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Sortie littéraire

Fabio Benoit, le flic qui manie le flingue et la plume

Expert de l’interrogatoire, du grand banditisme mais aussi écrivain, Fabio Benoit a quitté la PJ neuchâteloise pour partir à Berne former la police judiciaire fédérale. Un nouveau défi pour celui qui déteste s’ennuyer.

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Fabio Benoit

Fabio Benoit est policier et écrivain. Son dernier livre, «L'ivresse des flammes», est publié aux Editions Favre. 

Julie de Tribolet

Depuis qu’il est flic et auteur de polars, Fabio Benoit a pris l’habitude d’être soumis aux interrogatoires. Menés par des journalistes, bien entendu, comme ce matin d’avril dans le salon de sa villa lumineuse où on vient le soumettre à la question pour deux raisons: il a publié un troisième thriller et occupe un tout nouveau poste à Berne, à savoir chef de la formation de la police judiciaire fédérale.

Son adresse quelque part dans le canton de Neuchâtel restera secrète. Cet ancien commissaire de la police judiciaire a coffré suffisamment de malfrats en trente ans de carrière, du gang international de braqueurs de bijouteries aux bandes d’arracheurs de sacs qui sévissaient dans les rues, pour tenir à rester discret.

Fabio Benoit

Un faux crâne qui sert de vide-poche. De quoi faire sourire les visiteurs et qui atteste de l’humour du commissaire de la PJ aujourd’hui chef de la formation de la police judiciaire fédérale.

Julie de Tribolet

On a amené un projecteur mais juste pour la photo, pas pour le braquer sur sa figure comme dans un bon vieux film de gangsters. Il s’anime face à ce vieux cliché. «Dans les films, on voit des policiers qui tapent, fracassent; il ne faut jamais basculer dans ce genre de violence au risque de perdre sa crédibilité et de devenir identique à ceux que l’on poursuit», dit-il, la coupe de cheveux bien nette, look de prof sans histoire, mais ne pas perdre de vue l’acuité du regard. Celle du féru de criminologie, spécialiste des techniques d’interrogatoire sur lesquelles il a d’ailleurs coécrit un livre avec Olivier Guéniat, son collègue et ami décédé. Un ouvrage aussi apprécié des policiers que des délinquants, quand ce ne sont pas les journalistes qui y puisent leur inspiration.

A l’entendre, l’audition d’un suspect, c’est une partie d’échecs ou un jeu du chat et de la souris. Jouissif parfois. «Je préfère souvent quand la personne ment, avance-t-il avec un plissement d’yeux malicieux (l’inspecteur Colombo reste son flic de fiction de référence, ndlr). Il ne faut pas s’énerver, juste écouter, savoir attendre avec les éléments à notre disposition le moment propice pour abattre ses cartes. Quand j’ai commencé, en 1991, il n’y avait pas le numérique, ni l’ADN, très peu d’empreintes digitales, on avait besoin de l’interrogatoire pour avancer. Aujourd’hui, grâce à tous ces nouveaux outils à disposition, il n’est plus qu’un élément parmi d’autres. Et l’aveu n’est surtout pas le but à atteindre car il ne représente pas nécessairement la vérité. Il faut soit démontrer le mensonge, soit récolter un maximum d’informations permettant de s’approcher au plus près de la vérité.»

Fabio Benoit

Détente avec Nathalie, sa compagne.

Julie de Tribolet

Dans son dernier roman avec suspense garanti, on rencontre un pyromane torturé qui sévit à La Brévine, un notaire véreux, mais aussi Angel, un ancien mafieux, présent dans ses deux premiers bouquins, qui arrache quand même quelques ongles pour obtenir une info. Il rit. Le privilège de l’écrivain. Qui peut faire ce qu’il veut contrairement au policier. C’est la différence entre fiction et réalité où un enquêteur doit passer parfois des années à identifier un coupable tout en devant jongler avec des dizaines d’autres affaires en même temps.

Le policier neuchâtelois s’est souvent demandé jusqu’où il aurait été capable d’aller pour obtenir des aveux quand une vie humaine est en jeu. «Un policier allemand avait torturé un prévenu pour savoir où était caché l’enfant qu’il avait kidnappé. On a retrouvé le gosse mort, le policier a été condamné, mais toute l’opinion publique était pour lui. La fin ne justifie jamais les moyens à mon avis, mais je n’aurais jamais voulu me retrouver dans cette situation. Quoi qu’on choisisse, on est malheureux.»

Fabio Benoit

Le policier entretient aussi sa condition physique et tient à rester sur le terrain, même à Berne où il va former la police judiciaire fédérale, une section importante de la Fedpol qui traite entre autres de crime organisé, terrorisme et blanchiment d’argent.

