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Dossier santé mentale

En pleine pandémie, à la maison… on craque!

Face à la pandémie, l’effroi qui a saisi la planète entière il y a un an a laissé place à un stress chronique et usant. Un défi au quotidien pour les familles et une urgence: retrouver un nouvel élan en dépit des circonstances sanitaires. Une attention particulière s’impose pour les adolescents et jeunes adultes.

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IMAGES BASSES RES DAVID MARCHON

Le confinement peut peser lourdement sur l'ambiance familiale et le moral des enfants comme des parents.

Avis aux familles au bord de l’implosion, aux adolescents rongeant leur frein et aux jeunes adultes coupés dans leur élan de vivre enfin leur vie: oui, notre santé mentale est mise à rude épreuve et il est normal de saturer. Et la conjoncture n’aide pas. Aux affres du covid qui n’en finit pas s’ajoute la saison hivernale. Cela peut sembler anodin et pourtant… «Pour certains, c’est une période terne propice à une dépression saisonnière bien réelle, rappelle la Dre Camille Nemitz-Piguet, psychiatre et cheffe de clinique scientifique à l’Université de Genève et aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). En cette année de pandémie, le malaise est décuplé et frappe le plus grand nombre.»

Mais si nos quotidiens tendent à se résumer en trois concepts, «boulot/études, dodo et masque sur le museau», la Dre Anne-Emmanuelle Ambresin, médecin-cheffe de la division interdisciplinaire de santé des adolescents du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), alerte: «Il est temps de sortir de l’état de sidération dans lequel nous a plongés le virus et de ramener de la vie dans nos vies. L’urgence est vitale, pour notre santé mentale à tous et en particulier pour les jeunes qui, sur fond d’une anxiété croissante, sont en train de sacrifier des années clés de leur construction personnelle, psychique et sociale.» Or, aujourd’hui, c’est en grande partie en famille que se jouent ces défis. Quelques pistes à explorer.

1. Redéfinir l’identité familiale

Puisqu’il est impossible de changer la situation actuelle, l’enjeu est de parvenir à l’accepter, et même à en tirer le meilleur. «C’est un fait, depuis plusieurs mois, nous sommes entourés de contraintes faisant de notre foyer le cœur de nos vies, résume la Dre Nemitz-Piguet. Selon notre situation de vie, cela n’est pas idéal, notamment pour les adolescents coupés dans un élan qui les pousserait plus volontiers vers l’extérieur.» Mais la famille est là et joue même un rôle central. Une piste: miser sur la créativité, tant pour alléger le quotidien que pour resserrer les liens. Jeux de plateau ou vidéo ensemble, rituels familiaux, élaboration de projets insolites ou encore conseils de famille ludiques pour désamorcer les crises ou repenser l’organisation du quotidien, toutes les idées sont bonnes à prendre!

2. Maintenir des rythmes

«En bousculant nos habitudes, horaires et lieux de travail ou de cours, le covid a complètement désorganisé nos quotidiens, souligne la Dre Ambresin. Si certains en ont ressenti un soulagement au début de la crise, beaucoup rapportent aujourd’hui des problèmes de sommeil, une anxiété diffuse et l’absence délétère de frontière entre vie personnelle et professionnelle.»

La clé? Préserver autant que possible un rythme quotidien, par le biais notamment de repas partagés en famille (sans écran) et d’une claire séparation entre travail, vie de famille et temps pour soi. Le télétravail peut constituer un casse-tête en présence de jeunes enfants. Pour s’en sortir, un savant mélange de clarté, de patience et de compensation est essentiel. D’abord, le message: «Quand papa/maman a ses écouteurs et parle à son ordinateur, c’est qu’il/elle travaille et qu’il ne faut pas déranger.» Ensuite, la patience, parce qu’il y aura des ratés, c’est sûr. Et la compensation: «Ma journée de travail est finie, oui, je viens jouer avec toi.»

3. Prendre le dessus sur les écrans

Pour travailler, se distraire, faire ses courses, garder un contact avec les proches: ils sont là, en permanence. Et c’est chez les adolescents que la tendance est la plus inquiétante: «En consultation, au moins 70% d’entre eux nous rapportent une augmentation du temps passé sur les écrans, explique la Dre Ambresin. Si on demande l’avis des parents, c’est plutôt 100%.»

Pourquoi est-ce un problème? En raison de troubles du sommeil, de décrochage scolaire, de fatigue, d’irritabilité, etc. «Bien sûr, les circonstances sont inédites et il faut lâcher du lest. Mais pas trop, alerte la pédiatre. Le rôle des parents est essentiel et un garde-fou s’impose: l’hygiène de vie.» Et d’ajouter: «Les chiffres actuels indiquent que le confinement a induit une augmentation de l’obésité de 11% en quelques mois chez les adolescents. Pour beaucoup, le trio sédentarité, malbouffe et manque de vie sociale commence à faire de vrais ravages en termes de santé physique et psychique.» Alors assouplir les règles, oui, mais sans faire l’impasse sur l’activité physique, des repas sains et des loisirs agréables, sans écran.

