- Comment avez-vous vécu ce match incroyable?
- Guillaume Hoarau: J’ai fait un peu le fou sur les réseaux, histoire de mettre un peu de piment. Avec le FC Sion, nous sommes en préparation à Crans-Montana. J’ai tout regardé avec l’équipe et je me suis un peu fait chambrer, c’est de bonne guerre. Je suis Français, soit, mais je suis content pour les Suisses. C’est mon deuxième chez-moi.
- Comment vous situez-vous entre les deux pays?
- Il y a bientôt sept ans que je suis ici. Je suis un peu devenu un ambassadeur du football suisse en-dehors d’ici, notamment en France. Je me suis souvent fait taquiner là-bas, notamment par la presse, à cause du niveau supposé du football suisse.
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- Etes-vous surpris de voir la Suisse à ce niveau?
- Sur le match, non. Cela fait un moment que cette équipe a une base solide. On voit qu’ils se connaissent très bien. Je n’ai pas oublié la victoire 5-2 contre la Belgique. Là, on a vu des mecs confiants sur un terrain. Des mecs qui se disaient: «on n’a plus rien à perdre!». Ce petit côté suisse où on n’ose pas trop, on l’avait rangé de côté. Cela dit, bien que je mettrai toujours en lumière la performance des Suisses, la France s’est aussi battue elle-même tactiquement. D’un côté, on a vu un coach suisse qui savait ce qu’il voulait; de l’autre, on a surtout misé sur le fait d’être champion du monde et que les solutions viendraient. On a vu qu’il était très compliqué pour des individualités d’affronter un groupe soudé, à n’importe quel niveau.
- Vous est-il arrivé de vivre des matchs pareils?
- Bien sûr. Le football est un sport qui, grâce au coeur, permet de renverser des montagnes. Avec un tel état d’esprit, on peut tout faire.
- Vous connaissiez plein de joueurs suisses, non?
- Oui, j’ai vu plein de visages familiers. Mvogo, Benito, Lotomba, Sow, Zakaria, Fasnacht, Widmer. J’ai envoyé un message à Mbabu juste après. J’espère que cela va booster le football suisse. Donner encore plus de passion aux jeunes, les pousser à goûter au rêve de devenir footballeur professionnel.
- Ce genre de match fait-il faire un pas en avant à un pays?
- Oui, mais il ne faut pas se satisfaire de cet exploit. Il faut capitaliser dessus. On ne doit pas en rester à: «on a fait nos preuves, on est gentil».
- Vous dites «on» quand vous parlez de la Suisse?
- Si je vis à un endroit, je m’investis à 200%.
- Comparez-vous la valeur des deux footballs?
- Non, à aucun moment. J’étais juste persuadé que des clubs suisses pouvaient parfaitement rivaliser sur la scène européenne. Nous l’avons fait avec Young Boys. J’ai toujours vanté et mis en avant le football suisse. Mais que cette nation crée l’exploit contre la France reste un coup de tonnerre. C’est bien, cela remet l’église au milieu du village.
- En vivant ici, sentez-vous cette forte rivalité entre Suisses et Français?
- Dans chaque blague qu’on entend, il y a une part de vérité. Cette rivalité existe et existera toujours. On sait qu’il y a des sujets, comme les frontaliers, qui embêtent les uns et les autres. Si la France avait gagné, il y aurait eu moins de «chambrage». Là j’ai envie de dire aux Suisses: «lâchez-vous, c’est le moment ou jamais!» Après, les Français de Suisse savent pourquoi ils sont là. Au fond d’eux, ils sont aussi contents. La Suisse est une terre d’accueil, un pays magnifique. J’ai eu plusieurs fois l’opportunité de retourner en France pour le foot et j’ai à chaque fois décliné. Les gens ici m’ont accepté comme je suis, avec mes défauts et mes qualités.
- Même dans des endroits aussi différents que Berne et Sion?
- C’est carrément un autre pays, un autre état d’esprit. Mais la finalité est la même. Je rencontre des personnes gentilles, attachantes. Et je suis un mec sociable, je m’adapte, je suis un caméléon. La Suisse allemande et la Suisse romande n’ont rien à voir, encore plus le Valais. Je découvre la mentalité, c’est un kiff complet.
