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Elie Semoun: «Je suis dépendant affectif, comme tout le monde»

Elie Semoun, homme multiple. Après un livre sur sa passion pour le jardinage et un documentaire sur la disparition de son père, l’artiste publie un beau roman d’amour qui révèle comment les deuils ont marqué sa vie et qu’il est autant épris de papillons dans le ventre que de poésie. Rencontre avec un amoureux de l’amour.

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Elie Semoun

Elie Semoun: «Je n’ai envie ni de vieillir, ni de mourir, je suis vraiment dans la merde. Mais bon, c’est comme ça».

Manuel Braun
carré blanc
Julie Rambal

Dans «Fragments d’un discours amoureux», le philosophe Roland Barthes commençait sa magistrale autopsie des transes amoureuses par: «C’est donc un amoureux qui parle et qui dit.» Ce livre-remède pour bien des égratignés du cœur n’a jamais séduit Elie Semoun, qui liste aussitôt d’autres romans d’amour quand on le mentionne (Le roman du mariage, Le Grand Meaulnes, Belle du Seigneur…), et pourtant, on ne peut pas s’empêcher d’y penser en lisant «Compter jusqu’à toi» (Robert Laffont), son premier roman sentimental. Dans ce livre écrit à la première personne, l’acteur, réalisateur, chanteur et désormais écrivain raconte une relation condamnée, du transport fébrile au chagrin résigné, avec une lucidité sur ses propres émotions qui donne au récit une dimension hautement universelle.

L’amoureux éconduit résiste, même, en offrant à «l’être aimé», comme disait Roland Barthes, une incroyable déclaration d’amour, ivre de romantisme et de poésie, et sans omettre d’égratigner ses propres carences. Après «Mon vieux», bouleversant documentaire sur son père frappé d’alzheimer, l’humoriste star nous livre ses doutes, qui révèlent de nouvelles vérités douloureuses et touchantes, longtemps tapies sous les vannes. Ce qui ne l’empêche pas de continuer, avec succès, la tournée de son dernier spectacle (Elie Semoun et ses monstres) et la réalisation des derniers opus de «L’élève Ducobu», qui cartonnent au box-office. Mais forcément, on avait envie de parler d’amour en le rencontrant, dans son pied-à-terre rempli des œuvres de son fils de 27 ans aux murs. Ce jour-là, l’amoureux transi était malheureusement grippé, aussi affable et accueillant que possible malgré le mal de gorge. C’est donc un amoureux qui tousse, renifle, et qui dit…

- Pourquoi vous être lancé dans l’écriture d’un roman d’amour?
- Elie Semoun:
Parce que ce qui m’intéresse le plus au monde, ce sont les histoires d’amour. Celles des autres, celles que je lis dans les romans, celles que je vis. Je ne bois pas, ne me drogue pas, et c’est l’adrénaline que je trouve dans la vie. Je l’ai aussi sur scène, dans mon métier, qui est plein de risques, mais surtout en vivant une histoire d’amour. Là, j’ai l’impression d’être vivant.

- Ce livre est une magistrale déclaration d’amour, d’ailleurs.
- Pas forcément à la fille à laquelle je pense, ou à celles auxquelles je pense. C’est une déclaration d’amour à l’amour, et aussi, comme je l’écris à la fin, à ma mère. Quand j’écrivais, j’envoyais de temps en temps de petits épisodes à un ami, notamment cette scène où je la regarde se maquiller dans la salle de bain. Et il m’a répondu que c’est très beau, cet épisode où l’enfant regarde sa maman se maquiller. Ça a été une révélation. Je me suis dit que j’étais surtout en train d’écrire une déclaration d’amour à ma mère. J’avais 11 ans quand elle est morte, et je pense que son départ a créé un vide que je ne pourrai jamais remplir. Après, ça déborde sur les histoires d’amour. Mais ce roman est un mélange de réalité, tout en étant très romancé. 

