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Pour éviter que l'accouchement vire au cauchemar

Qu'entend-on par «violences obstétricales ou gynécologiques»? Quelle est la situation en Suisse? Notre dossier apporte des éléments de réponse à ces questions et attire l'attention sur des comportements inadéquats que peuvent avoir certains gynécologues. La ministre vaudoise Rebecca Ruiz prend aussi position sur un thème qui la préoccupe.

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Sophie Grimont, une mère de famille de 34 ans, a été victime de graves maltraitances lors de ses grossesses et accouchements. Julie de Tribolet

En Suisse, environ une femme sur trois jugerait son accouchement traumatisant. Près d’une sur dix souffrirait même de troubles de stress post-traumatique associés à des cauchemars. Autre fait inquiétant, gynécologie et obstétrique arrivent à la troisième place dans les statistiques des erreurs médicales, derrière la chirurgie et la chirurgie orthopédique (chiffres FMH 2016). En 2018, la question des violences obstétricales et gynécologiques portée sur la place publique mène à l’interpellation du Conseil fédéral par la conseillère nationale Rebecca Ruiz (PS/VD) réagissant à un rapport alarmant paru en France à ce sujet.

A l’époque, les politiques bottent en touche en arguant d’une absence de données chiffrées à ce sujet et renvoient la balle aux «sociétés médicales concernées». Comme si l’antique commandement de Dieu à Eve chassée du paradis était toujours d’actualité: «Tu enfanteras dans la douleur.»

1. Qu’entend-on par violences obstétricales et gynécologiques?
Le terme est apparu il y a quelques années dans l’espace médiatique, en marge du mouvement #MeToo, à la faveur de plusieurs blogs et hashtags. Lancé sur Twitter le 19 novembre 2014, le hashtag #PayeTonUtérus fait émerger plus de 7000 témoignages de femmes en 24 heures, dénonçant des propos porteurs d’injonctions sur leur physique ou leur volonté ou non d’avoir un enfant, des examens vaginaux brutaux ou pratiqués sans leur consentement, jusqu’à des violences sexuelles. Dans la foulée, en France, Marlène Schiappa, secrétaire du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), témoigne alors aux côtés d’anonymes en déclarant avoir subi un accouchement «de l’ordre de la boucherie».

Début 2018, ce même HCE identifie dans un rapport six types d’actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical, dont certains relèvent de la violence: non-prise en compte de la gêne de la patiente, liée au caractère intime de la consultation; propos porteurs de jugements sur la sexualité, la tenue, le poids, la volonté ou non d’avoir un enfant; injures sexistes; actes (intervention médicale, prescription, etc.) exercés sans recueillir le consentement ou sans respecter le choix ou la parole de la patiente; actes ou refus d’actes non justifiés médicalement; violences sexuelles. On notera que le témoignage de Sophie Grimont fait état d’au moins cinq de ces actes de maltraitance.

>> Lirele témoignage de Sophie Grimont sur ses grossesses jalonnées d'impairs

2. Quelle est la situation en Suisse?
Lorsque, fin 2018, la conseillère nationale Rebecca Ruiz (aujourd'hui conseillère d'Etat vaudoise) interpelle le Conseil fédéral sur la base du rapport français, elle lui pose un certain nombre de questions. Existe-t-il des données sur la thématique des violences gynécologiques ou obstétricales en Suisse? Existe-t-il en particulier des chiffres sur le nombre d’épisiotomies et d’expressions abdominales (pressions manuelles sur le fond de l’utérus afin d’accélérer l’expulsion fœtale ou placentaire)? La prévention des pratiques problématiques pour les patientes est-elle suffisamment intégrée dans le cursus de formation des soignants?

En réponse à ces questions, un grand flou artistique, le Conseil fédéral «ne disposant pas de données exploitables sur les pratiques gynécologiques et obstétricales» et s’en remettant «aux sociétés médicales concernées pour émettre des recommandations médicales» et aux organisations chargées de la formation pour le contenu de ladite formation.

