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Covid-19

Antoine Flahault: «Arrêtons de dire que le vaccin est inutile chez l’enfant»

Pour le professeur et épidémiologiste Antoine Flahault, hésiter à vacciner les enfants est un combat d’un autre âge. Alors que la pandémie de covid rebondit, il appelle aussi à mieux compter les malades et à aérer les lieux fermés, mais confesse ne pas savoir de quoi l’automne sera fait.

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Covid-19 enfant

Antoine Flahault appelle aussi à mieux compter les malades et à aérer les lieux fermés.

Mareen Fischinger via www.imago-images.de
Christian Rappaz, journaliste
Christian Rappaz

- Alors que les étés 2020 et 2021 nous avaient épargnés, la circulation du SARS-CoV-2 s’intensifie en Europe et en Suisse cette année. Comment expliquer ce rebond?
- Antoine Flahault: Nous avons peut-être la mémoire courte. L’été dernier fut l’occasion d’une vague pandémique liée au variant Delta. Certes, elle fut moindre en intensité et en gravité que celles de l’automne et de l’hiver qui ont suivi, mais nous n’avions pas pu tomber les masques dans les transports à cette période. Donc, il faut se faire à l’idée que ce virus respiratoire provoque des flambées épidémiques même durant l’été. Le sous-variant BA.5, très transmissible, a causé une vague assez forte au Portugal qui a duré trois mois et se propage actuellement un peu partout.

- Avec environ 5000 cas par jour en Suisse, ce rebond reste néanmoins assez faible, non?
- Il est difficile d’évaluer le niveau de contaminations sur les seuls résultats des tests PCR tout-venant, car d’une part ils ne proviennent pas d’échantillons représentatifs de la population, comme au Royaume-Uni, et d’autre part le nombre de tests réalisés chaque jour est très différent de celui du mois de janvier dernier. Si l’on se réfère à la mortalité rapportée au Portugal, pays proche de la Suisse en termes de démographie et d’infrastructures sanitaires mais dont la population est mieux vaccinée que chez nous, le niveau de la vague BA.5 a été d’ampleur voisine de celle liée à BA.1 et BA.2. On peut donc s’attendre à une vague assez forte dans toute l’Europe de l’Ouest, dont la Suisse, avec une mortalité affectant particulièrement la population âgée de plus de 70 ans.

- A ce stade, on reste loin des pics d’hospitalisations et de décès que nous avons connus…
- Le pic d’hospitalisations au Portugal a été voisin durant la vague BA.5 de celui de la vague hivernale BA.1/BA.2, certes inférieur à celui des vagues précédentes lorsque la population était moins bien vaccinée. Par ailleurs, les hospitalisations et les décès ont été retardés de quelques semaines par rapport aux contaminations. Maintenant, il est clair que les personnes très âgées, de plus de 80 ans, sont rarement hospitalisées en soins intensifs et si ce segment de la population représente l’essentiel des formes graves, ce sont plutôt les médecins de ville, les personnels soignants des EMS, mais aussi les urgences et les services de gériatrie qui seront sous tension ces prochaines semaines.

- Cinq mille cas quotidiens détectés, mais combien en réalité, à votre avis?
- Bien sûr, les personnes ne se testent plus ou achètent des autotests en pharmacie, dont les résultats positifs passent sous le radar de la veille sanitaire de piètre qualité que nous avons, sans que cela émeuve beaucoup nos politiques qui ont espéré tourner la page de cette pandémie un peu trop rapidement. Vous constatez que j’appelle à une véritable refonte de la veille sanitaire dans notre pays, aussi respectueuse des cantons que le Royaume-Uni l’est de ses nations. C’est une première urgence. Après deux ans et demi d’approximations, la Suisse pourrait espérer compter mieux ses malades lors de la plus grande pandémie du siècle.

- Certains parlent de sixième vague, d’autres de septième, où en sommes-nous exactement?
- C’est la troisième vague d’Omicron, après BA.1 et BA.2. Ces vagues de 2022 succèdent à deux vagues Delta en 2021, une vague Alpha et encore deux premières vagues qui furent causées par le variant initial de Wuhan, en 2020, en Suisse. J’en compte donc huit, sur la base des variants et sous-variants circulant de manière dominante dans le pays.

- L’OFSP préconise la quatrième dose pour les plus de 80 ans mais entend étendre la recommandation à tous les adultes cet automne. Logique?
- Les experts isolés peuvent exprimer leurs avis, mais il est important que les agences aient le dernier mot. Clairement, les plus de 80 ans doivent être la priorité numéro un pour ce second rappel vaccinal. Dans ce contexte, il ne faudrait pas au début de l’été que les pharmacies soient assaillies par les plus jeunes et ne parviennent pas à fournir les doses vaccinales nécessaires à ceux qui sont les plus à risque.

- Ce rebond laisse-t-il présager un automne et plus encore un hiver de nouveau compliqués ou est-ce trop tôt pour nourrir cette crainte?
- Nous fournissons des prévisions tous les jours pour plus de 300 pays et territoires dans le monde, à l’Université de Genève, en collaboration avec l’EPFL et l’ETHZ. Elles concernent bien sûr la Suisse. Et, cependant, nous sommes incapables de prédire à plus d’une semaine à l’avance cette pandémie, un peu comme la météorologie. Donc je ne sais pas ce qui se passera à l’automne. Nous observons depuis le début de la pandémie des vagues successives tous les trois ou quatre mois, je ne serais donc pas surpris de nouvelles vagues à venir après l’été.

