De l’enfance, il avait gardé une mine renfrognée qui, au premier abord, occultait un sens de l’humour corrosif. L’avocat genevois Dominique Warluzel le dégainait volontiers avec ses proches, il l’aiguisait au contact de son ami Laurent Gerra. L’imitateur est venu lui rendre un dernier hommage à Genève, au cimetière Saint-Georges, vendredi dernier.
Après avoir défrayé la chronique pendant quarante ans, l’enfant terrible du barreau est décédé à 64 ans, le 8 mars, aux HUG. En 2011, il s’était exilé aux Bahamas. A chaque séjour au bout du lac, il prenait ses quartiers à l’Hôtel Métropole dans sa suite médicalisée. Un AVC en janvier 2013, une chute l’année suivante l’avaient laissé hémiplégique. «Les îles, ce n’est plus pour moi, nous confiait-il il y a encore quinze jours. J’ai vendu mon bateau, un Trumpy Classic 1947, une pièce de collection en bois et acajou. En revanche, j’ai fait des progrès avec la marche.» «Warlu» ne baissait jamais la garde. Maniaque du contrôle, il s’est battu jusqu’au bout.
Le 29 mai prochain, il devait fêter ses 65 ans chez Marijo Raboud à l’Auberge de Gy (GE). «Ici, c’était son refuge», confie-t-elle. Le lundi 7 mars, elle l’attendait pour un dîner avec son ami, l’avocat Didier Bottge, qu’il surnommait son «meilleur médicament». La table fut annulée, Dominique Warluzel pris d’un malaise dimanche luttait entre la vie et la mort aux soins intensifs. Un infarctus intestinal et une septicémie ont eu raison de lui, le lendemain, à 8 h 30.
Pour son anniversaire, il convoitait le fameux poulet de Bresse, une spécialité maison, invitant chacun d’un texto ou d’un téléphone. «Isabelle Adjani et Anthony Delon ont confirmé», confiait-il de sa voix éraillée qui, malgré trois trépanations et des doses massives de médicaments – jusqu’à 45 comprimés quotidiens –, n’avait miraculeusement rien perdu de sa vivacité. Entre Nassau, Chicago, Bordeaux, Genève et Lucerne, de clinique spécialisée en centre de rééducation, animé par une fureur de vivre peu commune, il tentait de remonter la pente, grillant cigarette sur cigarette, sans jamais cesser de faire fonctionner son cerveau bien irrigué. «J’ai 8000 documents historiques sur mon iPad. La Seconde Guerre mondiale, l’Indochine et la guerre d’Algérie me passionnent. J’ai aussi 1500 affaires criminelles, des pièces radiophoniques et je suis arrosé d’e-mails.»
Aimé ou détesté, Dominique Warluzel ne laissait personne indifférent. Né à Pau, en France, ce binational s’était imposé en chef de bande dès l’enfance. «J’ai vite compris que j’avais ce pouvoir sur les autres», disait-il. En 2015, il s’était raconté sans tabou dans sa bio, Ma vie d’avant… et d’après (Ed. Favre). «A Florimont, à 8 ans, je faisais du trafic de revues érotiques que je louais à mes camarades entre 5 et 10 francs; à 10 ans, je faisais circuler des photos pornos à l’église. Plus tard, avec Christophe Lambert, on subtilisait des pièces de monnaie anciennes que l’on revendait entre 100 et 1000 francs. Il y eut aussi de petits cambriolages, épiceries et magasins de tabac.» Ses dérives délinquantes lui valurent trois jours à Saint-Antoine.
Ironie du sort, la prison jouxtait le Palais de justice où il allait se distinguer. «Comme je n’excluais pas de faire carrière dans la marge, la taule m’a définitivement dissuadé.» Son intellect et sa volonté d’être premier en tout lui permirent d’entrer dans la cour restreinte des ténors du Barreau genevois après son droit, achevé à 23 ans. «C’est paradoxal, mais je ne voulais pas être avocat. J’ai choisi cette filière de trois ans pour assurer le plus rapidement mon autonomie financière.» Ses premiers clients s’étonnèrent de son air juvénile. Précoce, doué d’un esprit d’analyse fulgurant, il fut invité par son mentor, Dominique Poncet, à défendre, dès sa première année de stage, le ravisseur de Joséphine Dard. La fille du créateur de San-Antonio, 12 ans et demi, avait été kidnappée en mars 1983. C’est ainsi que le jeune coq entra dans la lumière.
