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Le désarroi d'une fan de «Game of Thrones»

La série inspirée du «Trône de fer» a pris fin dans la nuit de dimanche à lundi, dans une hystérie collective révélatrice de sa démesure. Retour personnel sur un événement télévisuel qui restera dans les mémoires.

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Une fan costumée attend le dénouement de la série «Game of Thrones» dans un bar de Manhattan, à New York. JOHANNES EISELE/AFP

Cet article, trois graphistes de L’illustré ont refusé de le mettre en pages lundi: ils n’avaient pas encore vu l’ultime épisode de «Game of Thrones» (GoT), diffusé dimanche soir aux Etats-Unis et simultanément ailleurs dans le monde, donc dans la nuit de dimanche à lundi ici. Enième preuve du pouvoir d’attraction exercé par la série jusqu’à sa triste fin.

Pour moi, pourtant, ledit dénouement a été gâché avant même d’être diffusé, par la pétition lancée dans la foulée de l’avant-dernier épisode. A l’heure où j’écris ces lignes, plus de 1,2 million d’abrutis avaient signé une pétition virtuelle demandant que la dernière saison soit refilmée en raison de «l’affligeante incompétence» des cocréateurs, D.B. Weiss et David Benioff.

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Fans costumés lors de la projection sur grand écran organisée par la RTS dans la nuit de dimanche à lundi. Anne Kearney/RTS

Abrutis, absolument. Bien évidemment, chaque spectateur est en droit d’exercer son esprit critique, de s’insurger face aux choix scénaristiques et de ne pas aimer la fin d’une histoire dans laquelle il s’est investi. Et, c’est indéniable, les deux dernières saisons (l’avant-dernière a été diffusée en 2017) sont moins bien écrites, avec des rebondissements précipités et moins crédibles que les six précédentes. Pour autant, il faut en tenir une sacrée couche pour penser avoir un quelconque droit sur une création artistique, si grand public soit-elle.

Engouement hors norme

Mais les attentes déçues sont à la hauteur de la démesure de la série, des deux ans d’impatience et de l’engouement qu’elle a suscité. «Game of Thrones» aura été une série exigeante (il m’a fallu l’insistance d’une proche, après avoir regardé le pilote une première fois, décrété que je n’y comprenais rien et passé un moment sur Wikipédia à vérifier les liens entre les personnages, pour me prendre au jeu). Avec, donc, des fans exigeants.

Une série monstre, aussi. Je laisserai à d’autres le soin de continuer à gloser sur les thématiques abordées, les inspirations (Tolkien, Druon, Lovecraft…) chères à l’écrivain G.R.R. Martin, dont la saga littéraire «Le trône de fer», à l’origine de la série, restera très probablement inachevée, dévorée et dépassée par l’adaptation qu’elle a inspirée. Je ne vais pas non plus vous refaire le laïus sur l’amplitude de la production. Juste souligner qu’avec une quarantaine de protagonistes (et, oui, Jon Snow et Daenerys Targaryen en auront été les principaux jusqu’au bout), il allait être difficile de contenter tout le monde.

Une expérience collective

«Game of Thrones» restera, a écrit un journal américain, comme «l’expérience pop-culturelle ultime de la génération des millennials». Soit. Je n’appartiens pas à cette génération dite Y, née entre 1980 et 2000. Ce que je sais, c’est que #GoT, c’était aussi le plaisir, une fois l’épisode terminé, de se jeter sur Twitter pour se délecter des réactions, pastiches et bons mots distillés pendant chaque épisode (la série aura été la plus tweetée en 2017). De voir sur YouTube des vidéos de spectateurs hurler d’horreur ou de désespoir face aux morts brutales qui ont parsemé l’histoire.

Certes, au fil des saisons, l’aspect méta a pris un côté trop prévisible: un bar de Chicago a fait son beurre avec un compte YouTube montrant les réactions de clients filmés pendant les épisodes. Les minutes cruciales du magistral épisode «La bataille des bâtards», diffusé en juin 2016, ont été visionnées plus de 5,3 millions de fois… Ce qui ne m’a pas empêchée d’avoir la gorge serrée devant le spectacle de Brésiliens bondissant comme un seul homme, exultant d’une joie aussi grande que lors d’un but de Coupe du monde, lors de l’épisode «La longue nuit» en avril dernier. Sans parler des messages échangés avec d’autres aficionados. Le visionnage d’une série télévisée, exercice par nature solitaire et passif, est ainsi devenu une expérience collective.

Un chat prénommé Arya

Que le lecteur qui s’inquiéterait de mon état mental se rassure; je ne me suis pas fait tatouer de dragon ni de direwolf, le loup géant emblème du clan Stark, sur l’épaule (mais si j’adopte un chat, je l’appellerai Arya, en hommage à l’un de mes personnages favoris). J’éprouve même une forme de soulagement à ce que l’aventure soit derrière moi: l’hystérie autour de l’ultime saison devenait pesante. En clair, il était temps que «Game of Thrones» se termine. Et en même temps, j’aurais voulu que cela ne s’arrête jamais.

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Un sentiment de désolation exprimé par une téléspectatrice sur Instagram. DR

Pour l’heure, je me sens vidée. Trop d’émotions. Resteront les images, l’éblouissement devant la cinématographie et l’envoûtante musique de Ramin Djawadi. Le plaisir des dialogues et d’avoir vu grandir et évoluer des êtres familiers, certains devenus de grands acteurs. Comme avec «Le seigneur des anneaux – La communauté de l’anneau» en 2001, je garderai le sentiment d’avoir été embarquée dans un univers imaginaire, à la fois magique et terriblement réaliste. Quoi de plus merveilleux? Cela n’aurait pas été possible sans le risque insensé pris par Benioff et Weiss en adaptant les livres sortis de l’imagination de G.R.R. Martin.

Pour l’heure, je n’ai pas envie de remplacer mes chers disparus. Mais comme le dit le nain Tyrion dans le dernier épisode: «Qu’est-ce qui unit les gens? Les histoires. […] Il n’y a rien de plus puissant au monde qu’une bonne histoire.» Je sais qu’il y en aura d’autres. En attendant, Dieu que celle-ci était bonne.


Par Albertine Bourget publié le 21 mai 2019 - 17:38, modifié 18 janvier 2021 - 21:04