- Il y a les gens qui disent «je m’en fous du covid, je ne veux plus en entendre parler» et ceux qui ressortent déjà les masques. Quelle est la bonne attitude?
- Cela me semble être la combinaison des deux, mais pas à contretemps! On peut oublier la pandémie lorsque l’accalmie arrive et profiter de quelques semaines de répit, puis reprendre des comportements précautionneux dès que le rebond s’annonce.

- Six millions de personnes (69,5% de la population) sont entièrement vaccinées en Suisse. Ce rebond confirme que le vaccin ne protège pas de la contamination…
- Nous pensions avoir un vaccin altruiste, où se vacciner allait aussi contribuer à protéger les autres et nous avons finalement des vaccins plutôt égoïstes. Se vacciner sert avant tout à se protéger soi-même, non pas contre l’infection, mais contre les complications graves et celles qui entraînent des covid longs. Les fabricants tentent de mettre au point des vaccins qui protégeraient efficacement contre la transmission et l’infection.

- Selon un rapport de Swissmedic publié le 28 juin, 15 578 déclarations de cas d’effets indésirables présumés de vaccins contre le Covid-19 ont été évaluées. Pour n’importe quelle autre maladie, le vaccin aurait déjà été suspendu…
- Jamais des produits de santé n’auront été distribués aussi largement dans le monde que les vaccins contre le covid. Jamais ils n’auront fait l’objet d’autant d’attention, de vigilance et de recherche. Ils figurent parmi les vaccins les mieux tolérés de toute notre pharmacopée. Les réactions indésirables rapportées sont quasi essentiellement bénignes et spontanément résolutives.

- Les Etats-Unis autorisent désormais la vaccination des nourrissons dès l’âge de 6 mois. Un scandale ou une bonne décision?
- Les petits enfants paient un assez lourd tribut à cette pandémie et font des syndromes post-infecteux qu’on appelle PIMS et que l’on sait pouvoir prévenir par le vaccin. Il faut arrêter de dire que le vaccin est inutile chez l’enfant. La Suisse et la France sont les deux lanternes rouges de l’Europe vis-à-vis de la vaccination des mineurs, et on doit ce triste palmarès en partie à nos pédiatres trop souvent hésitants pour les vaccins. Ce sont des combats d’un autre âge. Des publications scientifiques démontrent partout dans le monde l’utilité de ce vaccin chez l’enfant.

- Qu’est-ce qui nous attend dans les mois et les années à venir, à votre avis?
- Ce coronavirus se transmet par voie respiratoire, 95 à 99% des cas surviennent dans des lieux clos mal ventilés qui reçoivent du public. Or, des chercheurs ont démontré dans le canton des Grisons, capteurs de CO2 à l’appui, que nos écoles étaient par exemple mal ventilées. Le vaccin est nécessaire mais ne suffit pas. Il faut y ajouter le port du masque dans les lieux clos et dans les transports publics lors des rebonds épidémiques et une amélioration substantielle de la qualité de l’air intérieur. Je pense que nous ne pourrons pas nous en dispenser pour retrouver notre vie d’avant.
P.-S. Je tiens à souligner que je n’ai aucun conflit d’intérêts avec les fabricants de vaccins, tests, médicaments, masques, systèmes de ventilation ou de purificateur de l’air.

Antoine Flahaut

Le professeur et épidémiologiste Antoine Flahault.

UNIGE

La situation en 6 chiffres

120 090

personnes contaminées (cas confirmés en laboratoire) entre le 7 juin et le 4 juillet, dont 46 025 depuis le 28 juin. L’incidence des nouveaux cas est la plus élevée parmi les 30-39 ans (652 cas pour 100 000 habitants au cours de la dernière semaine), suivis des 50-59 ans (633).​


99%

des contaminations sont dues au variant Omicron.


313 842

tests réalisés depuis le 7 juin, dont 232 424 PCR (41,4% positifs) et 81 418 rapides antigéniques (42,8% positifs). Moyenne du 28 juin au 4 juillet: 46,1% de tests positifs sur les 14 915 réalisés quotidiennement.


38

décès confirmés en laboratoire depuis le 7 juin, 13 du 28 juin au 4 juillet.


45

des 797 lits disponibles en soins intensifs sont utilisés par des patients covid, soit 5,6% des capacités. 452 hospitalisations liées au Covid-19 durant la même période. 990 lits d’hôpitaux utilisés sur les 21 954 disponibles, soit 4,5%.


6 030 086

personnes sont entièrement vaccinées, soit 69,24% de la population. 6 700 000 personnes ont reçu au moins une dose, soit 72,24% de la population. 3 808 130 personnes ont reçu une dose de rappel, soit 43,7% de la population. Pour mémoire, sont considérées comme entièrement vaccinées les personnes ayant reçu deux doses des vaccins Moderna ou Pfizer/BioNTech, ou une dose de ces vaccins après avoir guéri d’une infection confirmée au SARS-CoV-2, ou encore une dose de vaccin Johnson & Johnson.
Source: OFSP

Par Christian Rappaz publié le 13 juillet 2022 - 07:56