En recueillant ses premiers lauriers, il allait aussi goûter au poison de la jalousie. «J’ai commencé à être un peu connu à 25 ans. Dès lors, j’ai ressenti cette haine très forte, chez les avocats comme les journalistes. Y compris de la part de gens accomplis et au-dessus de moi.» Le dossier Dard, défi et tremplin, l’exposait; la foule se pressait au Palais de justice comme au théâtre. Warluzel savait que le combat, sur le plan pénal, était perdu d’avance, mais l’intelligence de sa plaidoirie marathon, sans la moindre note, lui valut la reconnaissance des gens de robe et l’amitié inattendue du père de la victime. Raymond Vouillamoz, ancien directeur des programmes de la TSR (RTS aujourd’hui), confirme: «Après six mois d’instruction chez le juge, Frédéric Dard avait invité Dominique à boire un verre. Il était tombé amoureux de l’avocat de la partie adverse.»
Désormais, Warluzel serait de tous les grands dossiers. Dans l’affaire du Dr Medenica, il fit témoigner à Genève Mohamed Ali. Le «king du ring» avait été soigné aux Etats-Unis par le cancérologue amateur de fausses factures. Il y eut le procès de la BCGE, celui du rapt du fils Lagonico ou l’assassinat de l’aide-dentiste Adèle N. «A chaque fois, j’y ai mis jusqu’à la dernière goutte de mon sang. Je connaissais par cœur l’intégralité des 35 classeurs fédéraux», soulignait-il, travailleur infatigable, malgré ses dons. «J’ai une mémoire dite eidétique. Elle concerne une personne sur un million. Cela a été fondamental dans ma carrière. Tout est gravé dans ma tête, des millions d’informations.» Son aplomb, à la limite de l’arrogance, dissimulait un naturel angoissé. «Je me suis affranchi de la peur face caméra, pas de celle des prétoires», avouait-il avant de renoncer définitivement à plaider en 2012.
Singulier, roué, conquérant, pressé, Dominique Warluzel craignait de mourir jeune, comme son père Claude, foudroyé par un infarctus à 27 ans. Alors, il cumulait les casquettes. A ses étincelles à la barre, son association avec les figures les plus prestigieuses de la profession, il allait ajouter, outre la présidence du FC Servette (1989-1990), la double fonction de producteur-animateur à la Télévision suisse romande, cumulant plus de 230 prime times.
Il conseillait banquiers, magnats de l’immobilier, sportifs, patron d’écurie automobile, princes en exil ou joailliers et côtoyait aussi le Tout-showbiz. D’Isabelle Adjani, qu’il admirait pour «son intelligence de cristal» et qu’il installa à Genève après sa séparation, à Johnny Hallyday, futur exilé fiscal, dont il disait qu’il «savait chanter, pas compter». «Il nous ouvrait son extraordinaire carnet d’adresses, admet Vouillamoz. Et il aimait réellement la télévision.»
En 1987, pour la première de son talk-show, Profil de..., il convia son ami Christophe Lambert, devenu à 27 ans une vedette mondiale en incarnant Tarzan dans Greystoke. Ce dernier invita un certain Alain Delon. La star française allait devenir le client et l’ami de Me Warluzel. «Ce fut un choc physique. Il était d’une beauté irréelle. Nous sommes devenus intimes. Malgré nos brouilles, Delon et moi, c’est à vie.»
En regardant Deux hommes dans la ville, il avait confié à sa mère, comme une prescience: «Je ne sais pas quand ni comment, mais je sais que la vie fera que je rencontrerai ce mec et que mon existence en sera chamboulée.» Warluzel en fit son modèle, épousant jusqu’à sa gestuelle. Il avait trouvé en lui une figure paternelle de substitution comme le furent Dominique Poncet et Frédéric Dard.
Les aventures cathodiques de l’avocat se poursuivirent avec des émissions judiciaires. «Pour l’imposer, contre l’avis du syndicat des journalistes, je suis allé jusqu’à mettre mon poste en jeu», ajoute Vouillamoz. Avec Béatrice Barton, devenue une proche, Warluzel allait lancer Duel et, dès 2010, Dans mon cinéma. En fin cinéphile, il reçut Mireille Darc, Claudia Cardinale, Claude Brasseur, Robert Hossein, Carole Bouquet et des dizaines d’autres.
DECES DE WARLUZEL
Fidèle en amitié, généreux, il souffrait de terribles carences affectives. Il avait tous les talents, sauf celui d’être heureux. Deux fois l’an, lorsqu’il s’échappait, avec une prédilection pour les Exumas, cet archipel des Bahamas, il touchait enfin du doigt cette plénitude qui lui échappait le reste du temps. Sa difficulté viscérale à exprimer ses sentiments était le fruit de son éducation stricte et d’un manque de communication, notamment avec sa mère, Rita, mariée à 18 ans. Elle le mit au monde à 16 ans. «J’ai su que j’étais un accident», disait-il. Lorsqu’elle convola de nouveau, Dominique, 6 ans, en fut jaloux. «Je sentais que mon beau-père me volait quelque chose.» Il ne fit jamais mystère de sa haine envers lui. Le couple et l’enfant vécurent dans les cris et les corrections à coups de poing. Cet homme fortuné qu’il détestait tentait de lui souffler ses conquêtes. «Je l’ai appris plus tard. J’avais 18 ans et mon beau-père avait couché avec mon premier amour, contre un manteau de vison à 15 000 francs.»
