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Christian Constantin: «La ligue a eu notre peau»

S’il rend hommage au Stade Lausanne Ouchy (SLO), qui a envoyé le FC Sion en Challenge League à la régulière, Christian Constantin confirme qu’il intentera un procès civil à la Swiss Football League (SFL), coupable selon lui d’avoir manipulé le championnat et le processus d’octroi de la licence de jeu. Le président valaisan réclame un dédommagement de 25 millions pour cette saison qu’il qualifie de tronquée.

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Christian Constantin et Pablo Iglesias lors du match retour du barrage de promotion en Super League et de relégation en Challenge League de football entre le FC Sion et le SLO

A la Pontaise, le mardi 6 juin, Christian Constantin (à gauche) et Pablo Iglesias, le directeur du FC Sion, étaient réellement assis sur des sièges éjectables. Ils sont partis avant la fin du match remporté par Stade Lausanne Ouchy 4 à 2.

Laurent Gillieron/Keystone

- Dans quel état d’esprit êtes-vous une heure après la relégation (mardi 6 juin à 23 heures)? Déçu, en colère, découragé, dégoûté même? 
- Christian Constantin: Non, non, rien de tout cela. Au vu du match de Lausanne, je pense qu’on aurait pu faire mieux, mais après notre ratage du match aller, notre marge de manœuvre était ténue. Cela dit, j’ai vu un SLO fringant, qui présente un bon football et a mérité sa victoire. C’est la loi du sport. Il faut l’accepter. Bien sûr, ce n’est pas plaisant de vivre une relégation, la première pour moi. Mais je n’ai pas d’amertume. Ce revers, je ne le prends pas comme quelque chose de négatif mais comme un pas de retrait dans mon processus de départ et un signe qui dit: «On a vécu de belles aventures, écrit de belles pages d’histoire, tu as fait ton job de président pendant vingt-cinq ans, c’est plus que tout le monde dans le pays et, malheureusement, cette année ça n’a pas marché.» Maintenant, la manière dont tout cela s’est passé est autre chose. Il nous a manqué un point pour nous sauver en championnat et les arbitres nous en ont volé vingt. Quand tu es constamment volé, cela devient compliqué de garder ta bijouterie ouverte.

- Vous confirmez vouloir entamer une procédure civile contre la Swiss Football League (SFL)? 
- La SFL étant incapable d’assurer un championnat régulier et honnête pour tout le monde, tant au niveau de l’arbitrage que de l’octroi des licences, j’y suis forcé. Cette procédure n’est pas du tout dirigée contre le FC Yverdon, qui essaie de s’en sortir malgré ses lacunes d’infrastructures, mais contre la ligue, qui ne respecte pas son propre règlement. Je ne vais pas l’attaquer en tant que club. A ce titre, on a pris dans les dents, j’accepte. Mais je vais l’attaquer en tant qu’actionnaire de l’Olympique des Alpes, propriétaire du FC Sion, à qui la ligue demande de mettre plusieurs millions par année pour respecter les conditions de sa licence de jeu et de l’activité qui en découle, conditions qu’elle bafoue elle-même. Moi, si je livre un bâtiment avec des malfaçons, je dois réparer et rembourser mon client, ce qui est normal. Par cette procédure civile, je veux démontrer deux choses: que la SFL ne respecte pas le contrat qui nous lie, volontairement ou involontairement, et qu’elle manipule le championnat en s’appuyant notamment sur la VAR. Dès lors, je réclame un dédommagement de 20 à 25 millions de francs, qui correspond au budget de cette saison et à son coup d’arrêt.

- Vos accusations sont très graves… 
- Ecoutez, je constate que l’ex-président de la commission des licences a récemment été condamné pour faux en écriture et obtention frauduleuse d’une fausse attestation dans une affaire extra-sportive et qu’il ne se passe pratiquement pas un week-end sans que l’ancien arbitre international Urs Meier écrive dans «Blick» que le FC Sion a été lésé par l’arbitrage. Il est vrai qu’avec la bénédiction de la VAR un de nos adversaires a même pu jouer au handball dans ses 16 mètres sans qu’il y ait faute de main. Au bout du compte, ma procédure relèvera d’un cas d’école pour démontrer que, contrairement à ce que les Alémaniques prétendent, le Röstigraben existe bel et bien et que, quand on n’agit pas correctement, cela a un prix.