4. Protéger les enfants

Si la vie à l’école permet de garder un semblant de normalité, les plus jeunes ne sont pas épargnés par la morosité ambiante et l’anxiété qui parfois mine les adultes qui les entourent. Et pourtant, ces mêmes adultes – parents en tête – ont un rôle clé à conserver: celui de les protéger. «L’idée n’est pas de taire ce qui se passe, mais d’atténuer une réalité trop brute, réagit la Dre Nemitz-Piguet. L’important est le dialogue, avec des mots adaptés à l’âge de l’enfant, et une écoute de qualité pour répondre aux questions que l’enfant se pose.»

Autre conseil: ne pas laisser la télévision et son flot d’informations anxiogènes allumée en continu. «Cette attitude vaut déjà en temps normal, mais là, elle s’impose pour protéger les enfants et soi-même. Etre informé, bien sûr, mais sans se laisser inonder.»

5. Parler d’avenir

«Nous ne sommes pas doués pour faire face à l’incertitude, rappelle la Dre NemitzPiguet. Alors, si nous n’avons pas de prise réelle sur certains facteurs directement liés à la crise sanitaire, cela n’empêche pas de se projeter dans l’avenir de façon positive.» Et, selon notre vie, nos envies, les pistes sont multiples: préparer un changement de voie professionnelle, planifier un voyage en famille, par exemple.

L’attention aux adolescents est là aussi essentielle: «La situation actuelle sape leurs perspectives, leur possibilité de penser à leur avenir. Souvent, cela se traduit par une démotivation pour l’école et, finalement, pour tout, alerte la Dre Ambresin. Une parenthèse d’une année dans la vie d’un jeune, c’est énorme. Face à un adolescent que l’on sent éteint, à nous, adultes, d’agir avec bienveillance pour le sortir de cette torpeur et l’aider à redonner du sens à sa vie.»

La solution passe aussi – voire surtout – par une réouverture vers l’extérieur. «La peur a fermé nos portes, constate la pédiatre. La prudence reste de mise, mais il faut retrouver un semblant de vie sociale. Se voir, échanger, c’est essentiel.» Nous sommes et restons des animaux sociaux, qu’on ait 7, 17 ou 97 ans, que le covid soit présent ou pas.

6. Trouver des ressources intérieures

Evidemment, la période n’est pas propice à l’initiation au rugby ou à la natation synchronisée. Mais elle l’est pour se familiariser avec des techniques de relaxation, comme la méditation de pleine conscience. «La situation stressante que nous traversons nous contraint à trouver des ressources en nous-mêmes, à développer nos propres outils, note la Dre Nemitz-Piguet. De nombreuses applications et vidéos en ligne peuvent servir de supports et sont suffisamment variées pour s’adapter aux besoins de chacun. La méditation de pleine conscience vise à lâcher prise, à vivre le moment présent, à calmer le flot des pensées. Elle peut être un outil apaisant pour un adolescent en proie à l’insomnie ou pour un enfant agité.» A essayer sans forcer, par petites touches, et à alterner pourquoi pas avec d’autres activités visant ce même but d’apaisement. Certains adopteront la méditation, d’autres la peinture ou l’écoute de musique classique…

7. Saupoudrer le tout d’indulgence

Que ce soit vis-à-vis de soi-même, de son enfant un peu trop «demandeur» ou de son adolescent bougon (au mieux), l’indulgence est de mise. «On a le droit d’être négatif et de craquer parfois, insiste la Dre Nemitz-Piguet. Pouvoir se le dire, au sein de la famille, est essentiel.» Et quand la bienveillance peut être réciproque, les nuages passent, les uns devenant les soutiens des autres, à tour de rôle. Une vision idéale, certes, mais qui peut se cultiver, s’apprendre.

«Et quand une situation familiale ou personnelle s’envenime, il ne faut pas hésiter à demander de l’aide, auprès de son médecin traitant, d’une hotline dédiée ou d’associations de parents, par exemple», conclut l’experte.


Place aux traitements

Lorsque l’anxiété ne vous lâche plus, qu’elle siège au cœur de votre ventre, de votre tête ou de votre poitrine, il faut la soigner. Les solutions dépendent des besoins de chacun.

«Si l’angoisse persiste, qu’elle occasionne une grande souffrance et s’accompagne d’autres symptômes (troubles du sommeil, perte d’élan et d’espoir, tristesse, isolement social), il est recommandé de s’adresser à un professionnel de la santé (médecin généraliste, psychiatre) pour être orienté vers le traitement qui correspond le mieux à vos besoins», note Séverine Bessero, psychologue-psychothérapeute à la Consultation psychothérapeutique pour familles et couples aux HUG.

Mais quels sont ces traitements? La psychothérapie est le plus répandu. Elle est pratiquée par un psychiatre ou un psychologue. «Le psychothérapeute évalue avec le patient son niveau d’anxiété, ses compétences d’adaptation, ses ressources, parfois cachées, et les stratégies pour aller mieux», poursuit la spécialiste.

