Il y a trente ans, un garçon du Nord vaudois dévorait chaque épisode de «La télé des Inconnus», sur Antenne 2. Le jeune Vincent Kucholl, car c’était lui, les regardait parodier la France entière et il rêvait. Dans son for intérieur, puisque la peur du ridicule l’empêchait d’en parler à quiconque, il se voyait à leur place.
Le jeune homme a attendu d’avoir 20 ans pour que la graine éclose. Au sortir de l’école de recrues, ce fabuleux vivier si on possède le sens de l’observation, il s’est lancé dans l’improvisation et a gagné le concours Nouvelles Scènes, que «L'illustré» organisait. Il campait un militaire suisse alémanique, déjà. Imaginait-il une génération plus tard être à la tête d’une telle folle armée de personnages? De «Sé» Jaquet à Jean-Bernard Prêtre, par le biais de la radio puis de la télévision, ils sont exactement 526 caractères à avoir empli les années 2010, selon le compte tenu par les photographes auteurs du livre qui sort le 28 octobre.
Le jeune Kucholl aurait-il cru à ces mots de l’écrivain Antoine Jaccoud qui, dans la préface, note que «ces personnages ont eu une influence véritable sur notre existence. Ils ne nous ont rien moins qu’encouragés à doucement nous moquer de notre voisin, de notre collègue, de notre frère-sœur-humain·e et nous ont aidés à vivre avec elles et eux.» La clope au bec et le verbe haut, Berclaz et les autres ont donc contribué à nous accepter tels que nous sommes, avec nos accents, nos vices et nos marottes, en une réelle noblesse de la différence. «Les mots d’Antoine Jaccoud me touchent, dit Vincent Kucholl. Car, derrière ce que nous proposons, il y a de la tendresse, un appel à la tolérance. On ne flingue jamais personne. De plus, quand la moquerie est bien faite, elle est documentée, elle démontre l’intérêt qu’on ressent pour le sujet.»
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Alors, fin 2019, à la veille des 10 ans d’un duo de forçats débuté en vidéo en 2011, quand un couple de photographes, Anne Sophie et Benoît de Rous, a proposé aux «deux Vincent» de réaliser une immense galerie de portraits alors qu’ils passaient à Vevey avec le cirque Knie, ils ont dit oui. S’est ensuivie une organisation logistique au cordeau, une gestion des agendas digne d’une Fête des vignerons. Tout au long de l’aventure, retardée de près de huit mois par la pandémie, ils ont aimé se laisser faire et ont été conquis par le professionnalisme de l’entreprise.
«Avec Vincent, nous partageons la même admiration pour les gens passionnés par leur job, que ce soit un photographe ou un ébéniste», dit Veillon. L’opération a pu être rendue possible par des assistants en or, Maude Golay côté «deux Vincent», Alex Annen côté photographes, sans oublier les éditeurs Cyril Jost et Nathalie Kucholl, sœur de Vincent. Résultat, comme l’écrivent les auteurs, «ce n’est pas tous les jours que vous ouvrez un livre de photographies pour y trouver un berger allemand au volant d’une Škoda, Christian Constantin en doudoune, 100 briques de Choco Drink sur un parking, des Valaisans devant un jet privé, un «Zugchef» sur un Solex, des faux billets, des vraies pives, une réflexion sociale sur le prix de l’essence, une retraitée qui mange un cornet à la crème et le nouveau best-seller de Joël Plusépais»… «Ce fut une belle expérience, avec une synergie à tous les étages et beaucoup de gens qui nous ont tendu la main», ajoute Anne Sophie de Rous.
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Régalons-nous du fin Veillon et du protéiforme Kucholl. Pourtant, inutile de demander à ce dernier de faire rire sur commande s’il n’a pas le costume. «Avec un masque, je deviens quelqu’un d’autre. Sinon, c’est difficile et je n’aime pas trop cela», dit ce perpétuel angoissé et grand travailleur. Veillon, pareil dans l’exigence, reconnaît: «Vincent a une faculté assez unique de se transformer. Son visage et son corps permettent cela, je le constate toujours avec étonnement.»
Et Kucholl, licencié en sciences politiques avec une légère obsession pour la véracité de tout ce qu’il avance, tire de cette aventure une morale encourageante: «Que ce soient les enseignants, les croque-morts, les Valaisans, les réactions des gens que nous pastichons dénotent une autodérision salutaire. C’est un trait particulier de ce petit coin du monde. On aime y rire de soi-même.»
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