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Portrait

Claude Luisier, le fromager star de TikTok

Il est devenu une star des réseaux sociaux en racontant ses fromages qu’il affine dans une cave bicentenaire à Leytron. Portrait d’un sexagénaire valaisan qui, quoi qu’il arrive, en fera toujours tout un fromage!

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Claude Luisier, ici avec son fils Michel, a réussi, grâce à ses vidéos, à faire découvrir et aimer le fromage à près de 2 millions d’internautes. 

Claude Luisier, ici avec son fils Michel, a réussi, grâce à ses vidéos, à faire découvrir et aimer le fromage à près de 2 millions d’internautes. 

Fred Merz/Lundi13

Luisier l’affineur. Deux mots indissociables pour les 2 millions de personnes qui le suivent sur les réseaux sociaux. C’est assez incroyable, mais ce Valaisan de 68 ans est devenu une star en racontant tout simplement sur TikTok ou YouTube son amour des fromages, comment les fabriquer, comment les manger et surtout comment lui conserve, parfois durant des années, certaines pièces parmi les 2000 qu’il affine dans sa cave de Leytron. A 12°C et 92% d’humidité. Là où autrefois sa grand-mère stockait légumes, vins et fromages. Là aussi où il tourne ses vidéos qui font un tabac dont il est le premier surpris. Surtout quand un jeune fan lui déclare dans la rue: «Je n’aimais pas le fromage, je ne l’aime toujours pas, mais vous, je vous suis!»

Qui aurait pu imaginer que ce sexagénaire allait captiver les foules en parlant du poil de chat (un champignon) présent sur la tomme de Troistorrens ou celle de Savoie? Et il vous parle encore des herbes d’alpage, celles qui vont donner un goût si particulier au fromage, comme un amoureux de la femme de sa vie. Ah, cette dent-de-lion sur l’alpage de Chaupalin, cet anis, ce thym... «Et 500 mètres plus haut, on trouvera l’edelweiss et ce sera encore différent», ajoute-t-il. Ses yeux en circonflexe qui accentue un éternel air malicieux se ferment un instant. Avant de se rouvrir pour nous assurer que 95% des fromages de sa cave sont fermiers et de petite production, le plus souvent au lait cru. Des pépites qu’il va dénicher un peu partout en Suisse et au-delà des frontières. Sans parler de sa feta grecque, chouchou du moment, vieillie en fût de chêne comme un bon vin. 

Luisier l’affineur, c’est également un sens du marketing aussi effilé que son couteau à fromage. Les ventes ont doublé et la moitié se passent sur internet. Mais au-delà du succès, il y a un engagement, une mission qu’il décrit en trois mots: «Défendre le patrimoine.» Oui, il y a du Winkelried, du Guillaume Tell chez cet homme-là, né le jour de la Fête nationale. Il faut l’imaginer pourfendant une armée de Babybel, luttant pour l’honneur perdu du sbrinz, injustement détrôné par le parmesan et tout aussi goûteux râpé sur des spaghettis. «Ce sont les fromagers suisses qui ont passé la frontière pour apprendre à le faire aux Italiens. Il mérite de revenir en force sur nos plateaux – même si, bien sûr, j’ai aussi du très bon parmesan dans mes caves!» Claude Luisier, c’est Don Quichotte versus les «vaches qui rient» produites par l’industrie.

 

Quand le youtubeur Legend lui fait goûter un Ficello devant la caméra, il affiche, un peu cabotin, une mimique horrifiée. «Ça manque de saveur, de longueur en entrant en bouche, j’ai le sel et après plus rien!» «Claude parle comme ça, caméra ou pas. C’est tout à fait lui dans les vidéos, il reste authentique!» assure Anne, sa femme, qui travaille à ses côtés. Avec ce léger décalage malgré tout entre le grand-papa qui raconte des contes de f...romages avec cet accent du terroir qui fait mouche et l’affineur aussi fin qu’une lamelle de Tête de Moine: grand, mince, élancé, chemise cintrée, pratiquant tennis, ski, vélo et roulant en Tesla. Il s’amuse de la remarque. «Le sport m’a sauvé... et, oui, j’aime bien m’habiller.» 

«Vous êtes le monsieur du fromage?» lui a demandé l’autre jour un type dans le métro parisien. Claude Luisier a d’abord dit non, puis oui, parce que finalement il est fier de cette notoriété. «J’ai eu de la chance dans la vie d’être né dans le bon produit», dit-il avant de nous emmener à Ovronnaz, là où tout a commencé. Le restaurant familial La Promenade, tenu aujourd’hui par son frère et sa belle-sœur. «Les légumes venaient de notre jardin, mon père élevait des poules et des coqs. Son coq au vin était fameux loin à la ronde. Son foie gras aussi. La bête n’était jamais gavée de force. Mais comme les animaux dévoraient les restes du restaurant, la cirrhose arrivait naturellement!» Il rit, ajoutant qu’il y a prescription, il peut en parler.  Evidemment, pour la photo, il ira racler son fameux fromage de l’alpage de Chaupalin, retrouvant des geste qu’il faisait déjà à l’âge de 10 ans.

De 1984 à 2000, on le retrouve à la tête d’un restaurant à Saillon. «On appliquait la méthode easyJet, sourit-il. Les huit premiers qui réservaient avaient une réduction de 50%, les huit suivants 25% et les dix qui venaient ensuite 10%.» Inutile de dire que le restaurant était souvent complet. Des méthodes de marketing qui trahissent l’ancien élève de l’Ecole hôtelière de Lausanne. «On a aussi été les premiers à utiliser un code QR», s’enorgueillit le Valaisan, qui a ensuite œuvré comme traiteur. Jusqu’à ce qu’une petite fille de 6 ans lui lance: «Pourquoi tu mettrais pas le fromage sur TikTok?»

