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Drogue et sexe, la nouvelle épidémie?

Utiliser des produits de synthèse pour intensifier les rapports sexuels, une pratique qui se développe. Face aux graves risques encourus, les associations tirent la sonnette d’alarme. Vers qui se tourner lorsque la situation devient critique?

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Chemsex

Même si la pratique du chemsex reste pour l'instant minoritaire, les risques liés à ce phénomène sont à prendre au sérieux. 

Image Source/Getty Images

Le «chemsex», c’est quoi? Contraction de chem (chemistry, chimie) et de sex, cette pratique consiste à consommer des substances psychoactives dans un but de désinhibition, de performance sexuelle et d’explosion sensorielle. Elle prend de l’ampleur depuis quelques années, en particulier dans la communauté des hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH), et comporte d’importants risques. Overdose, perte de contrôle, dépendance, violences… voilà le sombre revers d’un plaisir décuplé et libéré. Face à la démocratisation rapide du chemsex et à l’émergence de situations individuelles préoccupantes, certains acteurs de la santé n’hésitent pas à parler de véritable épidémie et appellent à une sensibilisation plus large des populations concernées.

1. La crainte d’un «deuxième sida»?
Difficile de mesurer l’ampleur du phénomène, mais, selon différents travaux récemment menés auprès des populations concernées, la prévalence du chemsex tournerait autour de 15 à 20%. Si ce chiffre est complexe à établir, c’est qu’il doit prendre en compte plusieurs paramètres. «Il faut distinguer une expérimentation ponctuelle non programmée lors d’une «opportunité» dans un cadre festif et une consommation de substances régulière et fréquente, associée à dessein aux rapports sexuels, explique Florent Jouinot, responsable de la coordination romande pour l’Aide suisse contre le sida. C’est cela, l’aspect problématique du monitorage du chemsex.»

Quoi qu’il en soit, si la pratique reste minoritaire, ses risques, eux, sont à prendre au sérieux. Certains n’hésitent pas à faire le parallèle avec l’épidémie de sida, une comparaison qui doit cependant être modérée et contextualisée. «Bien sûr, on est dans une configuration totalement différente, mais la référence se veut préventive, ajoute Florent Jouinot. A l’apparition du VIH dans les années 1980, les autorités politiques, la population et la communauté gay ont négligé les signaux d’alerte. Il ne faut pas reproduire les mêmes erreurs et réagir dès le départ, pour endiguer le phénomène.»

2. Sexe et drogue, une association vieille comme le monde
Des bacchanales débridées chez les Romains à Charles Baudelaire qui écrivait que «l’opium creuse la volupté», en passant par la période hippie des années 1970, l’association drogue et sexe a toujours existé, souvent en lien avec des moments festifs.

Ce qui est nouveau, c’est la forme que prend cette pratique depuis une dizaine d’années. Le travailleur social en santé sexuelle et activiste britannique David Stuart – inventeur du terme chemsex – est le premier à décrire ce phénomène encore marginal. Dans les années 2010, on assiste à un changement de paradigme: les produits ont évolué, la palette des substances de synthèse s’est élargie et leur concentration en principes actifs a fortement augmenté. Des substances plus nombreuses, plus puissantes, plus addictives encore, mais aussi plus accessibles.

3. Un vaste catalogue
Substances de synthèse, et parfois cannabis ou alcool, la liste des produits généralement utilisés dans le chemsex est vertigineuse. Leur but: repousser les limites du plaisir, décupler les sens ou encore faire sauter les verrous de l’imaginaire. Les drogues pour y parvenir peuvent se classer selon plusieurs grandes catégories. Les stimulants, comme la cocaïne, la MDMA, la crystal meth, ou les cathinones permettent de maximiser la performance physique et sexuelle. Les désinhibiteurs (alcool, GHB/GBL, cannabis…) aident quant à eux à se détendre. Enfin, les modificateurs de perceptions, comme la kétamine, vont décupler les sens tels que le goût, l’ouïe, l’odorat, le toucher…

Les dangers sont souvent liés à une mauvaise utilisation, à une méconnaissance des substances ou à une interaction entre les différents produits. Le GHB/GBL associé à l’alcool ou aux cathinones représente par exemple un cocktail mortel. «Notre travail de sensibilisation insiste aussi sur les mésusages et l’importance d’une expérimentation cadrée», insiste Florent Jouinot.

