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Cinéma

«Ciao-ciao Bourbine»: rencontre avec le duo de choc Beat Schlatter et Vincent Kucholl

Ils sont tous les deux des stars du rire dans leur région linguistique. Mais Beat Schlatter est strictement inconnu en Suisse romande et le nom de Vincent Kucholl n’évoque rien non plus outre-Sarine. Dans le film «Ciao-ciao Bourbine» (en allemand: «Bon Schuur Ticino»), les deux compères jouent des flics chargés de faire respecter une nouvelle loi: toute la Suisse doit communiquer en français! Rencontre avec deux comédiens qui prouvent que l’humour rassemble les Suisses même s’ils ne parlent pas la même langue.

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Beat Schlatter et Vincent Kucholl sont à l'affiche de la comédie «Ciao-ciao Bourbine»

Problèmes de communication? Pas du tout. Beat Schlatter (à g.) et Vincent Kucholl s’entendent sans mot dire.

Remo Buess

A l’heure dite, précis comme une horloge, Vincent Kucholl, 47 ans, franchit le porche de l’hôtel Schweizerhof de Berne, où doit avoir lieu le shooting photo de «L’illustré». Beat Schlatter, 62 ans, arrive cinq minutes plus tard. «Encore un cliché à réfuter», dit-il en rigolant. La réputation qu’ont les Romands de n’attacher guère d’importance à la ponctualité ne s’applique manifestement pas au Lausannois.

Il y a beaucoup de préjugés qui participent à la construction du Röstigraben entre les deux principales régions linguistiques du pays. La comédie «Ciao-ciao Bourbine» du réalisateur Peter Luisi, en salle depuis le 17 janvier, s’en moque sans pitié mais avec tendresse. Le scénario du film est simple: le peuple est appelé à voter une initiative populaire qui exige l’usage d’une seule langue nationale en Suisse, le français. Beat Schlatter, dans le rôle d’un agent de la police fédérale, et Vincent Kucholl, son collègue romand, sont chargés d’organiser le passage au monolinguisme et, ce faisant, de garder le contrôle sur des Tessinois récalcitrants. «L’idée en soi est déjà complètement loufoque, commente Beat Schlatter. Imaginez que d’un jour à l’autre toute la Suisse alémanique doive s’exprimer en français. Le désastre est assuré!»

Le Zurichois sait de quoi il parle, vu que ses connaissances de la langue de Voltaire se limitent à «oui», «non» et «au secours!». Et cette dernière exclamation, il ne la connaît que parce qu’il doit la prononcer dans le film. Vincent Kucholl, lui, estime qu’il parle l’allemand comme une vache espagnole, même si l’on comprend très bien son allemand littéraire. «Mais sûrement pas aussi bien que ce devrait être le cas après huit ans d’apprentissage scolaire. D’ailleurs, le fait de savoir que l’école nous enseigne une langue que nul ne parle vraiment à Zurich ou à Berne n’est pas particulièrement motivant.»

Beat Schlatter et Vincent Kucholl pour la promotion du film «Ciao-ciao Bourbine»

Les deux moitiés d’un tout? «Ciao-ciao Bourbine» joue sur les clichés.

Remo Buess

Le fossé ville-campagne est plus profond


Devant l’objectif du photographe, les deux compères se comprennent sans mot dire. Un regard, un signe de la tête, un sourire et ils prennent la pose, esquissent un rictus, échangent des fringues. Tout en riant à gorge déployée. On comprend qu’ils pratiquent le même humour. «Le Röstigraben? Quel Röstigraben?» réplique Kucholl lorsqu’on lui demande si cette fameuse barrière n’a pas une influence sur ce que l’on juge drôle ou pas. «Il n’est pas si profond que ça, complète Schlatter. Je crois que le fossé entre ville et campagne est bien plus profond que celui qui sépare les régions linguistiques. On le constate à chaque votation.»