Il l’a fait. Secondé par son fils Michel, 32 ans, qui, master en finance en poche, lui a fait découvrir l’univers des réseaux sociaux. C’est lui derrière la caméra et le montage vidéo. Lui qui a eu des idées innovantes en matière de packaging. L’entreprise s’est même lancée dans un calendrier de l’avent aux fromages! On pourrait, mine de rien, tomber le 24 décembre sur un galet boisé frotté avec de la liqueur de noix! Le petit Jésus apprécierait à côté de l’encens et la myrrhe. 

 
Claude Luisier, affineur de fromage, tournant une séquence TikTok

Tournage d’une séquence TikTok dans la cave bicentenaire de Leytron. C’est Michel, son fils, responsable de toute la partie technique, qui a fait de Luisier l’affineur une star jusqu’au Japon. Michel va de plus en plus gérer l’entreprise pendant que Claude ira à la découverte de nouvelles pépites fromagères.

 
Fred Merz/Lundi 13

On demande à Claude Luisier les trois fromages qu’il emporterait sur une île déserte. Il hésite un peu, opte pour une raclette d’alpage, un roquefort Vieux Berger («Celui-là, je le suce comme un bonbon») et un comté de 3 ans d’âge. Que les chauvins se rassurent, il a aussi des gruyères d’exception affinés durant quatre ans. Ah, ce Camadra du Tessin, déniché sur la route du Lukmanier, ce Clacbitou dont on aime déjà le nom, ce gouda au lait cru affiné 36 mois... «Quand vous choisissez un crottin, ne prenez jamais le plus blanc, le plus joli», conseille-t-il. Avant de nous désigner une vieille mimolette joliment craquelée venue de Lille. «Une tuerie à l’apéro. Il faut savoir que les Français étaient en guerre contre l’Espagne. La Hollande était espagnole et produisait l’édam. Comme il n’était plus disponible, il fallait faire un fromage qui lui ressemble. La mimolette est née. On lui a ajouté un colorant naturel, le roucou, issu d’un arbuste d’Amérique du Sud, pour la différencier. Aujourd’hui, elle n’a plus du tout le même goût que l’édam, bien évidemment!» 

Tout ça, il le raconte bien sûr dans ses vidéos, comme la vraie origine de la fondue ou de la raclette. A ses yeux, la savoyarde pèche par manque de liant. «Il faut lui ajouter un fromage un peu crémeux qui empêche la séparation entre huile et fromage.» Sa hantise: il a raté comme ça une fondue quand il était étudiant, il en parle encore. 

 
Claude Luisier, affineur, faisant de la fondue enfant

La fondue, il a commencé à la touiller tout jeune dans le restaurant de ses parents, à Ovronnaz, tenu aujourd’hui par son frère et sa belle-sœur.

 
collection privée Claude Luisier
Claude Luisier, affineur

Tout un art qu’il enseigne d’ailleurs souvent dans ses vidéos.

 
Blaise Kormann

Avec son nombre faramineux de suiveurs, Luisier l’affineur est bien sûr courtisé. Il sort un livre le 18 octobre, chez Larousse, tout entier consacré à ses coups de cœur fromagers et à des recettes originales. Les grandes marques l’ont aussi dans le viseur. Mais, il le jure sur Saint-Nectaire, il va résister aux sirènes du placement de produits car lui ne mange pas de ce pain-là. «On n’est pas des influenceurs, on ne vendra pas de savonnette.» 

>> Claude Luisier n’entre pas encore dans le Larousse mais publie néanmoins aux éditions du même nom «La fromagerie». Tout ce qu’il faut savoir sur le fromage, accompagné de recettes inédites.


Les cordons-bleus de La Promenade à Ovronnaz

 
Les cordons-bleus de La Promenade à Ovronnaz

Les cordons-bleus de La Promenade à Ovronnaz.

 
La Promenade Ovronnaz

Ingrédients pour 1 cordon-bleu:

  • 1 tranche de carré de porc d’env. 130 g
  • 2 tranches de bœuf séché et fumé d’env. 40 g
  • 1 tranche de fromage à raclette d’alpage fumé d’env. 40 g
  • 20 g de panure de pain de seigle AOP
  • sel
  • poivre
  • huile pour la cuisson 

Préparation 

  • Mettre la tranche de porc dans un sachet en plastique ou entre deux feuilles de papier film et l’aplatir avec un maillet à viande ou une casserole sur une épaisseur de 3 mm environ. 
  • Déposer la tranche de porc sur le plan de travail et assaisonner avec sel et poivre. 
  • Envelopper le morceau de fromage fumé dans les tranches de bœuf séché et fumé. Cela empêchera que le fromage ne coule trop au moment de la cuisson. 
  • Poser le paquet «fromage-bœuf» sur une moitié de la tranche de porc, rabattre l’autre moitié par-dessus et bien appuyer sur les bords. 
  • Passer le cordon-bleu dans la panure puis filmer bien serré afin de faire adhérer la chapelure. Réserver au frais 1 heure environ. 
  • Après repos, repasser le cordon-bleu dans la panure une deuxième fois. 
  • Préchauffer le four à 180°C.
  • Faire chauffer l’huile dans une poêle et faire cuire le cordon-bleu 5 minutes environ de chaque côté sur feu moyen. Ne pas hésiter à rajouter de la matière grasse pour éviter de laisser brûler la panure. 
  • Dès l’apparition d’une belle coloration, retirer du feu et déposer le cordon-bleu sur un plat allant au four. Terminer la cuisson au four pendant 10 minutes environ. Dès que le fromage commence à sortir légèrement, c’est prêt. 
 
Par Patrick Baumann publié le 15 octobre 2023 - 01:13