Sa carrière, son besoin de notoriété furent la revanche d’un enfant tourmenté, profondément blessé. «J’avais un besoin de reconnaissance qui doit remonter aux difficultés de l’enfance. La négation de ma supériorité intellectuelle m’a conduit à cette confrontation avec cet homme. Mes qualités, ma mère ne les a jamais mises en exergue. Je me suis senti trahi.»
Ce besoin d’amour le poussa à séduire à tout va et à le faire savoir. On le découvrit en une de Closer aux côtés de Rachida Dati, qui ne céda jamais à ses avances. Il apparut au bras des plus belles femmes, parfois mariées, souvent en vue, de la chanteuse italienne Alba Parietti à l’actrice française Natacha Amal. Lolita Morena, Miss Suisse 1982, qu’il faillit épouser, fut, selon ses termes, «la femme de ma vie». Malgré la passion, les sentiments réels, rien ne durait. Warluzel, était, selon la formule de Victor Hugo, un noir soleil.
Mieux valait être du bon côté pour ne pas essuyer ses humeurs, ses saillies insultantes, ses rapports de force incessants. Une fois passé l’orage, le sale gosse devenait un être attentionné et charmant.
Sa chute allait être à la hauteur de son ascension: vertigineuse. «Dans ma position, il ne fallait surtout pas que je tombe. Genève n’est pas une ville faite pour accueillir des réussites individuelles comme la mienne. Le barreau, la télé et surtout les femmes, cela génère de la convoitise et de la haine. On m’a même dit à propos de ma paralysie: «Vous ne vous serviez de votre main gauche que pour compter votre argent.» En 2013, il appréhendait son AVC comme une punition. «Ces postures très sévères que j’ai pu adopter dans certaines circonstances conflictuelles, brutales, sont, pour partie, la genèse de ce qui m’est arrivé», disait-il sur la RTS.
Avant de se fracasser le crâne dans la salle de bains de sa villa des Bahamas en 2013, il pesait invariablement 70 kilos, entretenait sa forme dans sa salle de gym privée, s’était distingué comme pongiste chez les juniors et avait obtenu une ceinture noire de jujitsu.
Sa rechute en 2014 le laissa à moitié paralysé. Il consulta les meilleurs spécialistes. Laissant croire, à qui voulait l’entendre, qu’il allait retrouver sa vie d’avant, fruit d’un sentiment de toute-puissance et d’une détermination intacte. «Cela m’a coûté moins de 5 millions, précisait-il. C’est un miracle que j’aie pu les trouver, grâce à des amis, sinon je serais devenu un légume en EMS.» L’AVC, modifiant le psychisme, avait accentué son côté autodestructeur et sombre; la prise de médicaments pouvait lui ôter toute forme d’inhibition. «Je suis plus violent et colérique. J’ai des moments de dérapage verbal ou comportemental incontrôlés», avait-il reconnu. Le 2 janvier 2016 à La Réserve, il franchit la ligne rouge.
Au cours d’une altercation verbale avec son aide-soignante, Warluzel tira avec un revolver, sans la blesser. Il fut reconnu coupable de tentative de meurtre par dol éventuel et condamné à 30 mois de prison, une peine suspendue au profit d’un traitement en institution. L’incident acheva sa descente aux enfers. L’envie d’en finir le taraudait. C’était compter sans une femme providentielle, Corinne. Une ancienne mannequin qu’il allait épouser à Nassau. Ils convolèrent le 30 septembre 2017. «Elle était ma maquilleuse lorsque j’enregistrais Dans mon cinéma. Elle est divorcée, vit à Bordeaux, maman d’une fille. Le temps pour moi était venu de la stabilité. J’ai épousé Corinne pour sa fiabilité sans faille, son honnêteté, sa fidélité morale et son désintéressement. Nous sommes mariés sous le régime de la séparation des biens. Elle était à mes côtés lors de mon AVC, tout comme mon amie Béatrice Barton qui m’a sauvé la vie.»
Assagi, il aurait pu devenir dramaturge. En 2012, il signait la pièce Fratricide, jouée plus de 200 fois. «Nous avions un nouveau projet autour du procès et de son amitié avec Frédéric Dard», révèle le producteur Patrick Messmer. Las. Peu inspiré, privé de l’usage de sa main gauche, il avait suspendu le projet.
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Au chapitre de la mort, Dominique Warluzel nous confiait il y a trois ans: «On dit en général que ça sent le sapin, mais pour mon cercueil je veux du merisier. Je me ferai enterrer à Nassau.» Après une vie d’intelligence et de souffrance et selon ses dernières volontés, il a été incinéré à Genève. A sa demande, ses cendres ont rejoint la tombe de ses parents qu’il avait réunis, comme s’il n’était jamais trop tard pour se réconcilier. Même après la vie.