Julie de Tribolet

Il y a des vibrations dans sa voix quand il parle de ce métier. Cette enquête parmi tant d’autres où il a réussi à coincer un voleur de vins de luxe. «Les vols se déroulaient dans plusieurs cantons et en France. Il fallait trouver le dénominateur commun à un mode opératoire peu commun. On a compris que c’était un vendeur de vins. On a travaillé plus d’un an pour le coincer, il y avait des millions en jeu. Ce n’était pas l’affaire la plus importante que j’ai connue, mais elle était liée à un vrai travail d’équipe, on partait de rien, ça c’est beau!»

Alors pourquoi avoir quitté la «Boîte à poulets», comme on surnomme le bâtiment administratif des Poudrières à Neuchâtel, pour migrer à Berne? «Je maîtrisais bien ce que je faisais, mais je suis un type qui a besoin de sortir de sa zone de confort, de relever de nouveaux défis.» Il fallait aussi quelqu’un avec son expérience pour rendre la police judiciaire fédérale et ses quelque 430 collaborateurs plus opérationnels, mettre en place des structures d’enquête, améliorer des processus avec le Ministère public. Et il est né en 1968. Le cap de la cinquantaine a d’ailleurs été un moment un peu difficile à passer. «On se dit qu’on a déjà fait plus de la moitié de sa vie…»

Mais ce n’est pas un nostalgique, il est «peu orienté sur le passé». Son métier lui a permis de découvrir l’humain et de garder «une humilité face à certains drames». Un personnage de son livre se jette du haut du Creux-du-Van. Il l’a vécu comme flic, confronté à la vue de plusieurs dépouilles au pied des somptueux rochers. Le commissaire garde aussi en mémoire cette voleuse dans une rédaction qu’il avait confondue. Et qui s’est suicidée juste après parce qu’à l’époque les filets sociaux n’étaient pas aussi développés. «Il faut vivre avec ça», philosophe-t-il.

Fabio Benoit

Comme dans un film de gangsters, avec son ami et collègue Olivier Guéniat (décédé en 2017), lors d’une sortie récréative de la police neuchâteloise.

Julie de Tribolet

Au vu de son actualité professionnelle, le flic a un peu étouffé l’écrivain, même si un scénario avec tueur à gages trotte dans sa tête. Sa première lectrice «impitoyable», c’est Nathalie, sa compagne depuis quatorze ans. Avec qui il partage l’amour des histoires policières. Bouquins ou Netflix. On découvre, dans «L’ivresse des flammes», qu’on peut dissoudre le corps d’un homme à 1064°C dans un four à haute température: il se trouve que c’est le point de fusion de l’or, et comme Nathalie travaille dans les métaux précieux, on se dit qu’il n’a pas eu à chercher trop loin ce genre de précision.

Est-ce qu’on gère mieux les conflits dans sa vie privée quand on a été négociateur, qui plus est formé au RAID? Regard amusé, il nous voit venir. S’il est submergé par l’émotion, explique-t-il, eh bien, il sera comme monsieur et madame Tout-le-Monde: déboussolé. Il a d’ailleurs vécu un terrible choc à la mort d’Olivier Guéniat, qui s’est suicidé en 2017. C’est avec lui qu’il avait fait ce livre sur les techniques d’interrogatoire et d’audition et tous deux prévoyaient d’en écrire un deuxième sur le vol. L’écrivain qu’il est devenu est né après ce drame. «Mauvaise personne», son premier polar, a été écrit dans la foulée, presque en état second, comme une psychothérapie, une catharsis affective. «Olivier était un extraterrestre, un fou de travail et un visionnaire en avance sur son temps. Ce qui ne devait pas toujours être facile pour lui. On n’arrivait pas toujours à le suivre!»


Le dernier livre de Fabio Benoit

Fabio Benoit

«L’ivresse des flammes», Editions Favre, 3e opus de la trilogie entamée avec «Mauvaise personne», suivi de «Mauvaise conscience».

Editions Favre

Fabio Benoit est né à Rome d’un père italien qui a abandonné sa famille. Il viendra vivre à Neuchâtel avec sa mère et sa sœur en 1973. Ne rêvait pas de devenir policier au sortir de l’école de commerce et d’un séjour de plusieurs mois en Angleterre. Se voyait plutôt prof de sport, lui qui a pratiqué l’aviron à un haut niveau comme athlète et entraîneur. C’est la rencontre avec un inspecteur de la brigade des stups qui décidera de son destin. Flic. Mais il aurait pu devenir voyou. Adolescent, il n’a pas toujours fréquenté les bonnes personnes.

«Quand je suis arrivé à la police, j’ai reconnu certains des gars que j’avais côtoyés devenus d’immenses délinquants ou toxicos. Ça m’a fait drôle! Si je n’avais pas eu ce petit feeling, ces valeurs qu’on m’a inculquées… on bascule très vite. On ne naît pas délinquant, on le devient!» A l’heure des aveux, il nous confesse quand même un délit: avoir piqué 5 francs dans la tirelire maternelle pour acheter des Lego. Et s’être fait prendre en tentant de réparer son larcin. Mais il ajoute dans un grand sourire: «Bon, il y a prescription!»

Par Patrick Baumann publié le 21 avril 2021 - 08:46