3. Comment explique-t-on ces phénomènes?
Martin Winckler, le célèbre médecin militant féministe français, identifie deux causes principales aux maltraitances médicales, en particulier celles subies par les femmes: une société encore trop machiste qui a tendance à sous-estimer, voire à dénigrer, la parole des femmes et un corps médical paternaliste et insuffisamment formé à l’écoute des patients.

4. Que disent les professionnels de la santé mis en cause?
Alain Schreyer, gynécologue-obstétricien, président du Groupement vaudois des gynécologues, conteste, comme la majorité de ses collègues, le terme de «violences obstétricales» et souhaite lui substituer celui de «traumatisme psychologique de l’accouchement». Il attribue le parcours dramatique de Sophie Grimont à un système de santé débordé avec un personnel pas toujours bien formé, en sous-effectif, souvent stressé et donc en panne de bienveillance. «On soigne des pathologies, avec plus de science et moins de conscience. Prendre le temps de s’occuper du bien-être du patient est devenu un luxe qu’on ne nous permet plus aujourd’hui. C’est toute une culture médicale de l’attention au patient qu’il convient de réinstaller, de promouvoir et d’enseigner.»

5. Que faire après un accouchement difficile?
L’association lausannoise (Re)Naissances aide les femmes en détresse par le biais de groupes de parole. Elle intervient également dans les écoles de sages-femmes et les groupes hospitaliers. Quant à l’association SuperMamans, elle se propose d’accompagner les femmes chez elles, après l’accouchement, en leur préparant de bons petits plats maison.


5 raisons pour changer de gynéco

Et pour en trouver un ou une qui vous convienne, allez faire un tour sur le site Adopteunegyneco.wordpress.com

- Nudité

Si l’on vous demande de vous déshabiller totalement pour un examen de routine. En outre, vous pouvez demander à être examinée allongée sur le côté comme cela se pratique au Québec et non les jambes écartées avec les pieds dans des étriers.

- Douleurs

Si le ou la gynécologue, lorsque vous vous plaignez de douleurs lors de la consultation, vous réplique que vous êtes trop douillette. Le ou la médecin est censé(e) vous prévenir qu'il ou elle va insérer un spéculum, le faire avec délicatesse et adapter ses gestes à votre sensibilité.

- Pilule

Si le ou la gynécologue vous impose un examen vaginal avant de vous prescrire un contraceptif alors qu’une simple anamnèse suffit. Un toucher vaginal sans consentement est un viol. Comme le frottis, il ne devrait pas être réalisé avant 21 ans.

- Stérilet

Si l’on vous refuse la pose d’un stérilet sous prétexte que vous n’avez pas encore eu d’enfants alors qu’il n’existe aucune contre-indication dans ce domaine. C’est vous qui choisissez votre mode de contraception, pas le gynécologue.

- Orientation: 

Si le ou la gynécologue se permet de porter un jugement ou d’avoir un commentaire déplacé sur votre orientation ou vos pratiques sexuelles, votre anatomie, votre désir d’avoir ou non un enfant ou d’arrêter la pilule.


«Le corps médical doit mieux dialoguer avec les patients»

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Rebecca Ruiz, conseillère d'Etat vaudoise (PS) en charge de la Santé. VALENTIN FLAURAUD / Keystone

Rebecca Ruiz fut la première parlementaire à alerter les pouvoirs publics sur le problème des violences obstétricales et gynécologiques. Chargée de la Santé publique dans le canton de Vaud, la conseillère d'Etat annoncera prochainement des mesures pour lutter contre ce fléau.