- Ce qui passe mal et choque l’opinion, c’est que vous avez vous-même donné votre accord pour que le FC Yverdon évolue à Tourbillon le temps de mettre ses projecteurs en conformité...
- En tant que locataires du stade de Tourbillon, nous avons simplement été consultés par la commune de Sion, propriétaire du stade. Je me suis effectivement associé à cet accord de principe pour arranger le FC Yverdon. Mais les modalités du deal ont été proposées par la commune (prix forfaitaire de 550 000 francs pour la saison, soit 25 000 francs par match) et celui-ci a été conditionné par la SFL, qui exigeait du club vaudois qu’il lui présente, pour le 2 juin au plus tard, ses accords passés avec la Police cantonale valaisanne, la Police régionale des villes du centre et les autorisations de manifestations ad hoc. Ce que le FC Yverdon n’a pas fait. Conclusion: en lui accordant la licence de jeu, la SFL n’a pas respecté les règles qu’elle a elle-même établies, ni le contrat qui nous lie. Autre chose que les gens ignorent: non seulement le FC Yverdon n’a pas eu besoin de fournir de papiers officiels mais moi, le jour où j’enterre mon père, la SFL me refuse un délai de cinq heures supplémentaires pour lui envoyer un document. Cette politique de deux poids, deux mesures, je la vis depuis des années.

La Swiss Football League a mis en demeure, le 25 mai dernier, le FC Yverdon de lui faire parvenir les documents relatifs à l’obtention de la licence de jeu

La Swiss Football League a mis en demeure, le 25 mai dernier, le FC Yverdon de lui faire parvenir les documents relatifs à l’obtention de la licence de jeu, au plus tard le 2 juin. Ce que le club du Nord vaudois n’a pas fait. Malgré cela, la SFL lui a accordé une licence en attendant que le club se mette en conformité au sujet de l’éclairage de son stade.

DR

- Mais vous sortez de six saisons très compliquées, vous portez tout de même une grosse part de responsabilité dans cet échec... 
- On ne fait jamais tout juste quand on dirige un gros bateau comme un club de foot professionnel. Mais je ne crois pas que mes erreurs avaient le poids d’une relégation. En plus des problèmes évoqués, nous avons eu beaucoup de malchance. Notre gardien est tombé malade et nous n’avons jamais eu autant de blessés graves que cette saison. On a également beaucoup misé sur Mario Balotelli, qui estimait pouvoir marquer 20 à 25 buts alors que, au final, il en inscrit deux, hors pénaltys. Mario ne nous a pas rendu la confiance placée en lui, ni récompensés pour les gros efforts que nous avons consentis.

- Balotelli est une énorme déception. Trahison serait même un mot plus juste… 
- Je préfère ne pas penser à Balotelli, cela m’évite de dire ce que je pense. Ce garçon considère que les règles qui régissent un collectif sont surtout faites pour les autres. Si des agents trouvent leur intérêt à le placer dans un pays qui n’accorde pas la même valeur à l’argent que nous, peut-être rejouera-t-il bientôt. Ou pas. C’est peut-être mieux ainsi.

- Vous bouclez votre 25e saison sous les critiques acerbes de certains supporters. Vous êtes touché? 
- Ça ne fait jamais plaisir d’être critiqué. Surtout quand tu as dû mettre plus d’énergie et d’argent que les autres pour pouvoir régater à ce niveau. Aujourd’hui, je me dis: «A quoi bon se battre pour présenter un spectacle pour des gens qui non seulement ne t’amènent rien, mais te coûtent des centaines de milliers de francs en amendes, des nuits blanches en emmerdes, te critiquent et cassent du policier?» Malgré tout, je dois leur reconnaître une chose: des mecs aussi cons que moi, y en a pas beaucoup. Quand ils me traitent de crétin des Alpes, ils ont raison. Il faut vraiment être abruti pour faire autant d’efforts et dépenser autant d’argent pour le foot. Cela a été ma vie pendant vingt-cinq ans, je ne regrette rien. Je rappelle juste au passage qu’il n’y a que deux présidents qui ont fait le palmarès du FC Sion: monsieur Luisier et moi. Il ne faut pas se faire d’illusions, aucun privé ne reprendra le flambeau.

