Un tour et puis s’en va. Voilà ce que le magicien genevois Benjamin Kraatz a vécu le mardi 28 novembre sur M6 dans «La France a un incroyable talent». «La production ne retenant qu’une centaine de candidats sur près de 5000 dossiers, j’étais déjà content d’en être», souligne-t-il. L’aventure s’arrête, mais son numéro a été diffusé. Du coup, pas d’amertume. «C’est un concours. Le jury m’a atomisé, mais c’est le jeu. Cela m’aura permis de bénéficier d’une mise en avant fantastique et de toucher un large public.»
Beau joueur. «La plupart des magiciens sont des taiseux, pas moi», sourit Benjamin Kraatz, gueule d’acteur, le goût de l’échange, de l’humour. «Je viens de fêter mes 31 ans», sourit celui qui est né en septembre 1974.
Le Genevois a déjà une longue carrière artistique derrière lui. Il a été auteur, acteur, metteur en scène, réalisateur. Musicien aussi. Autodidacte. Pluriel. Enfant du rock, il a foulé la scène de Paléo et même enregistré avec feu David Richards, le mythique producteur de Queen. Fan ultime de David Bowie, il se produit encore avec les groupes Bowie Stories et Ciel à Vendre.
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Son père n’est autre qu’Hervé Loichemol, figure du théâtre romand. Il a emprunté son nom d’artiste à Harriett, sa mère, comédienne. Sa sœur et lui ont grandi à Begnins, puis à Genève.
Sa vie est un roman. «J’ai commencé à travailler comme acteur avec des pros à l’âge de 5 ans. Ado, j’ai rencontré Jean-Luc Godard, qui a fait de moi son «protégé» et m’a fait tourner dans «Hélas pour moi» avec Depardieu, présenté à Cannes. J’avais 17 ans. L’année d’après, toujours grâce à Godard, j’ai eu un agent à Paris. J’étais lancé. J’ai ensuite tourné avec Edouard Baer, Isabelle Nanti et plein d’autres, j’ai collaboré avec Michel Blanc.»
«Un cancre éclairé»
Il aurait pu prendre le cigare. «A 20 ans, je l’avais, le melon! Par bonheur, j’avais aussi des amis proches pour me ramener sur terre.» Depuis, trente ans ont passé. Une carrière d’acteur. Pas en tête de générique, mais une carrière quand même.
Et les études? Il esquive. «A l’école, j’étais un cancre éclairé.» Jolie formule. Le voici magicien, à l’aube de la cinquantaine. Explications. «En 2017, un dimanche, je tombe sur l’émission «Penn & Teller: Fool Us» diffusée sur Netflix, ça a été une illumination.» Penn F. Jillette et Raymond J. Teller sont deux stars de la magie aux Etats-Unis. «Ils ont des céréales à leur nom et leur propre dessin animé, pour situer.»
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Le principe du show, présenté par l’actrice Alyson Hannigan («Buffy contre les vampires»), consiste à accueillir des magiciens venus du monde entier. «Même David Copperfield y a participé, continue Benjamin Kraatz. Le but, c’est de les berner. A l’époque, devant ma télé, j’ai 43 ans et je ressens un véritable appel intérieur pour la magie.»
Son choix est arrêté. Il n’a rien d’absurde. «Robert-Houdin, le père de la magie moderne qui inspirera son nom au célèbre Houdini, a écrit vers 1870: «Un magicien est un acteur qui joue le rôle d’un magicien.» Pour moi, tout est là. Après trente ans à faire l’acteur, j’étais en quête d’un défi et d’un nouveau mode d’expression. La magie me les a donnés.»
Passionné, Benjamin Kraatz a l’esprit vif, créatif et le goût de l’indépendance. «Le magicien est son propre dramaturge et metteur en scène. Pour autant que tu sois autoentrepreneur, tu n’es tributaire de personne, sinon d’un public. Et comme un clown, un magicien est un personnage qui se façonne sur le long terme.» On le sent habité. Heureux d’avoir pris ce virage résolu en 2017.
