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Didier Queloz: «Avoir le Nobel, c’est d’abord une émotion énorme»

Genevois d’origine jurassienne, l’astrophysicien de 53 ans Didier Queloz vit un rêve éveillé en intégrant la longue liste des noms prestigieux qui ont décroché le Prix Nobel de physique, de Marie Curie à Albert Einstein. Il se raconte à L’illustré. Portrait d’un amoureux de la poésie que l’univers et son infini fascinent depuis l’adolescence.

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Photographié par L’illustré dans la capitale du Massachusetts, Didier Queloz prend la pose lors d’une petite balade dominicale. Il est arrivé quelques heures plus tôt de Cambridge, où il enseigne. Le Nobel ne bousculera pas ses rendez-vous prévus de longue date. Ken Richardson

Non, ça ne s’est pas passé comme dans les films. Didier Queloz, Prix Nobel de physique 2019, n’aura pas été surpris par un coup de fil du Comité Nobel à Stockholm lui annonçant la bonne nouvelle peu avant l’heure fatidique en plein milieu d’une réunion avec des collègues de son Université de Cambridge, en Angleterre. Avec le recul, l’intéressé en rigole de bon cœur: «En fait, ils ont bien essayé de me joindre sur mon portable juste avant l’annonce à 13 heures, mais ils n’ont pas réussi à m’atteindre. C’est quelqu’un du service de presse de l’université qui m’a alerté: «Tu as le Nobel!» J’ai d’abord cru à une plaisanterie ou à une erreur.» Après Marie Curie ou Albert Einstein, «des modèles incroyables», se retrouver sur la longue liste centenaire des lauréats du Prix Nobel de physique donne un peu le vertige, reconnaît-il, «ce sont des éléments qu’il faut digérer». «Puis il y a eu un immense passage à vide de quelques secondes dont je suis incapable de me souvenir, tellement l’émotion était monstrueuse, qui m’a fait un black-out, effacé un peu de ma mémoire, avant que je reprenne mes esprits en me retrouvant entouré et félicité par tous.»

>> Lire l'entretien avec son collègue nobélisé Michel Mayor:
«Je suis tombé dans l'astrophysique par hasard»

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Didier Queloz vient à peine d’apprendre qu’il est Prix Nobel de physique, près de l’Université de Cambridge. On lui passe un téléphone grâce auquel il peut s’entretenir quelques minutes avec l’Académie Nobel à Stockholm, qui le félicite.

Depuis l’annonce de la distinction prestigieuse, «pour leur contribution à la compréhension de l’évolution de l’univers», le nouveau héros helvétique est pris dans un tourbillon incessant, tout comme son compère Michel Mayor, avec lequel il partage cet incroyable honneur. Tous les médias veulent lui parler, tous les gens veulent le féliciter, l’approcher. Et, surtout, mieux le connaître, lui dont le nom n’était connu jusqu’ici que d’un groupe plutôt restreint d’initiés et d’amateurs et, bien sûr, d’une partie de la presse helvétique. «Eh bien, je m’en souviendrai, de cette planète», disait Villiers de l’Isle-Adam sur son lit de mort. Nos deux Suisses, eux, n’oublieront jamais celle qu’ils ont découverte bien au-delà du système solaire, doutant pendant des mois de la réalité de leurs observations et de leurs calculs, faits et refaits des centaines de fois, cette fameuse première exoplanète, à 51 années-lumière de la Terre, à laquelle ils donnent un nom un peu barbare: 51 Pegasi b. Et où il a même pu être établi la température qui y règne en permanence: 1230°C!

Un oncle fine oreille

L’histoire de Didier Queloz, 53 ans, commence dans la campagne genevoise, mais une partie de ses racines sont liées à un climat plus rude, celui d’un petit village du Jura, Saint-Brais, d’où les Queloz sont originaires. «J’ai dû garder de mes racines jurassiennes mon goût pour les forêts», assure-t-il. Peu après la Seconde Guerre mondiale, le grand-père, Ernest, quitte ses sous-bois et pâturages francs-montagnards pour partir gagner sa vie à Genève, comme douanier d’abord, puis comme comptable. «Toute l’enfance de Didier a été marquée par nos séjours réguliers dans le Jura», témoigne Christine Queloz, 75 ans, la maman du Prix Nobel, qui a appris la nouvelle par la radio en allant faire son jardin. On allait notamment à Porrentruy voir l’oncle André, le commissaire de police, surnommé «fine oreille», puis on a continué à rendre visite à sa veuve, tante Jeannette, jusqu’à sa mort.» Le Jura historique compte donc désormais un troisième Prix Nobel, après Albert Gobat, de Tramelan, et Elie Ducommun, de Delémont –un des fondateurs du Progrès, qui deviendra Le Démocrate puis Le Quotidien jurassien –, récompensés tous les deux par le Prix Nobel de la paix en… 1902. Le gouvernement jurassien a salué l’événement comme il se doit. Et ce n’est pas rien: le Jura compte désormais plus de Prix Nobel que de champions olympiques!

