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Témoignage

«Je devais faire quelque chose de la mort de mon fils»

Après le décès tragique de son fils, Léa est devenue officiante laïque dans le canton de Neuchâtel. Accompagner les autres dans le deuil, célébrer la mémoire des disparus, avec profondeur mais aussi parfois avec humour et originalité, c’est sa façon à elle de donner du sens à la mort de son enfant. 

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Léa Candaux Estevez est devenue officiante laïque après la mort de son fils

Léa et sa famille soufflent des bulles de savon là où les cendres de Noé reposent, au pied d’un érable en pleine nature, à chaque moment clé de la courte vie du petit garçon. 

Julie de Tribolet

Nous sommes dans la belle et lumineuse chapelle du cimetière de Beauregard, à Neuchâtel, où près de 3000 signets de papier blanc imprimés de mots inspirants ondulent au-dessus des têtes. Famille et amis s’apprêtent à prendre congé de Gérard, disparu à près de 80 ans, mais ce n’est pas un adieu tout à fait ordinaire. Pas de pasteur ni de curé sur l’estrade, mais une jeune femme de 37 ans à la voix vibrante qui prend la parole avec une empathie délicate. «Je m’appelle Léa et, en ce lieu empreint de solennité, j’accueille chaleureusement chaque personne présente, indépendamment de sa religion, de ses croyances ou de sa spiritualité.»

Léa Candaux Estevez est officiante laïque, elle a un visage épanoui et bienveillant et, même si elle n’a pas connu Gérard, elle s’adresse à lui en se tournant vers son cercueil tout en égrenant les petits et hauts faits de sa vie. «C’est important de célébrer la richesse de l’existence exceptionnelle de Gérard», dit-elle à l’assemblée tandis qu’une chanson de Brel ponctue la cérémonie.

La signature de Léa? Marquer de façon parfois très originale le passage sur terre d’une personne qui la quitte. De petites guitares en carton que les participants ont pu emporter en souvenir d’un défunt fan de guitare, des coquillages et un phare emblématique de la vie d’une Bretonne et pourquoi pas, comme pour sa première cérémonie, quelques carrés de chocolat distribués pour honorer la mémoire et les papilles gustatives d’une dame qui en était vraiment friande. Aujourd’hui, Léa a apporté de gros feutres de couleur posés à côté du cercueil. Ceux qui le désirent pourront inscrire un message dessus, une façon d’accompagner Gérard encore un petit peu plus loin. 

Léa Candaux Estevez est devenue officiante laïque après la mort de son fils

Pour chaque cérémonie laïque qu’elle organise, l’officiante Léa Candaux Estevez ajoute un petit plus personnel. Ici, de petits découpages qu’elle a réalisés et que la famille pourra emporter en souvenir du défunt.

Julie de Tribolet

Transcender la mort


Léa n’est pas athée. Elle n’est pas croyante au sens religieux du terme, même si elle croit en quelque chose qui nous dépasse et qu’elle ne détaillera pas. Il n’est pas rare qu’une personne l’accoste en fin de cérémonie pour lui dire: «Quand mon père ou ma mère partira, j’aimerais que ce soit avec vous!» Quand elle parle de ce grand vide que va laisser l’être adoré, ce n’est pas qu’un discours de circonstance. La perte, Léa l’a vécue plus souvent qu’à son tour. Le deuil d’une mère il n’y a pas si longtemps et la perte de son petit garçon de 5 ans il y a justement cinq ans.

En mai de cette année-là, la native de Fenin, dans le Val-de-Ruz, ramassait de la terre dans des sacs pour son jardin avec ses deux garçons de 5 et 9 ans dans la campagne neuchâteloise. Quand Noé, son petit dernier, réintègre la voiture, Léa le pense en sécurité. Sans imaginer qu’il est ressorti de l’autre côté. Léa retrouve son enfant inanimé dans un bassin de rétention d’eau tout proche dont la barrière empêchant son accès était cassée. Noé décédera plus tard à l’hôpital de Berne. On imagine les sentiments qui submergent: choc, désespoir, culpabilité. Léa les affrontera. Pour les transmuter.

Léa Candaux Estevez est devenue officiante laïque après la mort de son fils

Léa n’est ni athée ni croyante, mais elle croit en quelque chose qui nous dépasse. Ici, en attendant la famille du défunt, elle allume une bougie qui symbolise l’espoir. 

