1. Home
  2. Actu
  3. Drame d'Yverdon: la dérive d'un père meurtrier
Tragédie

Drame d'Yverdon: la dérive d'un père meurtrier

Le jeudi 9 mars, trois sœurs de 5, 9 et 13 ans et leurs parents étaient retrouvés morts dans l’incendie de leur maison d’Yverdon-les-Bains (VD). Le surlendemain, on apprenait que c’est le père de famille qui aurait exécuté les siens par balle avant de se donner la mort. Une séparation difficile pourrait être à l’origine de ce drame rappelant l’affaire des jumelles disparues. Récit.

Partager

Conserver

Partager cet article

Le terrible incendie du 9 mars à Yverdon Les Bains ; une famille entière perd la vie dans les flammes. A 6 heures 30, alors que l'explosion vient d'avoir lieu, un voisin photographie le bâtiment en flamme.

Le jeudi 9 mars, à 6 h 38, les flammes se sont déjà emparées de la maison de la famille C.*. A ce stade, presque tout le monde croit encore à un tragique accident.

DR

A Yverdon-les-Bains (VD), on l’appelle encore «la maison Vulliamy», du nom d’un ancien commissaire de police, connu et apprécié pour son humanité, qui y vécut longtemps. Dans le jardin, accrochées à un même arbre, deux balançoires. A côté, une cabane. Nous sommes le jeudi 9 mars à la mi-journée. Hier encore résonnaient là les rires des enfants et l’innocence de leurs jeux. Et maintenant, moins de vingt-quatre heures plus tard, c’est une odeur de brûlé et de mort qui les dément, plane et confirme l’horreur indicible qui sera bientôt rendue publique: Alyssia, 13 ans, Madyson, 9 ans, et Chelsey, 5 ans, leur maman adorée, Coralie, 40 ans, et leur père, Jérôme C*., 45 ans, ne sont plus.

Séparation douloureuse


Mais sur la boîte aux lettres familiale, une première chose intrigue déjà: seulement quatre des cinq noms figurent. Celui du mari manque à l’appel. Il n’habitait plus là. On apprendra, atterrés, le surlendemain que les enquêteurs le soupçonnent très fortement d’avoir tué sa femme et leurs trois filles par balle avant de bouter le feu à la maison qu’ils louaient rue du Valentin et de se suicider. «L’examen médicolégal des victimes a permis de relever, sur chacune, des impacts consécutifs à des tirs d’arme à feu. Une arme a été retrouvée à proximité du père, qui pourrait être l’auteur des quatre autres homicides avant de mettre fin à ses jours. L’intervention d’un tiers semble exclue à ce stade», indiquait la police cantonale vaudoise dans son communiqué. Laquelle souligne aussi qu’une grande quantité d’accélérant de flammes, potentiellement de l’essence, a été retrouvée sur les lieux.

D’après nos informations, le couple était en train de se séparer. Sur son profil Facebook, Coralie se présentait d’ailleurs comme célibataire. Le 7 novembre dernier, elle postait sur ce même réseau social ce message allusif et l’illustrait d’un bouquet de chrysanthèmes, symbole d’un amour achevé dans le langage des fleurs: «Parfois tu t’aperçois que ça sert à rien de courir après certaines personnes... tu donnes de ton temps (tellement compté), de ton énergie, même de ton argent et...» Coralie et Jérôme. Jérôme et Coralie. Leur histoire d’amour et de haine, dont on ne sait encore que bien peu de choses, rappelle pourtant immanquablement celle des jumelles disparues. Début 2011, Mathias Schepp, le père d’Alessia et de Livia, 6 ans, résidant à Saint-Sulpice (VD), les avait enlevées et très probablement emmenées dans la mort avec lui jusqu’en Corse. Et ce, pour se venger de son épouse, Irina Lucidi, avec qui il traversait alors une séparation douloureuse. Les fillettes n’ont jamais été retrouvées.

