Bonjour,
Qui mieux que ce Réunionnais de 37 ans empli de joie de vivre pour parler des deux pays? L’attaquant du FC Sion est le footballeur français le plus connu de Suisse. Six fois sélectionné avec la France, celui qui fit les beaux jours des Young Boys de 2014 à 2020 a vécu le match Suisse-France avec ardeur. Pour lui, «tous les joueurs suisses ont fait une masterclass».
Guillaume Hoarau, attaquant du FC Sion.
KEYSTONE/Jean-Christophe Bott- Comment avez-vous vécu ce match incroyable?
- Guillaume Hoarau: J’ai fait un peu le fou sur les réseaux, histoire de mettre un peu de piment. Avec le FC Sion, nous sommes en préparation à Crans-Montana. J’ai tout regardé avec l’équipe et je me suis un peu fait chambrer, c’est de bonne guerre. Je suis Français, soit, mais je suis content pour les Suisses. C’est mon deuxième chez-moi.
- Comment vous situez-vous entre les deux pays?
- Il y a bientôt sept ans que je suis ici. Je suis un peu devenu un ambassadeur du football suisse en-dehors d’ici, notamment en France. Je me suis souvent fait taquiner là-bas, notamment par la presse, à cause du niveau supposé du football suisse.
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- Etes-vous surpris de voir la Suisse à ce niveau?
- Sur le match, non. Cela fait un moment que cette équipe a une base solide. On voit qu’ils se connaissent très bien. Je n’ai pas oublié la victoire 5-2 contre la Belgique. Là, on a vu des mecs confiants sur un terrain. Des mecs qui se disaient: «on n’a plus rien à perdre!». Ce petit côté suisse où on n’ose pas trop, on l’avait rangé de côté. Cela dit, bien que je mettrai toujours en lumière la performance des Suisses, la France s’est aussi battue elle-même tactiquement. D’un côté, on a vu un coach suisse qui savait ce qu’il voulait; de l’autre, on a surtout misé sur le fait d’être champion du monde et que les solutions viendraient. On a vu qu’il était très compliqué pour des individualités d’affronter un groupe soudé, à n’importe quel niveau.
- Vous est-il arrivé de vivre des matchs pareils?
- Bien sûr. Le football est un sport qui, grâce au coeur, permet de renverser des montagnes. Avec un tel état d’esprit, on peut tout faire.
- Vous connaissiez plein de joueurs suisses, non?
- Oui, j’ai vu plein de visages familiers. Mvogo, Benito, Lotomba, Sow, Zakaria, Fasnacht, Widmer. J’ai envoyé un message à Mbabu juste après. J’espère que cela va booster le football suisse. Donner encore plus de passion aux jeunes, les pousser à goûter au rêve de devenir footballeur professionnel.
- Ce genre de match fait-il faire un pas en avant à un pays?
- Oui, mais il ne faut pas se satisfaire de cet exploit. Il faut capitaliser dessus. On ne doit pas en rester à: «on a fait nos preuves, on est gentil».
- Vous dites «on» quand vous parlez de la Suisse?
- Si je vis à un endroit, je m’investis à 200%.
- Comparez-vous la valeur des deux footballs?
- Non, à aucun moment. J’étais juste persuadé que des clubs suisses pouvaient parfaitement rivaliser sur la scène européenne. Nous l’avons fait avec Young Boys. J’ai toujours vanté et mis en avant le football suisse. Mais que cette nation crée l’exploit contre la France reste un coup de tonnerre. C’est bien, cela remet l’église au milieu du village.
- En vivant ici, sentez-vous cette forte rivalité entre Suisses et Français?
- Dans chaque blague qu’on entend, il y a une part de vérité. Cette rivalité existe et existera toujours. On sait qu’il y a des sujets, comme les frontaliers, qui embêtent les uns et les autres. Si la France avait gagné, il y aurait eu moins de «chambrage». Là j’ai envie de dire aux Suisses: «lâchez-vous, c’est le moment ou jamais!» Après, les Français de Suisse savent pourquoi ils sont là. Au fond d’eux, ils sont aussi contents. La Suisse est une terre d’accueil, un pays magnifique. J’ai eu plusieurs fois l’opportunité de retourner en France pour le foot et j’ai à chaque fois décliné. Les gens ici m’ont accepté comme je suis, avec mes défauts et mes qualités.
