateur en été pour contenir le stress des bêtes provoqué par la chaleur, etc.). «Une vache sous antibiotiques est écartée du troupeau durant une dizaine de jours. Cela équivaut à une perte économique proche de 1000 francs», estime Dominique Savary.

En cherchant des substituts aux antibiotiques, les éleveurs fribourgeois font donc coup double. Reste à convaincre leurs collègues du reste du monde de suivre leur exemple. «On n’y est pas encore, mais les choses bougent un peu partout», constate Jean-Charles Philipona, optimiste.


Par Rappaz Christian publié le 5 mars 2019 - 16:13, modifié 18 janvier 2021 - 21:03