Julie de Tribolet

Apprendre à dire adieu
 

«Très vite, j’ai su que ma vie ne pouvait pas s’arrêter là. Qu’il fallait que je fasse quelque chose de la mort de mon fils, lui donner un sens malgré ce gouffre devant moi.» L’action, c’est dans la nature de Léa. Une confiance en ses possibilités qui lui a toujours permis d’aller de l’avant même quand ses enseignants, à l’école primaire, vu son peu d’enthousiasme pour la chose scolaire, semblaient penser que son avenir professionnel serait assez limité. Elle tracera son chemin. Dans l’audiovisuel notamment, avant d’accompagner des femmes qui vont donner la vie selon la méthode doula. «Après l’accident de Noé, je voyais bien que cela devenait plus difficile, les femmes se sentaient gênées de faire appel à moi dans ma situation.» Léa ne sait pas encore qu’elle va simplement switcher le début avec la fin, rester connectée à la vie mais l’envisager à l’autre bout, quand elle s’en va.

Déjà, pour prendre congé de Noé, il lui était impensable, avec son mari, d’imaginer une cérémonie dans un lieu fermé, ni un cercueil pour contenir éternellement le corps de ce petit garçon qui aimait courir dans la nature, se sentir libre. «Noé était très sensible, il nous a beaucoup appris, nous avons eu vraiment de la chance de le connaître, lui aussi avait besoin que les choses aient un sens.» La cérémonie de ses obsèques sera confiée à une officiante laïque. «On a servi des saucisses et des frites comme collation, son plat préféré, on a soufflé des bulles de savon là où ses cendres reposent, au pied d’un érable en pleine nature, et on continue d’en souffler à chaque moment clé de son histoire.»

Léa Candaux Estevez est devenue officiante laïque après la mort de son fils

Un autel dédié au petit Noé, décédé accidentellement à 5 ans.

Julie de Tribolet

Plus tard, Léa rencontrera encore Julien, officiant laïque dans le canton de Genève. Une rencontre déterminante. «Deux semaines après, je téléchargeais les renseignements sur la formation.» Qu’elle achèvera à la fin de 2019 tout en travaillant comme aide-soignante. Une formation exigeante, de nombreuses heures et des travaux pratiques répartis sur plusieurs mois; on n’accompagne pas une famille en deuil comme on fait visiter un musée. Tact, psychologie, n’en faire ni trop ni pas assez, ça s’apprend! Léa s’insurge contre ceux qui prétendent que l’absence du religieux vide les cérémonies laïques de toute substance. Elle met en avant la charte éthique dont s’est dotée l’Association des célébrants et officiants romands (ACOR) dont elle fait partie et qui regroupe une trentaine de personnes. Comme la mort ne peut pas se programmer sur Google Agenda, il arrive à l’officiante d’alterner des semaines à plusieurs offices avec d’autres plus tranquilles. Léa est très demandée. «Il y a une sincérité, une bonté chez elle qui fait qu’on sort de la cérémonie un peu plus allégé, témoigne Frédéric, de Genève, qui a fait appel à Léa pour les obsèques de ses parents. Même si on n’est pas au courant de son histoire, elle dégage quelque chose, une douceur, une densité, on est réchauffé par sa présence.»

Un enfant disparaît, un autre arrive


Il faut dire aussi que, depuis quelques années, les obsèques laïques ont le vent en poupe. Quatre cérémonies de ce type sur dix dans les cantons de Vaud, de Genève et de Neuchâtel, et la proportion augmente aussi dans les cantons catholiques avec, en Valais, un quart des cérémonies qui se font en dehors de l’Eglise. Un signe des temps et de la perte des repères religieux qui se traduit par la désertion des lieux de culte? Léa demande 80 francs de l’heure, et il faut compter une quinzaine d’heures en moyenne pour une célébration. «On reçoit tellement d’amour et de gratitude quand on fait ce métier», dit-elle avant de témoigner qu’elle a «toujours été à l’aise avec la mort» dans le salon de sa chaleureuse maison de Fenin, où une peinture de Noé occupe un large pan du mur central. A côté de photos de ses deux autres garçons, Louis, l’aîné, 14 ans, et Malo, né le 7 décembre 2020. «Il a mis du temps à arriver, mais ce n’est pas pour rien, je devais mettre les choses au clair avant!» Sourire, yeux qui brillent, les émotions remontent parfois en surface mais comme de vieilles connaissances dont Léa connaît les habitudes.

La Neuchâteloise se souvient d’une de ses premières cérémonies, où vie et mort se sont imbriquées tout en même temps. Elle était enceinte de Malo quand une maman lui a demandé d’organiser les obsèques de son petit garçon de 5 ans atteint d’un cancer, qu’elle a pu rencontrer chez lui juste avant sa mort. «Sachez que je porte la vie», avait prévenu la Neuchâteloise, soucieuse de ne pas alourdir le chagrin de cette femme qui allait vivre la même tragédie qu’elle. «Cela n’a posé aucun problème», se remémore Léa, comme si célébrer la mémoire d’un enfant qui s’en va quand on porte un enfant qui arrive était un joli symbole d’espoir et du cycle naturel de la vie.

Par Patrick Baumann publié le 6 mars 2024 - 08:27