- Même dans des endroits aussi différents que Berne et Sion?
- C’est carrément un autre pays, un autre état d’esprit. Mais la finalité est la même. Je rencontre des personnes gentilles, attachantes. Et je suis un mec sociable, je m’adapte, je suis un caméléon. La Suisse allemande et la Suisse romande n’ont rien à voir, encore plus le Valais. Je découvre la mentalité, c’est un kiff complet.
- A la fin du match, dans quel état d’esprit étiez-vous?
- J’étais content pour le football. Avec la nouvelle génération de joueurs, j’avais peur qu’on bascule dans le football voyou. Je suis déjà un peu has been, attaché à certaines valeurs ancrées. Or, lundi, on s’est moqué du statut de l’un, de la starification de l’autre. On était là pour mouiller le maillot. En tant que supporter, cela te transforme, tu as envie d’aller sur le terrain. Le Suisse assis dans son chalet, je pense qu’il devait être torse nu avec sa bière à la main!
- Sentez-vous combien la fête a eu lieu?
- Oui, avec la situation sanitaire, ce sont des images qu’on a tellement envie de revoir. On a envie de revivre. Le moteur des êtres humains, ce sont les émotions. Donc tant mieux pour la Suisse.
- Des joueurs suisses vous ont-ils frappé?
- Chacun joue son rôle, en commençant par le capitaine, Granit Xhaka. En fait, tous les joueurs ont fait une masterclass. Ils ont atteint le second ou le troisième souffle, ce moment où tu te laisses porter par ton coeur, tes émotions. Les qualités de footballeur passent soudain au second plan. Tu es porté par une espèce d’envie, qui donne des ailes. Il n’y a rien de plus fort que cela.
- Quand avez-vous connu cela récemment?
- Lors de ces matchs où tu n’as rien à perdre, où personne ne mise sur toi. Je pense à un match contre la Juventus, avec Young Boys. Tous nos ballons valaient de l’or. Le rôle d’outsider colle bien à l’équipe de Suisse. Le plus dur sera cependant de le confirmer.
- Voyez-vous la Suisse aller loin?
- Je suis quelqu’un de terre à terre. Le foot est un éternel recommencement. En deux jours, tu peux vivre l’émotion opposée si tu ne mets pas les mêmes ingrédients de solidarité. Là les matchs s’enchainent. La Suisse doit juste prendre la partie contre l’Espagne sans calculer, sans regarder l’équipe en face. Les Espagnols sont un peu dans la même situation. Ils sont en trains de se racheter une notoriété en Europe, ils ne sont plus ce qu’ils étaient. Cela reste du 50-50. Avec la fatigue physique, il faudra trouver le supplément d’âme qui permet de faire les cinq mètres qui manquent.
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- La France vous a-t-elle déçu?
- Oui et non. Ils avaient le match en mains, voilà pourquoi je dis qu’elle s’est un peu battue elle-même. Ensuite je n’ai pas été fan des choix du sélectionneur. Son ossature avec 11 ou 12 joueurs, il ne la change pas souvent. Les joueurs ne sont pas des machines. On l’a bien vu quand Petkovic a fait entrer quatre ou cinq remplaçants.
- Avez-vous senti une certaine arrogance en France?
- Tout le monde en parle, je sais. Je ne l’ai en tout cas pas senti chez les joueurs français. Observez leurs regards à la fin: ils étaient morts. A leur troisième but, ils ont dû se sentir soulagés, croire que c’était bon. Ce n’était pas de l’arrogance, plutôt de la suffisance. Après, certains sujets dans ce groupe vont devoir être débattus. Beaucoup de joueurs sont rentrés chez eux avec des états d’âme, à cause des choix tactiques du sélectionneur. Si cela permet de sonner le réveil, la France sera là à la prochaine Coupe du monde. Avec le contingent qu’ils ont, il n’est pas normal de sortir contre la Suisse. Mais je suis dans le nid ici. Je comprends la joie des Suisses et je la partage.