- A la fin du match, dans quel état d’esprit étiez-vous?
- J’étais content pour le football. Avec la nouvelle génération de joueurs, j’avais peur qu’on bascule dans le football voyou. Je suis déjà un peu has been, attaché à certaines valeurs ancrées. Or, lundi, on s’est moqué du statut de l’un, de la starification de l’autre. On était là pour mouiller le maillot. En tant que supporter, cela te transforme, tu as envie d’aller sur le terrain. Le Suisse assis dans son chalet, je pense qu’il devait être torse nu avec sa bière à la main!
- Sentez-vous combien la fête a eu lieu?
- Oui, avec la situation sanitaire, ce sont des images qu’on a tellement envie de revoir. On a envie de revivre. Le moteur des êtres humains, ce sont les émotions. Donc tant mieux pour la Suisse.
- Des joueurs suisses vous ont-ils frappé?
- Chacun joue son rôle, en commençant par le capitaine, Granit Xhaka. En fait, tous les joueurs ont fait une masterclass. Ils ont atteint le second ou le troisième souffle, ce moment où tu te laisses porter par ton coeur, tes émotions. Les qualités de footballeur passent soudain au second plan. Tu es porté par une espèce d’envie, qui donne des ailes. Il n’y a rien de plus fort que cela.
- Quand avez-vous connu cela récemment?
- Lors de ces matchs où tu n’as rien à perdre, où personne ne mise sur toi. Je pense à un match contre la Juventus, avec Young Boys. Tous nos ballons valaient de l’or. Le rôle d’outsider colle bien à l’équipe de Suisse. Le plus dur sera cependant de le confirmer.
- Voyez-vous la Suisse aller loin?
- Je suis quelqu’un de terre à terre. Le foot est un éternel recommencement. En deux jours, tu peux vivre l’émotion opposée si tu ne mets pas les mêmes ingrédients de solidarité. Là les matchs s’enchainent. La Suisse doit juste prendre la partie contre l’Espagne sans calculer, sans regarder l’équipe en face. Les Espagnols sont un peu dans la même situation. Ils sont en trains de se racheter une notoriété en Europe, ils ne sont plus ce qu’ils étaient. Cela reste du 50-50. Avec la fatigue physique, il faudra trouver le supplément d’âme qui permet de faire les cinq mètres qui manquent.
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- La France vous a-t-elle déçu?
- Oui et non. Ils avaient le match en mains, voilà pourquoi je dis qu’elle s’est un peu battue elle-même. Ensuite je n’ai pas été fan des choix du sélectionneur. Son ossature avec 11 ou 12 joueurs, il ne la change pas souvent. Les joueurs ne sont pas des machines. On l’a bien vu quand Petkovic a fait entrer quatre ou cinq remplaçants.
- Avez-vous senti une certaine arrogance en France?
- Tout le monde en parle, je sais. Je ne l’ai en tout cas pas senti chez les joueurs français. Observez leurs regards à la fin: ils étaient morts. A leur troisième but, ils ont dû se sentir soulagés, croire que c’était bon. Ce n’était pas de l’arrogance, plutôt de la suffisance. Après, certains sujets dans ce groupe vont devoir être débattus. Beaucoup de joueurs sont rentrés chez eux avec des états d’âme, à cause des choix tactiques du sélectionneur. Si cela permet de sonner le réveil, la France sera là à la prochaine Coupe du monde. Avec le contingent qu’ils ont, il n’est pas normal de sortir contre la Suisse. Mais je suis dans le nid ici. Je comprends la joie des Suisses et je la partage.
- Pourriez-vous rester à jamais en Suisse?
- A jamais, cela n’existe pas. Je vais arriver au moment où ma seconde vie va commencer. Il peut tout se passer, dans le football ou ailleurs, pourvu que je puisse partager des émotions, Je ne calcule jamais, je me laisse porter par l’univers. S’il y a moyen de trouver ici un projet qui me stimule intellectuellement au quotidien, pourquoi pas?
Guillaume Hoarau, attaquant du FC Sion.
KEYSTONE/Jean-Christophe BottPar Marc David publié le 30 juin 2021 - 11:11