Vincent Kucholl et Beat Schlatter ont pu se persuader au fil de multiples visites dans la région «d’en face» que bien des préjugés étaient infondés. Schlatter: «En Suisse romande, ils ne boivent pas tous une bouteille de vin blanc au repas de midi.» Kucholl: «La Suisse alémanique n’est pas un enfer culinaire, même si je trouve le riz Casimir discutable.»

Il faut savoir rire de soi-même


La frontière des langues joue en revanche un rôle important sur le plan culturel. Par exemple, Beat Schlatter peut à peine déambuler dans Zurich sans être reconnu, tandis que personne ne se retournerait sur lui à Lausanne ou à Genève. Et Vincent Kucholl passe pour une star en Suisse romande alors que pratiquement personne ne le connaît outre-Sarine. Mais cela pourrait bientôt changer. Car non seulement on verra bientôt Kucholl sur le grand écran, mais on le voit d’ores et déjà à la TV des deux côtés de la Sarine: en compagnie de Vincent Veillon, avec qui il anime le légendaire format «52 minutes», il apparaît dans la série télévisée «Tschugger». Ils y jouent deux policiers valaisans pas tout à fait nets. Le rôle de Kucholl est certes pour l’essentiel muet mais, lors du tournage, il a étendu son répertoire d’allemand de quelques mots inventés pour l’occasion.

Contrairement à Beat Schlatter, Vincent Kucholl n’a pas dû, dans son enfance, compenser de lamentables performances scolaires par une langue bien pendue. «Mais j’ai toujours eu de l’humour.» Après ses études de Sciences Po, il réalise un rêve d’enfant et suit des cours d’art dramatique. «C’est génial de pouvoir aujourd’hui réunir ces deux formations dans des spectacles où le politique se marie avec l’humour», dit ce papa d’une petite fille (un deuxième enfant est en route). Du côté alémanique du Röstigraben, il arrive qu’on lui reproche des «sorties de bas étage» quand il évoque nos confédérés suisses alémaniques. Mais dans la «Weltwoche» il a rétorqué sereinement: «Dans ce pays, quand on pratique un humour à contenu politique, on pense forcément au pouvoir politique de Berne et au pouvoir économique de Zurich. On ne proclame pas des vérités dérangeantes pour la Suisse alémanique en général.» Pour lui, l’essentiel est de savoir rire de soi-même. «Or je crois qu’on sait le faire aussi bien par-delà la Sarine qu’en Suisse romande. Sur le fond, nous ne nous prenons pas très au sérieux, ne serait-ce que parce que, sur la carte, nous occupons une petite surface.» 

Beat Schlatter et Vincent Kucholl pour la promotion du film «Ciao-ciao Bourbine»

L’amour fou? «Il y a plus de choses qui nous unissent que de choses qui nous séparent. Et, d’ailleurs, les mêmes choses nous énervent», pense Vincent Kucholl.

Remo Buess

Une partie de notre identité


Qu’en est-il alors de ce fameux Röstigraben? «Je crois qu’il nous unit plus qu’il ne nous sépare», pense Beat Schlatter. «Nous aimons les mêmes choses, nous nous énervons à propos des mêmes choses, complète Vincent Kucholl. L’autoroute, les CFF, la Migros et la Coop.» «Le multilinguisme, et donc le Röstigraben, fait partie de notre identité. Une Suisse monolingue est impensable», conclut Beat Schlatter.

Les images sont dans la boîte. Un ultime expresso avant que les chemins des deux comédiens ne se séparent. L’un part pour Zurich, l’autre pour Lausanne. Mais avant, ils font encore un test sur l’appli de traduction de leur smartphone: «C’est par où la sortie?» A leur grand étonnement, ça ne fonctionne pas si mal. «Un peu pénible, quand même», juge Schlatter. Kucholl rit, il pose la main sur l’épaule de son camarade et fait un signe de la tête en direction de la porte. Pourquoi faire compliqué quand c’est tout simple? 

Familienbloggerin Sandra C.
Sandra CasaliniMehr erfahren
Par Sandra Casalini publié le 24 janvier 2024 - 09:59