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Dexter Maurer: «Artiste, c’est un peu pompeux»

A 30 ans tout juste, cet illustrateur jurassien fan de fantastique a conquis la planète via les réseaux sociaux. Ces six dernières années, il a enchaîné les mandats prestigieux, jusqu’à l’usure. Jusqu’au burn-out qui l’a lessivé l’an dernier et dont il sort enfin. Rencontre à Delémont.

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Du 2 décembre 2023 au 14 janvier 2024, l’illustrateur jurassien Dexter Maurer a exposé son travail à la Fondation Anne et Robert Bloch

Du 2 décembre 2023 au 14 janvier 2024, l’illustrateur jurassien Dexter Maurer exposait son travail à la Fondation Anne et Robert Bloch (FARB), à Delémont, la ville où il a grandi. Un retour aux sources revigorant pour lui.

Anne-Camille Vaucher

«Pour moi, le dessin est un exutoire, un moyen d’ouvrir la fenêtre sur des mondes parallèles où je m’évade. Mes dessins servent à cela. Je ne cherche pas à leur donner un sens profond.» Avec son accent jurassien et son look métissé, bonnet vissé sur la tête, Dexter Maurer, 30 ans, parle de son métier, revendiquant «une forme d’artisanat». Comment se voit-il? «Je suis un illustrateur. Artiste, c’est un peu pompeux et puis ça veut tout et rien dire à la fois.» 

Au vu de la diffusion dont il jouit, son humilité étonne. Depuis ce fameux jour de 2018 où l’équipementier sportif Nike l’a sollicité après avoir flashé sur une série d’illustrations baptisée «Brand Knight» (chevalier de marque), repérée sur le site de graphisme Behance, il tutoie les étoiles. Par rebonds, par ricochets, en ligne, son travail a conquis des stars du showbiz, l’Université Harvard, Hollywood. Une reconnaissance planétaire.

La série d’illustrations baptisée «Brand Knight» grâce à laquelle Dexter Maurer s'est fait repéré par Nike

C’est cette série d’illustrations, baptisée «Brand Knight», dans laquelle il décline des robots imaginaires en fonction de marques célèbres, qui a convaincu Nike de lui confier des mandats en 2018. Le travail sur les matières, en particulier, est époustouflant.

Behance Dexter Maurer

Entre deux pauses clope, le Jurassien s’étonne encore: «C’est assez fou, mais tout est parti des réseaux sociaux.» Dexter Maurer, c’est un peu l’exception: Instagram lui a offert le monde. «Le jour où j’ai dit à mon père que j’avais obtenu le mandat pour Nike, il m’a serré dans ses bras, se souvient-il. C’était fort. Cela ne m’a pas empêché ensuite de stresser à mort à cause de la pression. J’étais bien sûr ravi, mais j’ai longtemps souffert du syndrome de l’imposteur. Je me demandais si je méritais vraiment tout cet intérêt. En même temps, ça a rassuré mes parents.» 

Désireux de ne jamais se répéter, insatiable explorateur, Dexter Maurer considère chaque nouveau mandat comme un défi. Irait-il jusqu’à refuser un job qu’il estimerait trop lourd pour lui? Il hésite: «C’est une bonne question. Jusqu’à présent, je n’ai pas été confronté à un tel dilemme, mais j’ai parfois senti ma limite.»

«J’ai aussi passablement désacralisé l’art en général, poursuit Dexter, dont l’atelier est situé à La Chaux-de-Fonds. Quand tu es jeune et que Nike te choisit, tu n’en reviens pas. Aujourd’hui, je relativise, parce que je sais à quel point tout va très vite. Si je me plante, ce n’est pas si grave. Ma vie n’est pas en jeu. Aujourd’hui, je suis capable de dissocier celui que je suis de l’illustrateur qu’on mandate. Ça m’a fait un bien fou d’y parvenir.»