Il existe plusieurs approches, dont les trois principales – reconnues par l’assurance de base ou les complémentaires – sont la psychothérapie cognitivo-comportementale, la psychothérapie systémique et la psychothérapie psychodynamique. Selon la problématique, une psychothérapie peut se faire sous différentes configurations: individuelle, en groupe, en couple ou en famille. Parfois, quelques séances seulement suffisent. Au vu de la situation sanitaire, de nombreux psychothérapeutes proposent des consultations par visioconférence.

Lorsque la psychothérapie seule ne suffit pas, par exemple lorsque le niveau d’anxiété est trop élevé ou que son impact perturbe trop la vie quotidienne, la prise de médicaments, par exemple des anxiolytiques ou des antidépresseurs, peut s’avérer nécessaire. Des traitements alternatifs (et plus légers) existent aussi. Plusieurs remèdes à base de plantes (passiflore, mélisse, orange amère, etc.) ont montré leur efficacité pour calmer l’anxiété. Quant au CBD (ou cannabidiol), il pourrait également apporter un mieux-être.

Parmi les approches alternatives non médicamenteuses, les techniques de relaxation, l’hypnose, ainsi que la méditation de pleine conscience – pour autant qu’elle soit pratiquée régulièrement – ont clairement des effets bénéfiques sur l’anxiété. Des cours collectifs (actuellement par visioconférence) sont proposés un peu partout, tandis qu’il existe une grande variété d’applications capables d’offrir un accompagnement individuel. Les thérapies corporelles sont une autre voie possible, en complément (ou non) d’une psychothérapie. La réflexologie, la sophrologie, le yoga, voire la physiothérapie (massages, notamment) peuvent en effet aider à soulager l’anxiété.

Enfin, les moyens les plus simples sont parfois les plus importants. «Le maintien, voire le renforcement, des liens familiaux offre un soutien précieux et augmente grandement la capacité à faire face à l’anxiété générée par la pandémie», rappelle la psychologue.


Les symptômes de l'anxiété

Noyée dans le flot du quotidien ou dissimulée sous une chape de plomb, l’anxiété sait se faire entendre de multiples façons. Zoom sur quelques manifestations caractéristiques qui, lorsqu’elles perdurent, justifient une consultation médicale.

• Sommeil perturbé. Sensible aux états d’anxiété, le sommeil en est l’un des premiers indicateurs. Deux troubles fréquents: difficultés d’endormissement et réveils nocturnes intempestifs.

• Douleurs inexpliquées. Elles concernent le plus souvent la tête, le cou,
le dos chez les adultes, ou le ventre chez les enfants et les adolescents.

• Atteintes dermatologiques. Si elles peuvent être multiples, une des plus fréquentes est l’eczéma, chez les adultes comme chez les plus jeunes.

• Humeur chahutée. Accès de colère, irritabilité, mais également comportements à risque ou isolement chez les adolescents et habitudes inhabituelles chez les enfants (anxiété de séparation, apparition de TOC, etc.).

• Manifestations cardiaques. Très réactif au stress, le cœur peut présenter des symptômes tels que palpitations, peine à respirer ou encore sensation d’oppression.


«Je me suis retrouvée prise au piège d’une anxiété nouvelle»

Après des mois covid à miser sur la plus grande prudence, Louise, 32 ans et une joie de vivre à toute épreuve, a touché du doigt son pire cauchemar: imaginer ses proches malades et en être responsable. Témoignage.

«Enfin, nous y étions, à ces fêtes de Noël tant attendues pour lesquelles mon copain et moi nous étions privés de quasi tout contact extérieur pendant trois mois, de peur d’être infectés par le covid et de contaminer nos proches. Le moment venu, tout le monde a été raisonnable, savourant simplement la joie de se retrouver. Un jour est passé et un grain de sable est venu semer le trouble. Il ne s’agissait pourtant que d’un simple toussotement, mais il m’a précipitée dans un état d’anxiété effroyable et inédit dans ma vie.

C’est mon corps qui a parlé le premier: je me suis réveillée en pleine nuit, le cœur battant la chamade. Je me suis rendormie, mais toutes les heures cet état de panique s’est reproduit. Cela a duré une semaine. Je ne dormais plus et mon esprit tournait en boucle: et si j’avais attrapé le covid et contaminé toute ma famille? Mon pire cauchemar se profilait. Je voyais bien que cette toux était minime, mais je n’avais plus le contrôle de mes pensées. Seule la méditation me calmait quelques minutes, puis les ruminations anxieuses reprenaient.

Ce qui y a mis un terme? Un test négatif et surtout une parole de mon copain. Alors que j’étais prise de sanglots, il m’a dit que cela faisait sûrement des mois que je gardais tout ça en moi. Le déclic a été immédiat. Comme dans un film, j’ai revu tous ces moments où je m’étais effectivement interdit de pleurer, d’avoir peur: les allocutions officielles, les statistiques toujours plus inquiétantes, les annonces de personnes malades ou décédées autour de moi. Je ne sais pas combien de temps j’ai pleuré.

Aujourd’hui? Je reste vigilante, consciente que cela peut recommencer. Et quand je sens des larmes monter à cause de cette crise terrible, je les accepte.»

Par Laetitia Grimaldi et Elodie Lavigne publié le 4 février 2021 - 09:18