- Vous y exprimez un registre beaucoup plus grave et intime que le bouclier habituel de l’humour. Vous aviez envie de cette sincérité-là?
- J’ai fait cela trois fois. Avec mes albums de chansons, qui ne sont pas du second degré, quand j’ai fait le documentaire sur mon père, «Mon vieux», et avec ce livre. Ce sont des registres où l’on ne peut pas tricher. D’ailleurs, je ne me donne pas le bon rôle dans le bouquin. Je passe pour un emmerdeur et on peut penser que je suis jaloux, alors que je ne le suis pas du tout. Mais déjà dans la vie, j’essaie d’avoir les rapports les plus normaux et sincères possibles. Et quand on écrit un roman d’amour, on ne peut pas tricher non plus.

- Vous y décrivez les mécanismes d’une certaine forme de dépendance amoureuse. 
- Je pense que je suis un dépendant affectif, comme tout le monde. Si je tombe amoureux, j’écris beaucoup, je fais des chansons, des poésies. Tous les jours, j’envoie un petit texte marrant, c’est toujours un mélange de légèreté et de profondeur.

- Apparemment, vous écrivez beaucoup de poésie. 
- Quand j’étais ado, j’écrivais des poèmes, et quand je suis amoureux, j’écris beaucoup de poésie. Mon premier album de bossa-nova, qui s’appelle «Chansons», était entièrement dédié à une fille. 

- Si votre roman ne parle que d’une personne, il mériterait qu’elle revienne. Il est beau.  
- C’est ce que je pensais mais ça n’a pas fonctionné. Et, à la limite, ce n’est pas grave. Sans me comparer à ces gens-là, Jacques Brel a écrit «Ne me quitte pas», et elle n’est pas revenue. Richard Wagner a écrit «Tristan et Isolde», qui est un opéra sublime, pour la femme d’un mécène qu’il voulait séduire, ce salaud, et si ça ne marche pas toujours, ce n’est pas grave, c’est une motivation pour recycler les douleurs et les peines. 

- Dans ce texte, vous écrivez que vous aimeriez ne vivre que des premières fois, et en même temps, vous semblez comblé par la douceur du quotidien. C’est un peu ambivalent, non?
- On pense toujours que le bonheur, c’est d’aller voir des couchers de soleil à l’autre bout du monde, alors que ça peut juste être de regarder un documentaire débile à la télévision, enlacé sur un canapé avec celle qu’on aime. Donc oui, les premières fois sont fantastiques, mais le quotidien amoureux peut apporter un bonheur hallucinant. J’aime ressentir le quotidien, parce qu’il est rassurant. Mais parfois aussi, une forme de doute et d’ennui peut s’installer. C’est tout le paradoxe. Dans l’intranquillité, là où l’on est le plus créatif. Et dans le quotidien, les choses se reposent, ce qui est chouette aussi.

- Votre livre raconte l’histoire d’un homme malheureux parce qu’on l’a quitté, mais dans la vie, vous avez quitté aussi? 
- Oui, bien sûr. On a été un monstre pour moi, mais j’ai aussi été un monstre pour d’autres. C’est pour ça que je comprends les points de vue, et c’est pour ça que je tenais à les intégrer dans ce livre. En essayant plusieurs styles de narration. C’est peut-être mon côté scénariste. 

- Ce livre évoque aussi la différence d’âge. Vous écrivez que vous n’arrivez pas à tomber amoureux de femmes de plus de 37 ans, l’âge de votre mère à son décès...
- J’ai dit ça dans une interview un jour, mais je ne sais pas. Peut-être que c’est une explication, même si j’avoue que je n’ai pas vraiment l’explication. Tous les vieux vous diront ça: «Je ne me sens pas vieux.» Et comme je l’explique dans les pages du livre, je ne me sens pas avoir l’âge que j’ai, et je me dis que c’est normal d’être avec une fille qui a vingt ans de moins que moi. Cela n’a jamais été un problème pour elle, ni pour moi. Après, à un moment, ça va sûrement être ridicule, mais pour l’instant, ça ne l’est pas. Le regard des autres peut être gênant, mais ça se démocratise, même pour les femmes. Le thème du spectacle de Florence Foresti est pas mal sur la différence d’âge. Elle a 48 ans, et elle a le droit d’être avec un mec plus jeune. C’est pareil pour moi. Et puis je cultive une part d’enfance. Quand on est artiste, au fond, on n’a pas vraiment d’âge, et quand on fait ce que je fais encore moins. Quand je suis sur le tournage de «Ducobu», avec les enfants, par exemple, j’ai presque la sensation d’être à leur niveau. Après, les grandes explications psychologiques… J’avoue que c’est la seule question à laquelle je n’ai pas de réponse. 