- Pourriez-vous rester à jamais en Suisse?
- A jamais, cela n’existe pas. Je vais arriver au moment où ma seconde vie va commencer. Il peut tout se passer, dans le football ou ailleurs, pourvu que je puisse partager des émotions, Je ne calcule jamais, je me laisse porter par l’univers. S’il y a moyen de trouver ici un projet qui me stimule intellectuellement au quotidien, pourquoi pas?
Déroute italienne au stade St-Jacques.
Fin avril 1954, la Suisse organise sa propre Coupe du monde. Pour la première fois, la télévision nationale retransmet les rencontres. A domicile, la sélection de Karl Rappan bat l’Italie 2-1 à Lausanne, puis s’incline sur le même score contre l’Angleterre. En match d’appui, à Bâle cette fois, la Suisse retrouve la sélection transalpine et s’impose 4-1 grâce à Hügi par deux fois, Ballaman et Fatton. Elle se hisse en quart de finale. A Lausanne, dans une fournaise invraisemblable, la Suisse est défaite 7-5 par l’Autriche après avoir mené 3-0.
RDBLa Suisse renverse la vapeur.
Pour obtenir le droit de disputer la Coupe du monde 1962 au Chili, la Suisse doit disputer un match de barrage terrible à Berlin, le 12 novembre 1961. Dans une arène comble, notre sélection nationale affronte la redoutable Suède, qui ne s’est inclinée que face au Brésil du jeune Pelé trois ans plus tôt. Les Suisses, toujours entraînés par Karl Rappan, ne se laissent pas abattre. Menés 1-0, ils renversent la vapeur et s’imposent 2-1 sur des réussites de Schneiter et Antenen.
RDBLa Squadra Azzura tombe de haut.
Les défaites, plus ou moins honorables, s’enchaînent durant deux décennies, jusqu’à l’arrivée du sélectionneur barbu Paul Wolfisberg. Sous ses ordres, la Suisse du futur Dr Berbig, inoubliable gardien zurichois, et des attaquants Claudio Sulser et Heinz Herrmann se défend, mais il faut souvent se contenter d’un nul. Ce 27 octobre 1982, c’est une victoire 0-1 que les Helvètes vont chercher face aux champions du monde, invaincus depuis 11 ans... Certes, il s’agissait d’un match amical, mais pour ceux qui s’en souviennent, à commencer par le buteur Ruedi Elsener, cela avait le poids d’une finale.
WLKHottiger nous offre l’Amérique.
Onze ans plus tard, la Suisse, qui a toujours chèrement vendu sa peau contre ses voisins, retrouve l’Italie, qui jouera une nouvelle finale de Coupe du monde un an plus tard aux Etats-Unis, battue par le Brésil aux tirs aux buts. En match de qualification pour le Mondial, au stade du Wankdorf à Berne, le 1er mai 1993, le Lausannois Marc Hottiger soulève tout un peuple en inscrivant le seul but de la rencontre face aux Baresi, Maldini ou encore Baggio, qui dominent le football européen de la tête et des épaules. La Suisse obtient son billet pour la World Cup’94, son premier tournoi majeur depuis près de trois décennies.
STR/KeystoneDans la fournaise de Detroit.
Lors de cette fameuse Coupe du monde 1994 que les Suisses n’avaient plus disputée depuis 1966, en phase de poule, la Nati de Roy Hodgson, successeur d’Ueli Stielike, livre une prestation formidable contre la Roumanie de Hagi, le Maradona des Carpates, dans la fournaise du Silverdome couvert de Detroit. La Nati marque quatre fois grâce à Adrian Knup, qui signe deux buts, Stéphane Chapuisat et Alain Sutter, ne cédant que sur une frappe exceptionnelle de Hagi. Qualifiée pour les huitièmes de finale, la Suisse est laminée par l’Espagne qui nous inflige un sec 3-0. Fin de l’aventure.