Le drame qui a brisé la famille C. est tout aussi tragique. Il a secoué Yverdon-les-Bains comme une bombe au petit matin. «Mon réveil marquait 6 h 38 quand mon mari et moi avons été tirés du sommeil en sursaut par une énorme déflagration, raconte un couple du quartier. On s’est précipités à la fenêtre et la maison était en feu. D’immenses flammes s’en échappaient…» Peu avant le drame, une voisine des disparus sortait promener son chien. Une première explosion l’avait surprise, faisant voler en éclats la porte d’entrée des C. Loucky, le berger australien qui faisait la joie de la famille depuis mai dernier, s’était enfui droit vers elle en courant. Le mari de la quadragénaire lui avait ensuite crié de rentrer immédiatement, ce qu’elle avait fait, et, au même moment, une seconde détonation retentissait.

Des parents dévastés


Les 24 pompiers, arrivés rapidement sur place avec leurs 11 véhicules, ont mis du temps à maîtriser l’incendie. Ils n’ont pu pénétrer dans le bâtiment que vers 7 h 30. Au même moment, le père de Coralie C., venu sur place en urgence avec sa compagne, confiait en larmes aux premiers journalistes présents sur les lieux qu’il n’arrivait pas à contacter sa fille. Le pauvre homme avait vu «sa» Coralie et ses trois petites-filles l’avant-veille, sans savoir évidemment que c’était la dernière fois. Aujourd’hui, lui, son épouse et leur fils sont dévastés.

En ce jeudi matin, un camarade de classe d’Alyssia, l’aînée des trois sœurs, s’était étonné de ne pas la voir débarquer à l’établissement Léon-Michaud où elle devait, comme lui, purger une heure de retenue avant les cours. La veille au soir, l’ado avait aperçu son amie promener ses deux chiens dans la rue. «C’est irrationnel mais, depuis, ce souvenir le hante. Il s’en veut, car il a l’impression qu’il aurait pu éviter la mort d’Alyssia», confesse avec émotion la maman du jeune homme. Dès l’après-midi de jeudi, à la sortie des cours, les camarades d’Alyssia affluaient hébétés et comme aimantés vers la maison de leur amie disparue. La nouvelle leur avait été annoncée en classe peu avant midi, suscitant des cris d’effroi et des pleurs. Une cellule psychologique de soutien a été mise en place.

L’adolescente était une cavalière passionnée qui possédait son propre cheval, baptisé Design. De nature enthousiaste et énergique, elle avait commencé à monter dès l’âge de 6 ans. En 2021, elle avait même été sacrée championne vaudoise dans la catégorie poney C. Dans les locaux du Centre équestre d’Yverdon-les-Bains où tous l’ont bien connue ainsi que ses sœurs et leur maman, c’est le choc et le mutisme. «On ne vous oubliera jamais!» indique tristement une inscription sur le bouquet que l’équipe a déposé rue du Valentin. «Alyssia était une camarade de classe que tout le monde aimait bien, je n’arrive pas à réaliser qu’elle a été assassinée!» confiait, deux jours après le drame, Amjed Abdalla.

Les Yverdonnois viennent rendre hommage aux disparues.

Le dimanche 12 mars, nombre d’Yverdonnois sont venus rendre un dernier hommage aux disparues devant leur domicile, dont la haie est couverte de petits mots et de fleurs. Il ne reste rien de la maison.

Jean-Guy Python

Les sœurs C., c’était quelque chose! La complicité et l’amour régnant au sein de leur trio étaient palpables. L’aînée était scolarisée en secondaire dans l’établissement Léon-Michaud, sa cadette au collège Pestalozzi et la petite dernière dans celui des Jordils. La veille de sa mort, Chelsey participait normalement à l’anniversaire d’un petit voisin, où elle s’était régalée de crêpes. Leur maman était un ciment entre elles.

C’était une femme positive, de caractère et de cœur, généreuse et entière. Coralie C., née S*., aimait profondément ses parents et son frère. Elle aimait Patrick Bruel, traquer les champignons dans les sous-bois et les voyages. Si elle avait dû se choisir une devise, cela aurait sans doute été «carpe diem». Faute d’être parvenus à concrétiser le projet d’achat d’une résidence principale qui lui tenait très à cœur, elle et sa famille habitaient depuis 2021 la «maison Vulliamy», qui fut aussi celle de feu l’éditeur et écrivain Rolf Kesselring.