Façon Daft Punk
Sous le costume de Machine, un robot casqué façon Daft Punk, Benjamin Kraatz a eu les honneurs de «Penn & Teller: Fool Us», où il a présenté le même tour qu’à «La France a un incroyable talent».
«Ce tour, je l’ai développé pendant le confinement, sans costume, confie-t-il. L’idée du robot m’est venue dans un second temps, pour souligner le rythme de mes mouvements. J’ai acheté le casque et tourné une vidéo dans ma cuisine que j’ai envoyée à Wolfgang Riebe, maître magicien sud-africain et l’un de mes mentors, qui a adoré. C’est lui qui m’a incité à le proposer à «Penn & Teller: Fool Us», avec succès.»
«L’ironie, ajoute-t-il, c’est que cette vidéo, je l’ai aussi envoyée à Swiss Talents, à «La France a un incroyable talent» et même en Angleterre. Les Suisses ne m’ont jamais répondu. Les Anglais ont refusé et les Français, après m’avoir rejeté, m’ont rappelé quand ils ont su que Hollywood («Penn & Teller: Fool Us» est produit par la Paramount, ndlr) m’avait dit oui.» Eclat de rire.
«La magie est un art qui exige de la dextérité, mais surtout beaucoup d’humilité, souligne l’artiste genevois. Il faut accepter de passer de Las Vegas à la soirée annuelle du FC Bellegarde.»
«On m’a découvert en France»
Gagne-t-on bien sa vie? «Le spectacle vivant, c’est toujours précaire, répond-il. Tu t’en sors en faisant des galas, en donnant des cours, en te produisant lors de soirées d’entreprise, de mariages et d’anniversaires. Parfois on te recrute comme consultant magie pour une pièce de théâtre dont une scène exige une technicité propre aux magiciens. Moi, je prends tout!» Benjamin Kraatz a aussi conçu un spectacle de magie comique intitulé «Un grand magicien», écrit et joué avec Oktay Gürbüz. Il s’adapte.
Son élimination éclair de «La France a un incroyable talent» ne le traumatise pas. «Je ne vais pas le cacher: j’espérais passer en huitième de finale. Il y a un peu de déception, mais c’est un concours. Tous les candidats n’ont pas la chance d’être diffusés. Je garde le positif.»
Le matin du tournage, dans les studios de M6, à Rueil-Malmaison, le Genevois était serein en quittant l’hôtel Ibis où il avait passé la nuit. «Au studio, j’ai été bien accueilli. L’équipe était aux petits soins.» Le comique québécois Sugar Sammy, la chanteuse Hélène Ségara, l’inénarrable Marianne James et bien sûr le magicien-humoriste Eric Antoine – qui, relève Benjamin Kraatz, «a contribué à dépoussiérer le monde de la magie en France» – composent le jury. L’enregistrement est public.
«Mon tour, j’ai bien dû le répéter 500 fois depuis deux ans, poursuit-il. Je sais qu’il tient la route. Le public a bien réagi.» Pourquoi cet échec dans ce cas? «Le jury n’a pas aimé, voilà tout. Les jurés sont des personnages. Ils dramatisent leurs critiques, parce que l’émission l’exige. Ils ne sont pas là pour devenir ton meilleur pote. Je connaissais les règles. Je me dois donc de rester sport.»
Il se souviendra qu’Eric Antoine est le seul à l’avoir «défendu» sur un plan technique. Le Genevois n’a aucune envie de polémiquer: «Je suis passé à l’antenne. On m’a découvert en France. Mon nom a circulé et c’est ce qui compte. Si tu es Coco l’asticot et que tu échoues, au-delà de l’élimination, tu risques en plus de te faire laminer sur les réseaux et ça peut faire très mal.» Il a raison. «La production (Fremantle, ndlr) a été extrêmement correcte avec moi, insiste-t-il. Quand tu sors du plateau, un psy vient immédiatement à ta rencontre. J’ai trouvé cela très pro.»
Benjamin Kraatz va maintenant poursuivre sa route, avec l’ambition de retourner aux Etats-Unis. Dans un univers où le secret est roi, lui nous racontera.