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Elle s’appelle Tina, c’est son épouse depuis quinze ans. «Elle est très discrète, mais elle est extraordinaire», dit d’elle Didier Queloz.

Tout n’avait pourtant pas commencé sous une bonne étoile, si l’on peut dire, pour Didier Queloz: «Tout petit, à l’âge de 5 ans, il avait été frappé par une méningite et on l’avait emmené à l’hôpital de Genève, où on m’avait annoncé qu’il n’avait plus que quelques heures à vivre, révèle sa maman. Il est de ces mystères, hein?» Enfant, il bidouille les vélomoteurs avec les copains du quartier. Il a une sœur, Sophie, de trois ans sa cadette. A l’école, c’est un élève plutôt moyen, avec quelques notes dans le rouge, surtout en écriture et en tenue des cahiers, mais à l’entrée au collège, il se révèle littéralement et explose dans bien des disciplines. Le week-end, dans le chalet familial en Savoie, il monte déjà sur les sommets des montagnes pour observer la voûte céleste. «Il avait construit un petit appareil en bois, le «mémé-pape», pour mesurer les étoiles», se souvient encore sa maman. «Il a sans doute reçu un don au départ, mais c’est surtout un énorme travailleur, insiste-t-elle, et un grand humaniste ouvert aux autres, qui a toujours eu un vrai melting-pot de copains.»

Hubert Reeves et Géo Trouvetou

Le jeune Didier dévore aussi des livres: «J’ai été marqué par le premier livre d’Hubert Reeves, qui m’a motivé à partir dans la science quand j’avais 15 ans, et j’ai été un grand fan des ouvrages de Carl Sagan, une référence absolue», dit-il. Plus tard viendra aussi Jules Verne, évidemment, «un auteur extraordinaire qui se lit comme du petit-lait», et Wells, «qui est une littérature qui parle d’abord de nous». Même si aujourd’hui il avoue sa passion pour une littérature plus fantastique «sans être de la science-fiction», comme Gabriel García Márquez, «un grand raconteur d’histoires», Prix Nobel lui aussi. Il aime Georges Brassens – «j’adore ses textes» –, est fou de musique classique, mais conserve «des goûts très éclectiques», du rock’n’roll à Jean-Jacques Goldman en passant par Gainsbourg. Et dévore des bandes dessinées, son enfance marquée par les aventures de Tintin sur la Lune mais aussi par Picsou Magazine, «à cause de Géo Trouvetou», rigole-t-il, ainsi que beaucoup de livres sur le jardinage et sur les plantes, car «avec ma femme, on aime beaucoup jardiner». Une femme de l’ombre cachée derrière son grand homme? «Oui, elle est très discrète, mais elle est extraordinaire, absolument, vous avez entièrement raison. Si vous n’avez pas un soutien au niveau de votre partenaire, vous n’y arrivez pas. On fait un métier tellement passionné, c’est tellement fort, c’est essentiel, sinon ça ne marche pas. Elle est à la cuisine en train de faire son porridge, elle m’entend, elle rigole, elle est merveilleuse.» Ils ont fêté cette année leurs 15 ans de mariage.

«Etre scientifique, c’est une démarche émotionnelle»

On l’a vu en direct au téléjournal s’extasier sur le ciel étoilé à Cambridge le soir même de l’annonce de l’attribution de son Prix Nobel. Ne serait-il pas un peu poète, aussi? «Mais pour être un scientifique, il faut d’abord aimer la poésie, réplique-t-il du tac au tac. La démarche scientifique n’est pas froide et aride; c’est une démarche extrêmement émotionnelle. La curiosité est un moteur extrêmement fort. Vous n’allez pas passer une vie à chercher quelque chose si vous n’êtes pas émotionnellement connecté à ce que vous faites. La culture humaine participe à la société, et la science en fait partie, comme la musique, les arts, la littérature et toutes les formes d’expression.»

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Avant Didier Queloz, deux autres Jurassiens ont été sacrés: Elie Ducommun et Albert Gobat, Prix Nobel de la paix en 1902.