L'illustration de Dexter Maurer pour le modèle Air Force 1 Spider-Man

Mandaté par la firme sportive américaine Nike, l’illustrateur jurassien a produit pour elle plusieurs visuels, dont celui-ci pour le modèle Air Force 1 Spider-Man.

Anne-Camille Vaucher

Il y a quelque chose de presque surréaliste à exciter les Américains quand on est un gamin de Delémont, né à Porrentruy. Il faut assimiler. Dexter Maurer bosse dur... et tôt. «Je m’y mets vers 5 h 30. C’est à cette heure-là que mon cerveau est le plus prolifique.»

Rêve américain et burn-out
 

Ces dernières années, outre les déclinaisons de la campagne Air Force 1 pour Nike, notamment avec le rappeur Travis Scott et la légende du basket Charles Barkley, l’illustrateur jurassien a été sollicité par l’empire médiatique Bloomberg, par le «New York Times», par la firme Adobe, etc. 

Dans le monde de la musique, on lui doit le clip d’animation «Save Your Tears» de The Weeknd et Ariana Grande, des visuels pour le groupe de K-pop BTS sur Game Boy, ceux du coffret Blu-ray de la saison 5 de la série d’animation «Rick et Morty». Du très lourd, mais il court. Ainsi en 2023 n’a-t-il pu réaliser qu’une seule œuvre pour lui-même.

Passé maître dans l’utilisation de certains logiciels de graphisme, l’illustrateur jurassien insiste: «Je pars toujours d’un dessin à la main. C’est important, la base.» Depuis la rentrée, il donne aussi des cours d’animation à l’Ecole des arts visuels à Bienne. 

Les essais de mouvement de Dexter Maurer pour un clip de Nike

«Je pars toujours d’un croquis à la main», confie Dexter Maurer, dont on voit ici des essais de mouvement pour un clip de Nike.

Instagram Dexter Maurer

Ça fait beaucoup. «C’est vrai, concède-t-il, mais l’enseignement participe à mon nouvel équilibre. L’an dernier, j’ai fait un burn-out. Trop de boulot et de stress. C’était parti trop fort. J’ai pété un plomb. Je ne trouvais plus rien de fun dans mon travail... Quand le plaisir s’étiole, l’inspiration te fuit aussi.» Lui qui se définit comme un «mec plutôt sociable» se retrouve seul, dévoré d’anxiété.

Il se met en pause pour consulter et traiter sa dépression, engage un agent pour l’épauler. En ce début 2024, sa convalescence se poursuit, mais il est serein. «Je bénis le ciel d’avoir fait ce burn-out, confie-t-il, parce que j’allais droit dans le mur.» Un mal pour un bien. Ses potes, sa famille, ses élèves désormais, l’ont aidé à se retrouver.

Les pommiers, on le sait, ne font pas des poires. Dexter Maurer et sa sœur, qui dessine elle aussi, ont été biberonnés à l’art. Un père prof de dessin au collège Thurmann à Porrentruy, une mère prof de danse. L’attrait du fantastique aussi, de l’heroic fantasy. «Mon père est un grand gamin, un nerd, fan du magazine des années 1980 «Métal Hurlant». Quand nous étions petits, il nous lisait «Harry Potter» et «Le seigneur des anneaux». Il a stimulé mon imagination.»

«Souvent, il ramenait de l’école des dessins à lui en noir et blanc que je coloriais. Sans contrainte. J’ai commencé comme ça, puis en recopiant les personnages des jeux vidéo auxquels je jouais, type «Mario» ou «Pokémon». Et quand mes parents éteignaient la console, je prolongeais l’aventure avec mes propres dessins.»

Les racines de l’art
 

Son prénom est singulier. Plus encore depuis la série du même nom, lancée en 2006. «Mon père est Biennois, ma maman Haïtienne», précise-t-il. Un mélange de chaleur insulaire et de méticulosité suisse. Efficace. «Je ne suis allé qu’une fois en Haïti. J’y ai de très vagues souvenirs. Peut-être m’y sentirai-je appelé un jour? Je l’ignore.» Dans le domaine de l’art, Haïti renvoie à Jean-Michel Basquiat. «C’est le premier grand peintre dont j’ai vu une expo et ça m’a bouleversé.»

