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Rencontre

«J’ai une grande gueule et je m’en sers»

En Valais, il y a désormais une autre Constantin. Elle s’appelle Sarah, a 28 ans, et a scandalisé une partie du canton. Sa réponse par la provocation à la maladresse de Marianne Maret, la nouvelle sénatrice, qui a dit avoir poutzé son appartement pour briser son ennui le jour de son élection, a fait beaucoup de bruit. Rencontre avec une jeune femme qui a des convictions et le fait savoir.

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Sedrik Nemeth

Sachez-le. Il y a désormais un avant et un après 3 novembre 2019 dans l’histoire du Valais. Et pas seulement parce que ce jour-là, une femme démocrate-chrétienne du val d’Illiez, Marianne Maret, 61 ans, a pour la première fois de l’histoire valaisanne été choisie pour occuper l’un des deux sièges cantonaux à la Chambre haute, à Berne. Non, derrière ce fait d’armes qui fera date s’en cache un autre. Une heure après cette élection historique, une autre femme, de 33 ans la cadette de la nouvelle sénatrice, députée socialiste au Grand Conseil depuis 2017 et coprésidente de la section valaisanne de l’Association Solidarité Femmes avant sa démission, a réussi d’un coup d’un seul à casser le monopole médiatique du président du FC Sion.

Car jusqu’à ce fameux dimanche gris et pluvieux, lorsqu’on disait «Constantin», en Valais ou ailleurs, on pensait bien évidemment à Christian. Ou, à la rigueur, à Bernie, si tant est qu’on ait l’esprit rock.

Ce 3 novembre, une troisième larronne est donc venue s’ajouter à la liste: prénom Sarah! Et il n’a pas fallu de longues diatribes à l’enseignante du cycle d’orientation de Sierre pour faire une entrée en fanfare dans la dynastie.

Feu aux poudres

Quand elle a entendu Marianne Maret répondre à une question de journaliste sur son emploi du temps le matin de l’élection «comme toutes les femmes qui s’embêtent, j’ai fait le ménage», son sang n’a fait qu’un tour. Et elle a posté une petite phrase, sur sa page Facebook, depuis le nid d’aigle qu’elle occupe avec Edouard, son mari, à l’alpage de Verrey, au-dessus de Veysonnaz. Onze mots qui ont mis le feu aux poudres et à toute la République. On cite: «Comme toutes les femmes au foyer qui s’embêtent, je me masturbe!»

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Sarah Constantin joue du violoncelle depuis l’âge de 7 ans. Sedrik Nemeth

Un coup de gueule, une satire selon elle, que cette titulaire d’un diplôme d’aptitude à l’enseignement secondaire de l’Université de Fribourg ne regrette en rien. «Je ne comprends pas que cette phrase ait pu choquer ou blesser. On ne peut pas demander à toutes les femmes de ce canton de se reconnaître en Marianne Maret, ni en Sarah Constantin d’ailleurs. En tant que féministe animée par des convictions plus fortes que la seule question du genre, j’ai simplement réagi en des termes un peu crus certes, mais à ce que je considère être une position réductrice et stigmatisante délibérément exprimée par Madame Maret. Car pour moi, l’excuse de la maladresse ne tient pas. A ce niveau, on est préparé à tout», estime la militante.

Insolence

L’insolence d’une jeune progressiste opposée au conformisme et au conservatisme d’une dame qui pourrait presque être sa grand-mère. Un conflit de générations en somme. Mais pas seulement. «Je refuse l’oppression des femmes. C’est une injustice. Et l’injustice m’affecte. Je ne me reconnais pas dans cette société patriarcale. Pas plus que je me reconnais dans une société raciste et homophobe. Et je le dis. J’ai une grande gueule et je m’en sers pour défendre des causes que j’estime justes», martèle celle à qui sa maman a répété qu’elle était l’égale de ses deux frères.

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Des Docks Martens pailletées. «C’est plus pratique que des tongs en novembre à 1500 m. Et elles tapent la classe, non?» Sedrik Nemeth

Originaire de Nax, Sarah a grandi dans le hameau de Mayoux, dans le val d’Anniviers, aux côtés de ses parents et de ses deux frères. C’est d’ailleurs sur ses terres qu’elle s’est mariée l’an dernier. A l’église, avant de célébrer les noces sur les pistes de ski. «Une évidence, tant cela nous ressemble.»

Et le militantisme est de famille. Son papa, «socialiste bien sûr», conseiller communal à Saint-Jean, l’a poussée à s’engager pour défendre les causes qui lui tiennent à cœur. Autant dire des visions du monde et du Valais qui s’entrechoquent. Mais qu’importe, c’est dans son coin de pays qu’elle se sent bien. «J’adore ma vie de Valaisanne. Quand j’étais à Fribourg, je n’attendais plus que le moment de rentrer. Mais j’ai envie de faire évoluer ce canton, de me battre pour faire cesser les souffrances que trop de femmes endurent encore. Mais les choses avancent: 12 000 Valaisannes dans la rue le 14 juin, c’est plus qu’encourageant.» Et puis, au cycle d’orientation, personne ne lui a fait de remarque ou de mise en garde après sa ruade de dimanche dernier. «Preuve que les mentalités évoluent.»

Hic

Jusqu’où ira la jeune chevrière, violoncelliste par passion, joueuse de fifre par tradition? Tombée dans le chaudron de la politique à 24 ans, Sarah Constantin ne se met pas de limite. «L’engagement politique me permet de défendre mes valeurs et mes convictions. Et j’ai choisi le Parti socialiste parce que c’est celui qui me laisse la plus grande marge de manœuvre pour le faire.»

Il y a un hic. Sarah Constantin se sent encore un peu seule. «Parce que les femmes ne planifient pas leur carrière politique. Elles planifient tout sauf ça. Résultat, lorsqu’elles se décident à faire le pas, elles se retrouvent face à des hommes beaucoup mieux préparés, plus expérimentés. Regardez ces dernières élections. Même si les proportions ont légèrement évolué, côté hommes, il y avait vraiment l’embarras du choix.» Seule contre presque tous, Marianne Maret a néanmoins été élue. «Je respecte. Et je jugerai son engagement sur pièces. En espérant qu’elle arrête d’enfermer les femmes dans des cases.»


Par Rappaz Christian publié le 13 novembre 2019 - 04:34, modifié 18 janvier 2021 - 21:06