STR/KeystoneBataille de rue à Istanbul.
Lors des qualifs pour la Coupe du monde 2006 en Allemagne, la Suisse de Köbi Kuhn, deuxième de son groupe derrière la France, se rend à Istanbul pour y affronter la Turquie, troisième du dernier Mondial, dans un match de barrage très compliqué. Vainqueurs 2-0 à l’aller, les Suisses s’inclinent certes 2-4 à Istanbul le 16 novembre 2005, mais en arrachant ce fameux deuxième but à l’extérieur – une règle que l’UEFA vient d’enterrer en cet été 2021 –, ils passent, non sans avoir été roués de coups par leurs adversaires devenus fous, ivres de frustration et de colère.
KEYSTONE/Karl MathisLa France ne marque pas.
Disputé en Allemagne, le Mondial 2006 réserve à la Suisse un groupe compliqué avec la France, championne du monde en 1998 et vice-championne du monde 2006, le Togo et la déjà redoutable Corée du Sud. La bande de Köbi Kuhn signe un exploit en contraignant, à la surprise générale, la France au nul (0-0) le 13 juin 2006 à Stuttgart. La Nati s’impose ensuite 2-0 contre la Corée du Sud et le Togo. En huitièmes de finale, après une prestation assez pathétique il faut bien le dire, la Suisse est éliminée par l’Ukraine aux tirs aux buts, sans en avoir marqué un seul…
KeystoneLa Roja se fait surprendre.
Personne n’a oublié cette victoire 1-0 face à l’Espagne, championne d’Europe en titre et future championne du monde, en phase de poule de la Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud. Le 16 juin 2010, Gelson Fernandes est entré à jamais dans le coeur des Suisses en inscrivant, de manière pour le moins aléatoire,le seul et unique but de la rencontre. Pourtant la Suisse, reconnaissons-le, n’avait pas existé sur le terrain. Pour la Roja, la douche est froide et la défaite sera salutaire. Les Espagnols se reprendront aussitôt et ne lâcheront plus rien, jusqu’au triomphe. Merci qui?
Peter Klaunzer/KeystoneMessi dans ses petits souliers.
Coupe du monde 2014 au Brésil. La Suisse d’Ottmar Hitzfeld ne fait plus rire personne. Elle figure même parmi les têtes de série lors du tirage au sort des groupes. Après s’être imposée contre l’Equateur et avoir perdu contre la France, elle bat le Honduras 3-0 et affronte l’Argentine de Messi, le meilleur joueur du monde, en 8e de finale le 1er juillet. Les Suisses, solides et solidaires, ne cèdent rien. Ils contraignent les Argentins aux prolongations. Le futur Parisien Angel Di Maria nous crucifie à la 114e minute, même si Dzemaili touche encore le poteau à la 120e et ultime minute de jeu.
KEYSTONE/Peter KlaunzerLe jour de gloire est arrivé.
Match de rêve, complètement fou, ce lundi 28 juin 2021 à Bucarest lors du 8e de finale de l’Euro’2020. En termes d’individualités, les champions du monde tricolores semblent invincibles. La Suisse de Petkovic va les surprendre. Après avoir mené 1-0 sur un premier but de la tête, superbe, de Haris Seferovic – celui qui sortait penaud sous les sifflets il n’y a pas si longtemps –, la Nati obtient, grâce à l’intervention de la VAR, un pénalty indiscutable que le gardien Hugo Lloris va chercher. La France, très vite, égalise, double la mise et voit Pogba signer un chef d’oeuvre. A 3-1 pour les Bleus, qui, en Suisse, y croit encore?
Emmenée par Xhaka, la Nati va pourtant trouver les ressources pour revenir à 3-2 grâce à Seferovic encore. L’espoir a changé de camp. Dans le temps additionnel, Mario Gavranovic, servi en profondeur, égalise sur une frappe splendide. Au bout de l’effort et des prolongations, les Suisses inscrivent leurs cinq tirs aux buts. Yann Sommer détourne l’ultime péno de Kylian Mbappé. Pour la Suisse, le jour de gloire est (enfin) arrivé.