Le vent tire le capuchon en arrière, la neige balaie les plaques de glace vive sous les chaussures de ski. C'est ici, à la Gobba Di Rollin, à 3800 mètres d'altitude, que sera donné le départ de cette nouvelle descente de Coupe du monde. Pour le moment, c’est jour blanc. «Attendons quelques minutes», dit Didier Défago, détendu. Et en effet, moins de cinq minutes plus tard, le brouillard se dissipe, le panorama des Alpes italiennes se profile à gauche, celui du côté suisse à droite. On peut alors imaginer des filets rouges de sécurité en regardant la main de Défago pointer au loin vers la gauche, puis un long virage à droite avant que la piste ne s'engage entre les deux téléskis du Plateau Rosa. Vue d’ici, la silhouette du Cervin est moins reconnaissable.
«J'aurais bien aimé descendre directement ici», explique Défago. Du départ jusqu'à 3600 mètres en ligne directe, un vertigineux amuse-bouche pour commencer. Mais le glacier et ses crevasses rendaient ce passage impraticable. C'est le seul souhait de Défago qui n'a pas été réalisé lors de la conception du parcours. A 44 ans, le Morginois a dessiné une descente «complète», avec des sauts et des passages raides et rapides. Les premières courses auront lieu ici entre fin octobre et début novembre 2022, peut-être déjà en Coupe du monde, ou alors d'abord à un niveau inférieur. La descente avec départ en Suisse et arrivée en Italie comble une lacune dans le calendrier de la Coupe du monde. Car, jusqu'à présent, le slalom géant sur le glacier de Sölden est suivi d'une pause de plusieurs semaines jusqu'à la mi-novembre.
Défago a été contacté au printemps 2020 pour ce projet. A l'époque, l'idée était de tracer la plus longue descente du monde, plus longue même que celle du Lauberhorn et ses 4,5 km. Défago a objecté que l'attrait d'une descente ne dépendait pas forcément de sa longueur. Il a fini par raccourcir le tracé d'un bon kilomètre. Aujourd’hui, la Gran Becca – l'ancien nom du Cervin – fait 4 km pour 2 minutes 20 de course. Le Valaisan a d’abord parlé avec les responsables de la sécurité des pistes et des remontées mécaniques, qui connaissent bien le glacier. Il devait savoir où sont les zones protégées, les passages dangereux sur le glacier. Didier Défago connaît lui-même bien l’endroit pour y avoir fait de nombreuses descentes lors de ses entraînements d'été. Mais inventer une piste de descente, en l’occurrence à cheval sur deux pays, tout en utilisant au mieux les infrastructures déjà existantes, c’est un tout autre défi.
Comment fait-on pour construire une nouvelle descente de Coupe du monde? Défago n’en savait encore rien il y a huit ou neuf ans à Lake Louise, quand Bernhard Russi lui demande s'il serait d’accord de lui succéder. Défago est alors encore un coureur actif, mais il est intrigué. Pourquoi lui? «Il a toujours été un vrai descendeur, répond Russi. Il comprend l’âme de la descente: une discipline sérieuse, risquée, exigeant beaucoup de responsabilité personnelle. Il veut essayer de conserver les racines de la descente et ne pas tout rendre plus facile.»
Russi emmène donc Défago en Corée du Sud, où les travaux de terrassement de la piste olympique de 2018 sont en cours. Le novice s’enthousiasme d’emblée. «Ce travail m'a totalement motivé.» Le défi de trouver des solutions le passionne. Les premiers pas sur la montagne aussi: comment trouver une ligne pour une descente quand il n'y a encore rien? Cela vient avec l'expérience, lui explique Russi, qui a construit des pistes dans le monde entier ces dernières décennies. «Tu vas une fois, deux fois, trois fois sur la montagne, et tout à coup, tu sens la descente sous tes pieds», se souvient Défago. Il l'a vécu lui-même pour la première fois en Chine, où il a planifié dès le début avec Russi la descente olympique de 2022. «La première fois, tu es perdu dans la montagne. La deuxième fois, tu vois quelques éléments dont tu discutes.» Ces pièces de puzzle sont posées sur la table devant les concepteurs, déplacées, assemblées. «Et tout à coup, tu as le plan.»
Mais rien n’est jamais définitif. De meilleures solutions se présentent à l’esprit une fois de retour sur le terrain. Même le plan de Zermatt, approuvé par la FIS, peut encore changer. Russi et Défago ont tous deux appris le métier de dessinateur en bâtiment, ce qui est un atout. Dans ce métier, il est essentiel de pouvoir tout imaginer en trois dimensions. Mais Défago pense qu'on l'apprend aussi en tant que sportif outdoor. Si la position change, l'angle de vue sur le terrain est immédiatement différent. Un skieur doit tout mémoriser précisément pour pouvoir ensuite réussir ses virages à grande vitesse ou savoir où il se trouve lorsque la visibilité est mauvaise. «C'est une vie en trois dimensions, en somme.»
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Six ans et demi après son retrait de la compétition, Didier Défago vit avec sa famille – ses deux enfants sont aujourd'hui adolescents – dans un chalet à Morgins (VS). Et il continue d'exercer des mandats dans le domaine du ski chez Rossignol et chez Ochsner Sport. L'année dernière, il a accepté de prendre la présidence de l'Association des remontées mécaniques valaisannes. Et il construit désormais des pistes. «A Pékin, Didier m'a aidé à prendre des décisions difficiles. J'étais heureux qu'il soit là», se félicite Russi. Défago avait déjà un mandat pour un avant-projet à Narvik, en Norvège, ville candidate à l'organisation des Championnats du monde 2027, tout comme Crans-Montana. Mais d’abord, il doit terminer la descente de Zermatt. Défago ressent une grande pression pour ce premier projet en solo.
Et ce projet suscite des critiques: une descente aussi longue à une telle altitude serait si éprouvante pour les coureurs qu'elle en deviendrait dangereuse. «Je peux le comprendre. Mais chaque descente a ses défis.» Et aux Etats-Unis, on skie aussi à cette altitude: la Birds of Prey de Beaver Creek est certes plus courte, mais plus exigeante et donc au moins aussi fatigante. Le deuxième point critique est le vent, qui souffle souvent très fort là-haut, ce qui rendrait le départ impossible. Défago est conscient qu'une flexibilité est nécessaire pour fixer le point de départ. Il a retenu aussi deux principes des leçons de Russi: il faut d’abord se concentrer sur son travail, c’est-à-dire la piste. Deuxièmement, il y a toujours des critiques et il ne faut répondre qu’à celles qui sont constructives. Il a en tout cas tout fait pour que la Gran Becca soit une descente complète et un grand spectacle.