Au contraire d’un Claude Nicollier, par exemple, l’ex-astronaute vaudois aux quatre vols dans l’espace, Didier Queloz ne croit pas en Dieu. Ce grand curieux revendiqué, disciple de la scolastique, s’intéresse aux religions et à comprendre pourquoi les hommes croient, «mais la démarche de la croyance personnelle est plus proche d’une démarche psychologique ou intérieure, ce n’est pas une démarche scientifique, on n’apprend rien en croyant en Dieu». Mais il croit en la vie extraterrestre, «forcément quelque part», sous une forme à définir, car «si la chimie est passée sur Terre pour donner la vie, on devrait avoir la même chose ailleurs dans l’univers. Notre Terre a l’âge du Soleil, 4,7 milliards d’années. Jusqu’au dernier milliard d’années, vous auriez pris un télescope pour voir ce qui se passait sur Terre, vous n’auriez pas vu grand-chose. La vie était quasiment invisible…»

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Albert Gobat, Prix Nobel de la paix en 1902.

Que fera-t-il du chèque de son Prix Nobel (un peu moins du quart de 1 million de francs suisses)? Il avoue n’avoir pas encore eu le temps d’y réfléchir: «Ce n’est vraiment pas ce sur quoi je me focalise actuellement. Ma famille m’a énormément aidé, il faudra rendre un peu de tout ce qui m’a été donné… Ce sera peut-être aussi l’occasion de se prendre un peu de temps, aussi. On ne prend pas beaucoup de vacances; si on a un peu d’air, ça nous fera bien plaisir.»

Ce jour-là, parmi les invités de l’Académie Nobel, la maman de Didier Queloz, accompagnée de son mari, espère bien assister à la remise en grande pompe du prix des mains du roi de Suède. «On est partants, mais je ne sais pas si c’est prévu; les lauréats du Nobel sont en principe âgés et leurs parents se baladent déjà plutôt dans les nuages quand ils l’obtiennent», constate-t-elle, pleine de vie et d’entrain. Ce sera le 10 décembre prochain, jour anniversaire de la mort d’Alfred Nobel. Quelques heures avant l’Escalade à Genève. Tout un symbole pour une telle arrivée au sommet.


L'Editorial: Jacques, Michel, Didier et les autres…

Par Christian Rappaz

La question pourrait faire partie d’un quiz: saviez-vous que, individus et institutions confondus, Michel Mayor et Didier Queloz sont les 33e et 34e Helvètes de l’histoire lauréats d’un Prix Nobel? Deux ans seulement après Jacques Dubochet, sacré en chimie, le duo romand rejoint quatre autres physiciens de haut vol, dont Albert Einstein, qui eut la nationalité suisse dès l’âge de 22 ans. Un génie qui, soit dit en passant, commença sa prestigieuse carrière en ratant son examen d’entrée à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich.

Sur ce point, et bien que Michel Mayor avoue avec une touchante sincérité être tombé dans l’astrophysique «par hasard», les deux champions de l’Université de Genève ont fait mieux. En revanche, le Prix Nobel 1921 n’a pas eu la chance d’être soutenu par le Fonds national suisse de la recherche scientifique. Créé en 1952 et doté d’un budget annuel d’environ 700 millions de francs, celui-ci soutient 7200 scientifiques, dont près de 6000 ont moins de 35 ans. Parmi eux, combien de futurs Prix Nobel? A l’heure où toutes les excuses sont bonnes pour rogner dans les subventions, la question paraît légitime.

Comme le souligne Michel Mayor, il faut être patient pour avoir la réponse. Lui et son ancien élève ont dû attendre vingt-cinq ans avant d’être sacrés (l’annonce de leur découverte de la première planète hors du système solaire date de 1995). Il faut dire que tous les prétendants à la consécration suprême ne sont pas égaux devant le comité de l’institution. A cet égard, il est cocasse d’observer que Greta Thunberg, la jeune activiste suédoise de 16 ans à l’origine de la mobilisation pour le climat, nommée pour le Prix Nobel de la paix, n’était pas née lorsque Michel Mayor et Didier Queloz étaient déjà en lice pour le sacre dans leur domaine.

Dernier clin d’œil de la belle histoire, le 10 décembre, à Stockholm, nos deux héros seront assis sur le même banc que la colauréate de la distinction en littérature, la Polonaise Olga Tokarczuk, dont les best-sellers sont traduits et imprimés en français par un éditeur lausannois. Au fait, si un «Nobel» était attribué à un pays, qui sait si la Suisse…


Par Arnaud Bédat publié le 18 octobre 2019 - 08:43, modifié 18 janvier 2021 - 21:06