- Qu’est-ce qui vous a amenée à prendre en compte au niveau politique la problématique des violences obstétricales?
- Rebecca Ruiz: Le terme même de violences obstétricales, je l’ai découvert pour la première fois dans le rapport de juin 2018 du Haut Conseil français à l’égalité entre les femmes et les hommes qui les dénonçait. Ce rapport et les débats qui s’en sont suivis en France m’ont amenée à interpeller le Conseil fédéral sur le sujet. Mais j’avais déjà entendu des dizaines de témoignages sur ce phénomène. Aussi bien de proches – car les femmes partagent sur leurs expériences d’accouchement – que de patientes lorsque j’étais présidente de la Fédération suisse des patients. Ce qui m’a frappée alors et poussée à agir politiquement, c’est que ces actes ont tendance à être banalisés dès lors que la douleur fait partie de l’accouchement. C’est d’ailleurs sans doute ce qui amène beaucoup de femmes à taire des expériences traumatisantes. La libération de la parole dans le sillage de l’affaire #MeToo encourage aujourd’hui les femmes à dénoncer.

- Que pensez-vous du témoignage de Sophie Grimont?
- Les situations qu’elle a vécues lors de ses trois grossesses sont dramatiques. Et les témoignages que j’ai pu recueillir m’incitent à penser que son cas est loin d’être exceptionnel. Ce que je trouve le plus choquant, c’est l’accumulation de dysfonctionnements et d’actes maladroits ou inadéquats lors de chacun des épisodes. Ce qui l’amène sans doute à une dépression post-partum, sans oser en parler ou recevoir de l’aide d’un professionnel. Heureusement qu’elle a pu être aidée par l’association (Re)Naissances qui fait un travail remarquable pour venir en aide à celles qui ont vécu ce genre de traumatisme. Son témoignage est admirable et courageux!

- Comment expliquez-vous que ces violences obstétricales perdurent dans notre système de santé?
- Le terme de violence heurte le corps médical et soignant. Ça se comprend, car un professionnel qui se voue à soigner ne peut admettre qu’on l’accuse de faire du mal et ce type d’actes ou de propos n’est en réalité jamais intentionnel, même si ces derniers peuvent être perçus comme violents ou le sont objectivement. Il ne faut pas non plus oublier qu’il y a une asymétrie de savoir et d’expertise entre une patiente et le médecin ou la sage-femme. Au soignant de ne pas l’ignorer et, au contraire, d’expliquer et de justifier le cas échéant les actes médicaux qu’il entreprend. Bien entendu, il faut qu’il ait du temps pour cela, et le stress que subissent parfois les équipes médicales ou des problèmes organisationnels peuvent être à l’origine de paroles ou d’actes maladroits ou inadéquats. En ce sens, le témoignage de Sophie Grimont est éclairant.

- Quelles mesures faudrait-il prendre pour que, à l’avenir, ces pratiques ne se reproduisent plus?
- Il faut à la fois donner la possibilité aux femmes de s’exprimer lorsqu’elles considèrent avoir été victimes de mauvais traitements et au corps médical de s’expliquer, voire de s’excuser le cas échéant. C’est essentiel pour les victimes car ce type de violences peut entraîner des traumatismes profonds et durables. Cela peut générer une dépression post-partum comme chez Sophie ou des syndromes post-traumatiques aigus. Parallèlement, le corps médical et soignant doit communiquer avec les patients. Car ces derniers sont de mieux en mieux informés et se veulent acteurs de leur prise en charge. Cette nécessité de communication doit d’ailleurs se faire autant au niveau du personnel hospitalier que du gynécologue de ville ou de la sage-femme indépendante qui prépare à la naissance et fait le suivi post-partum.Dans le canton de Vaud, les infirmières de la petite enfance qui interviennent après la naissance ont aussi un rôle à jouer.

- Mais, concrètement, à quoi peut-on s’attendre?
- J’annoncerai très prochainement la mise en place d’un dispositif pour les patientes et les partenaires confrontés à des violences obstétricales et gynécologiques, élaboré en collaboration avec le professeur Baud du CHUV et Alain Schreyer, président du Groupement vaudois des gynécologues. Il comprendra un monitoring des situations problématiques pour en tirer des enseignements et un volet préventif.


Par Busson François publié le 9 mars 2020 - 09:08, modifié 18 janvier 2021 - 21:09