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Blaise Bersinger: «Je suis un enfant de la téloche»

L’«humoriste suisse 2020» Blaise Bersinger doit se plier en deux chez lui pour faire la vaisselle, à cause de sa taille. Ce Buster Keaton inclassable se raconte, à la veille de sa nouvelle création, à Cossonay (VD).

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L'humoriste Blaise Bersinger chez lui à Lausanne.

L’humoriste Blaise Bersinger (31 ans) tel qu’en lui-même, dans son appartement lausannois. Si on l’associe souvent au chef-lieu vaudois, il précise volontiers ces temps qu’il vient de la vallée de Joux par sa mère et de Saint-Gall par son père.

Julie de Tribolet
Marc David

Pas un cadeau de pondre un article sérieux, avec son lot d’informations de bon aloi, quand on a rendez-vous avec le sbire Blaise Bersinger, chantre du non-sens connu pour être l’auteur immémorial du one man show «Peinture sur chevaux 2» (2016), mais aussi créateur de «Blaise le blessé», qui a confondu sa lentille et un couteau et saigne pas mal, ou de «Blaise de droite», qui trouve les histoires de harcèlement un peu exagérées et se réjouit d’aller au ski en voiture.

Pas évident de s’attendre à quelque chose quand on va rencontrer ce faux ahuri qui, quand les librairies Payot lui ont demandé de choisir «Le livre de sa vie», a opté pour Monsieur Costaud et pleurait à chaque fois de rire en voyant ce petit livre pour enfants bien en place dans la vitrine lausannoise, entre les Barjavel ou Murakami des autres personnalités.

Dans son logis où il accueille sans chichi, l’espace est trop exigu pour caser partout son mètre 91. Après avoir montré comment il doit se plier en deux pour faire la vaisselle ou se brosser les dents, le réveilleur de La revue de Lausanne, en 2018, s’attable dans son salon où seuls des dessins de Magritte rappellent son goût pour l’absurde.

Sérieux, il peut tout à fait l’être, et aimable. Il se permet juste de pimenter une phrase ou l’autre d’une syllabe d’accent vaudois soulignée d’un sourire qui se veut niais et naïf, mais l’est-il?

A part cela, il se raconte. Lausannois, quartier Sous-Gare, il dit le petit garçon qu’il était au collège de l’Elysée et les petits-déjeuners à côté, au CPO, un lieu aimé qui l’a vu débuter mais dont il ne pardonne pas l’absence de beurre sur les tartines. Il dit l’enfance avec deux figures parentales différentes, dont il prend garde à ne pas préciser laquelle est laquelle: «Il y avait d’un côté celle qui encourage à fond et se rend compte que l’enfant est très créatif. Et l’autre plus du genre: «Je crois que cet enfant se développera assez bien si on lui fout la paix.» J’ai bien aimé cet équilibre.» S’ils ne pratiquent pas des métiers artistiques, les parents sont musiciens, le violon pour elle, le piano pour lui, et ils ont de l’oreille. «Le genre à rire en écoutant Espace 2 parce qu’un accord est douteux», explique Bersinger. Lui, on lui fiche donc la paix. Plus tard, lesdits parents l’adouberont quand ils le verront intégrer les Dicodeurs, réussite ultime.

L'humoriste Blaise Bersinger chez lui à Lausanne.

Blaise Bersinger a fini par retrouver son chat, baptisé Q, qui s’était enfui. Il a passé des semaines à le chercher dans le quartier: «Je le sifflais plutôt. Vu le nom de l’animal, je me serais fait coffrer si j’étais passé devant une école…» Il aime son chat, car «ce n’est pas un «gens». Il m’apaise, il n’a pas d’avis sur les trucs ou d’agenda. Il s’en fiche.»

Julie de Tribolet

A l’école, il est bon élève et minimaliste. Il apprécie défier l’autorité tout en se conformant à ce qu’on lui demande. Les branches où il est le plus doué sont celles où il se montre le plus insupportable: «Si j’avais 6 de moyenne en espagnol, je téléphonais pendant cinq minutes avec ma trousse.» Il est si attaché à en faire le moins possible qu’il finit par taper dans le mur à l’université où, par flemme, il a choisi un bachelor de linguistique et français médiéval. «Dans ma tête, j’étais trop jeune pour l’uni», reconnaît-il.