Elie Semoun

Acteur, auteur, réalisateur, mais aussi très engagé dans les actions caritatives, il n’arrête jamais. Alors merki.

Manuel Braun

- Vous écrivez en tout cas: «Nous avons un pacte tacite, le temps et moi: je l’emmerde.» 
- Et je pense que je ne vais pas gagner. Personne ne gagne avec ça. C’est aussi ce que je dis à la fin du documentaire sur mon père: je n’ai envie ni de vieillir, ni de mourir, je suis vraiment dans la merde. Mais bon, c’est comme ça. 

- Dans ce livre, vous évoquez également la douleur des deuils de votre vie, et ces vêtements de votre père que vous avez abrités dans votre dressing, pour ressentir sa présence.  
- Oui. Et un jour d’ennui, comme je le raconte, j’ai mis ses pompes, et ça m’a fait bizarre. Très bizarre. En dehors de ce que j’ai vécu, j’ai trouvé que la scène est très cinématographique. 

- Tous ces deuils ont provoqué une angoisse d’abandon? 
- C’est facile à voir. 

- Mais vous en faites quoi, de cette angoisse? Une thérapie, une amie familière, des créations?  
- Ce n’est pas pour me défausser, mais je ne suis pas le seul, parmi les artistes, à ressentir ça. C’est-à-dire qu’on vit dans le regard des autres, et qu’on a besoin d’être aimé du public en permanence, et en même temps, on se met en danger. On prend le risque d’être rejeté. C’est très paradoxal, là aussi. Ça fait partie du masochisme de l’artiste: on est hyper-fragile, mais on se met dans une position de fragilité. Et quand on vit une histoire d’amour, c’est là que c’est vraiment exacerbé. Parce que, avec le public, ce n’est pas une histoire d’amour mais d’admiration. Et je ne vais pas être malheureux s’il y a moins de personnes dans la salle, alors qu’être quitté par une femme qu’on aime, c’est violent. 

Elie Semoun

Pas un lieu de vie sans plante pour ce féru de jardinage, qui en a même fait un livre: «Pelouse interdite» (Ed. Ulmer).

Manuel Braun

- Vous avez envie de continuer dans le registre de la sincérité? Fini de rire?
- Non, pas du tout. Demain soir, je vais par exemple faire mon spectacle, et je ne lâche pas ça. C’est juste une façon de s’exprimer différente. J’avais un besoin vital et urgent d’écrire ce roman, donc je l’ai fait, ce qui ne m’empêche pas de penser à écrire un autre film pour les enfants. Et puis dans l’humour, on dit tout aussi. Il peut y avoir beaucoup de noirceur.  

- A un moment, vous évoquez des retrouvailles sur un quai de gare et votre rêve d’éviter les regards curieux. Pour aimer, il faut vivre caché quand on est connu?  
- Un petit peu. Parfois, on n’a pas envie que les gens vous regardent embrasser votre amie. Au restaurant, il y a forcément quelqu’un qui va vous écouter, vous regarder, vous prendre en photo. Mais bon, ce n’est pas grave, les gens sont très gentils avec moi. Je suis censé être un comique, donc je les fais rire, ils m’aiment bien, et je ne vais pas me plaindre. Il y a pire dans la vie. J’aurais pu être un homme politique. 

- Allez-vous continuer à écrire des romans? 
- J’ai déjà commencé à écrire. C’est l’histoire d’un personnage qui est toujours seul et qui va trouver des solutions pour briser sa solitude. La solitude, je sais ce que c’est, c’est un sujet que je maîtrise.


Son actu:


Une tournée qui passe par Lausanne: dans «Elie Semoun et ses monstres», son septième spectacle en solo, il dresse une série de portraits grinçants, entre acuité et humour qui se permet tout. Elie Semoun passera par Lausanne le 11 décembre, à la Salle Métropole.

Par Julie Rambal publié le 12 novembre 2022 - 10:49