«Comment un papa peut-il en arriver là?»


«Janvier est le premier chapitre d’un livre de 365 pages. Ecrivez-le bien!» postait la disparue en début d’année sur sa page Facebook depuis une station balnéaire mexicaine où elle passait des vacances avec ses filles, son frère et leurs parents. Sa 68e page à elle fut terrible et imprévisible, car elle a été écrite par celui qu’elle avait si longtemps aimé. Le week-end suivant ce drame, connaissances et anonymes se sont succédé sans discontinuer à proximité des lieux de ce crime maquillé en accident. Dans les yeux de beaucoup, des larmes coulaient. D’autres avaient apporté un bouquet de fleurs. Certains aussi disaient leur révolte, des larmes dans la voix, à l’instar de l’Yverdonnoise Alexandra Morrison: «Comment un papa, même désespéré, peut en arriver là?»

Pour incompréhensible qu’elle soit, la chose n’est pas si rare. Dans un rapport de juin 2020 portant sur «La violence dans les situations de séparation», la Confédération expliquait que, entre 2009 et 2016, la police a enregistré dans notre pays une moyenne annuelle de 50 victimes d’homicide ou de tentative d’homicide dans les couples. Et aussi que, chaque année, une quinzaine de femmes ont été victimes des violences infligées par leur ex-partenaire. Parmi elles, 24% n’ont pas survécu. «Ce mécanisme d’enfermement dans un bouillonnement de rage intense et calculatrice, masquant un profond désespoir, est documenté dans la littérature. Au-delà du cas d’Yverdon, le passage à l’acte est un moyen d’évacuer ces émotions difficiles. Il révèle une personnalité fragile et narcissique, persuadé que si lui a mal, tout le monde devrait être annihilé au passage dans un meurtre suicide familial», analyse de son côté Philip Jaffé, psychologue spécialiste en criminologie et en psychopathie bien connu.

Un homme jovial et sympathique


Feu Jérôme C., l’assassin présumé, est désormais l’objet de toutes les incompréhensions et de bien des haines aussi. On sait encore peu de choses de cet homme si ce n’est qu’il travaillait notamment depuis vingt ans dans une entreprise de publicité basée à Attalens (FR) et dirigée par ses parents. «Réalisateur en publicité de formation, il a développé tout le secteur de l’impression numérique, de la création et de l’informatique, qu’il maîtrise parfaitement», indique encore aujourd’hui banalement le site internet de la société qui, lundi, restait portes closes. Les parents du quadragénaire disparu habitent le même bâtiment. Rencontrée là lundi matin, sa maman, marquée par l’épreuve, nous a fait savoir avec une grande dignité qu’elle ne ferait aucun commentaire, soulignant qu’une enquête est toujours en cours.

En parallèle à son activité au sein de l’entreprise paternelle, son fils avait lancé en 2018 une société qui louait des structures ludiques gonflables pour des anniversaires d’enfants, avant de la revendre l’an dernier. «Jérôme et sa famille habitaient encore Attalens il y a quatre ans en arrière. Ses affaires allaient mal et ses problèmes familiaux découlaient de cette situation, affirme un habitant d’Attalens disant connaître l’assassin présumé depuis toujours. Il ne faut pas juger cet homme. On est très loin de pouvoir imaginer la détresse qui a pu le pousser à planifier un geste pareil!»

Du côté d’IC Travel, une employée s’étonne: «C’était un homme jovial, sympathique et avec un certain charisme. Il adorait ses filles, dont il parlait souvent quand il passait à l’agence. La dernière fois, c’était il y a environ six mois et il avait l’air bien…» En regardant les photos de ce père de famille au physique banal, on peine à les faire coïncider avec son acte fou et on repense aussi à cette phrase que son épouse avait postée sur Facebook voici plusieurs semaines: «On ne peut pas contrôler le comportement des autres, mais on peut contrôler le moment où on ne veut plus avoir à le subir…»

>> Les autorités yverdonnoises ont mis en place une ligne téléphonique à disposition de la population: 024 423 68 00.

Par Laurent Grabet publié le 22 mars 2023 - 08:52