Recalé, il dira donc des bêtises dans le poste, «du moment où on me donne des sous pour cela». Ce seront des passages par LFM, Rouge FM. Puis Couleur 3 et la RTS avec Mauvaise langue ou l’actuel Ça joue. Il se définit comme «un enfant de la téloche », qu’il allumait quand ses parents étaient absents. Ses influences vont des Dicodeurs à Gad Elmaleh, en passant par Les Inconnus, François Pérusse, Les Robins des Bois. Côté caractère, il a la chance de n’avoir peur de rien. Son statut de fils unique lui a appris à s’inventer son «propre fun en permanence. J’avais juste des cousins aux Grisons, que je ne voyais même pas une fois par an. Alors je créais de faux pays, une ville avec six équipes de foot, j’inventais.»

L’improvisation, seule relique de sa scolarité, s’impose comme une évidence. Il s’y met en danger avec un naturel désarmant. Profession de foi: «Le trac, je l’ai peu, voire pas du tout. Je suis tellement convaincu que j’ai ma place dans ce truc que je n’ai pas tellement le syndrome de l’artiste qui arrive sur scène en se disant: «Mon Dieu, pourquoi je fais ça?» Je suis plutôt: «Tout cela ne sert à rien, cela ne va pas sauver des vies, pourquoi 750 personnes viennent-elles voir ce que je fais? Elles pourraient toutes faire la même chose!»

Meilleur exemple récent, la création qu’il prépare à Cossonay, car, après plusieurs spectacles collectifs, dont le pas si triste Les gens meurent, il aspire au solo. Pour ces dates d’octobre, il avait envie de s’accompagner au piano-basse-batterie-chant et a donc travaillé la musique depuis janvier. Aujourd’hui, il constate qu’il ne «progresse pas du tout à la vitesse souhaitée », sourit-il. Il n’est même pas sûr qu’il jouera. «Je vais peut-être placer un espace musical sur scène et y aller cinq minutes, mais ce n’est pas dit.» Beaucoup en seraient malades. Lui, ça va: «Récemment, je me suis couché en me disant que je sais que je vais pouvoir faire un machin sans musique pendant une heure. Je n’ai pas peur pour moi, peut-être un peu que les gens s’ennuient. » Par rapport à eux, d’ailleurs, il ne se dit pas bouffi d’empathie. Assène avec un peu trop d’assurance que «le problème avec les gens, c’est qu’ils ont tous un avis, des maisons avec des impératifs, et qu’ils sont nombreux. Les prendre individuellement, je trouve cela vertigineux.»

Il devient pourtant touchant quand il évoque quelqu’un comme le producteur Pierre Naftule, disparu en mars: «J’ai peu travaillé avec lui, mais il planait au-dessus de nous, Thomas Wiesel, Nathanaël Rochat. Il était une couverture chauffante, je savais que si j’avais un problème, une peur, il y avait Pierre. Il me manque, bien sûr. Et il se comportait un peu comme moi avec les gens.»

Le sens? L’absurde lui suffit pour lui-même. «Si je parle de trois requins qui s’engueulent au jass, je ne dénonce pas les dérives du jeu. C’est juste que des requins jouent au jass.» Il laisse la porte ouverte: «Bon, la même interview à 42 ans, je vous dirai peut-être que c’est important d’utiliser sa voix pour faire passer des messages. Là, non.» Dans sa carrière, pas de polémique à la Claude-Inga Barbey, il en est presque déçu. «Cela peut me tomber dessus. A Nouvel An, j’ai écrit un papier avec une blague méga-raciste, et rien. Je pense que j’ai du bol d’être dans la génération qui arrive en même temps que les nouvelles idées. De facto, on est un peu allié avec ce truc.»

Ses rêves? Un film ou une série du type Kaamelott et qui se passerait dans l’espace. Et «une comédie musicale sur la Protection civile», forcément. Ah, on ne l’a pas encore dit et ça, cela a du sens: on le trouve drôle.

>> Le one man show «Pain surprise» a lieu les 6-7 octobre à Cossonay (VD). Le spectacle «Les gens meurent» continue d’octobre à décembre à Sion, à Monthey, à Neuchâtel et à Vevey. https://lesgensmeurent.ch

Par Marc David publié le 5 octobre 2022 - 08:47