Dexter Maurer raconte que, adolescent, il se révolte et rejette les univers fantastiques que chérit tant son père. A l’école, allergique aux maths et au par cœur, il végète... et dessine.

Sa rencontre avec le dessinateur virtuose Guznag, Jurassien lui aussi et ancien élève de son père, marque une étape. Dexter veut suivre le même chemin que lui, qui passe par Saxon (VS) et l’Ecole professionnelle des arts contemporains (EPAC). Son père lui soumet un deal: «Tu hisses toutes tes moyennes à 5,5 durant ta dernière année scolaire et, en parallèle, tu t’engages à produire 200 dessins que tu pourras présenter lors de l’examen d’entrée en Valais.» «Il voulait être sûr que je ne faisais pas un caprice.» Contrat rempli, «sauf en maths». 

L'illustrateur Dexter Maurer

Né à Porrentruy (JU), Dexter Maurer a grandi à Delémont, où il a encore ses parents, et travaille à La Chaux-de-Fonds.

Anne-Camille Vaucher

«A l’EPAC, je me suis retrouvé dans une classe super dynamique. J’ai adoré.» La concurrence est saine et stimulante. «J’ai passé énormément de temps à me chercher. Mes profs m’ont poussé à mettre de la personnalité, du corps dans mon travail.» Une réussite. 

Dexter a 19 ans quand il est diplômé. Son travail de fin d’études, un projet de bande dessinée sans texte, suscite l’intérêt d’un représentant des Editions Dargaud. Après avoir lévité de bonheur, le jeune Jurassien se ravise. Il a compris qu’en fonçant dans la brèche son projet lui échappera. Il fera une année de plus à Saxon, cette fois en tant que prof assistant.

Retour à Delémont, où il convainc ses parents de lui donner un an pour créer un portfolio – sa carte de visite visuelle. Dans un cartable, il redécouvre d’anciens dessins. «C’était tellement fun et frais! Ça respirait le plaisir. Un véritable électrochoc.» 

Inspiré par l’univers de certains illustrateurs des années 1970 et 1980, tels que les frères Hildebrandt aux Etats-Unis ou l’Espagnol Vicente Segrelles, Dexter Maurer travaille dur pendant un an et demi. «Je me suis mis dans une niche en proposant des choses ultra-lourdes, mais en m’efforçant de les rendre digestes avec tout un travail sur les dégradés, les ombres, la lumière, les textures. Une approche très organique: l’inverse de ce qui constituait alors la tendance dominante.»

Du 2 décembre 2023 au 14 janvier 2024, l’illustrateur jurassien Dexter Maurer a exposé son travail à la Fondation Anne et Robert Bloch

Dexter Maurer qualifie volontiers son univers visuel de rétrofuturiste, avec un hommage aux années 1980, mais sa palette est extrêmement vaste.

Anne-Camille Vaucher

Le hasard s’en mêle. La série «Game of Thrones» débarque à la télé et cartonne. L’heroic fantasy, ce mélange de chevalerie et de fantastique, l’a toujours inspiré. «Je trouve que cela résonne particulièrement avec la Suisse, ses cités médiévales, ses montagnes, ses forêts.» 

Il présente une cascade de travaux sur la plateforme Behance, que des entreprises du monde entier consultent régulièrement. Sa série «Brand Knight» capte l’attention de Nike. Décollage immédiat.

L’univers rétrofuturiste de Dexter Maurer est vaste, d’une variété folle et surtout très accessible. «Moi, si j’ai besoin d’une notice pour apprécier une œuvre ou si c’est trop abstrait, je n’accroche pas. Aujourd’hui, je ne m’en cache pas, je suis un nerd et j’assume.» Voilà qui fera plaisir à papa.

Par Blaise Calame publié le 15 février 2024 - 11:44