- Que sera le FC Sion version Challenge League, visera-t-il une remontée immédiate? 
- Je sais d’expérience que quand tu tombes, tu dois te relever. Mais derrière les grandes phrases, il y a la réalité du terrain. Conserver le professionnalisme en Valais exige des infrastructures et des recettes que nous n’avons pas. Aujourd’hui, nous entrons dans une période de transition qui risque de ramener le club vers la ligue amateur ou semi-professionnelle. Quelque chose comme la Première Ligue promotion.

Le Stade Lausanne Ouchy fête sa victoire le 6 juin 2023

La Pontaise, 6 juin, 22h19, la joie est immense: Stade Lausanne Ouchy entre dans l’élite du foot suisse et célèbre sa victoire historique, après s’être imposé 4-2 (6-2 score cumulé) contre le FC Sion.

Jean-Christophe Bott/Keystone

- Beaucoup ne croient pas à votre départ, en décembre 2024... 
- Comme tous les êtres humains, j’avance en âge et j’ai d’énormes projets professionnels à terminer avant de tirer ma révérence. Mon contrat d’exploitation de Tourbillon avec la ville se termine en décembre 2024. Cela signifie que je peux encore remplir les conditions de la licence pour cette saison mais pas plus loin. Après, j’aviserai, selon la politique que le club adoptera. La commune, avec laquelle j’entretiens d’excellentes relations, est consciente que les infrastructures, qui datent de bientôt soixante ans, sont obsolètes. Mais elle a besoin de temps pour prendre des décisions, c’est normal. Le problème, c’est qu’à mon âge je n’ai plus une minute à perdre. Et puis, nul n’est irremplaçable. Cette relégation me permet de me diriger gentiment vers la sortie.

- On vous sent un peu aigri... 
- Pas aigri. Réaliste. Il y a trop d’embûches pour poursuivre ce rêve de Super League devenu une chimère pour nous. Pas d’infrastructures, fermeture d’une tribune qui te prive de recettes, pas d’aide à la formation mais, au contraire, des taxes, des frais de sécurité et de location à n’en plus finir. Et puis, cerise sur le gâteau, on te dit que le mécénat n’est plus possible, que tu dois payer des impôts sur tous les francs que tu mets dans la caisse du club. Et puis, pour dire vrai, je ne ressens plus le même plaisir. Tout a changé. A commencer par la mentalité des joueurs pour qui le palmarès, l’honneur et la fierté de porter un maillot n’ont plus vraiment de sens. Qu’ils gagnent ou qu’ils perdent, ils s’épanchent sur les réseaux et sont plus prompts à organiser leurs vacances qu’à chercher les ressources pour retourner un résultat.

- Vous avez vous-même tué l’identité valaisanne du club avec votre politique…
- Je ne suis pas d’accord. Mardi, il y avait sept joueurs formés au club sur la feuille de match. Le problème est ailleurs. La jeunesse d’aujourd’hui n’a plus l’envie de faire les mêmes efforts que nous. La plupart des jeunes qui arrivent chez nous ont été élevés dans des crèches. Tu le sens dans leur comportement, ce n’est plus la même éducation, le plus souvent dirigée par la loi du moindre effort. Or le foot demande de gros efforts pour réussir. De plus, la volonté de s’engager pour un collectif n’existe plus, ou si peu. Aujourd’hui, les joueurs parlent surtout contrat, vacances, c’est du chacun pour soi. Mais je ne les accable pas plus que tant. Quand ils apprennent qu’en quatorze ans à Real Madrid Karim Benzema n’a gagné «que» la moitié de ce qu’il va gagner la saison prochaine, je comprends qu’ils perdent leurs repères et leurs valeurs. Je n’ai peut-être pas assez tenu compte de ces changements de paradigmes.

- Vous n’êtes pas fatigué de tout ça? 
- Si. Je pars quinze jours en vacances en Indonésie pour remettre de l’ordre dans mes idées. A Bali, puis en croisière. Sur l’eau, loin des stades. Quel bonheur! 

Par Christian Rappaz publié le 15 juin 2023 - 09:29