4. Internet, un facilitateur
Largement diffusées grâce à internet, ces substances ne nécessitent plus forcément l’intermédiaire d’un dealeur au coin d’une rue sombre, mais peuvent être livrées chez vous, en grande quantité et à des prix toujours plus bas. «Avant, on achetait une dose, correspondant à une utilisation unique, souvent fournie avec quelques conseils d’utilisation, rappelle Florent Jouinot. Aujourd’hui, on peut, en trois clics, acheter par litre ou par kilo des produits qui doivent se consommer au millilitre ou au milligramme. On imagine bien les risques que cela entraîne.»

Autre facilitateur numérique de taille qui participe à l’émergence du phénomène: les réseaux sociaux et les applications de rencontre géolocalisées, qui ont modifié radicalement les modalités de rencontre entre partenaires sexuels. Sur ces plateformes, le ton est souvent donné et les adeptes de chemsex affichent sans complexe leurs préférences en la matière. «Dans les descriptifs, de manière plus ou moins codée, on voit apparaître une augmentation de la pratique, constate Florent Jouinot. On note aussi plus d’appels et de consultations auprès des associations ou des groupes de parole.»

Et la période covid n’a pas freiné la pratique, bien au contraire. «La fermeture des lieux de socialisation a entraîné une recrudescence du recours aux applications de rencontre et des soirées privées, constate le Dr Stéphane With-Augustin, psychologue au Pôle Cité (Université de Genève). Les soirées chemsex ont pu prendre la place d’autres types de réunion.»

5. Risques physiques, psychologiques, sociaux
Même s’il ne conduit pas nécessairement à des dommages, le chemsex expose néanmoins à des risques physiologiques immédiats. «La consommation du produit en lui-même peut attaquer le capital veineux ou brûler les muqueuses pharyngées, nasales ou anales, avec parfois de grosses séquelles proctologiques, recense Florent Jouinot. A cela s’ajoute le risque réel de contracter des infections transmissibles par le sang ou lors de rapports sexuels.»

L’autre aspect problématique tient aux conséquences de la perte de maîtrise liée à la consommation. Parmi les utilisateurs, nombreux sont ceux à avoir été victimes d’abus sexuels, de viols et/ou de violences physiques. «La question du consentement est centrale, mais mise en difficulté par l’impact des substances sur la capacité de discernement», déplore Florent Jouinot.

6. Sur la pente de la dépendance
Instantanément, les substances agissent sur le cerveau en provoquant une modification des perceptions, des émotions ou du contrôle. Elles entraînent également une activation du système de récompense, qui participe à provoquer des dépendances. La première dose est efficace, la seconde un peu moins et ainsi de suite. Pour maintenir l’effet du produit, l’utilisateur doit augmenter les doses. «On observe souvent des personnes qui commencent à prendre ces substances pour masquer les insécurités liées au manque de confiance en soi, aux complexes physiques ou concernant l’âge… dans un but d’améliorer leur sexualité, mais qui, au fil du temps, finissent par consommer ces drogues sans plus avoir de rapports sexuels», constate le Dr With-Augustin.

Ce glissement plus ou moins rapide vers une dépendance aux substances, au-delà des risques sociaux (perte de travail, désociabilisation, problèmes financiers), mène à des risques physiques non négligeables, voire dramatiques (overdose, coma, décès).


Reconnaître l’addiction

Qu’elle soit liée à une substance ou non, l’addiction (sexe, écran, etc.) peut prendre le pouvoir sur le quotidien. Voici quelques-uns de ses signes caractéristiques.

Priorité numéro un
La consommation peut passer avant toute autre activité, sociale, professionnelle, amicale.

Besoin irrépressible
Un désir puissant et compulsif se développe vis-à-vis de la substance ou du comportement.

Sensation de manque
Lorsque le besoin ne peut pas être assouvi, le manque survient. Son intensité expose à une souffrance et à des comportements à risque.

Toujours plus
Malgré des promesses (faites à soi-même ou aux autres), l’objet de l’addiction dicte sa loi et fait perdre le contrôle sur la consommation ou les limites que l’on s’était fixées.

Je sais, mais…
Conséquences sur la vie personnelle, professionnelle, remarque des proches: la conscience du problème est là, mais l’addiction plus forte.


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Par Laetitia Grimaldi publié le 11 juin 2021 - 15:42