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Perdre un enfant: l'entraîneur du FC Yverdon Marco Schällibaum se confie

Grâce à son bouillant entraîneur, Yverdon Sport est la meilleure équipe romande de Super League. Plus jeune, le Zurichois a perdu un enfant, auquel il pense tous les jours.

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Marco Schällibaum, entraîneur du FC Yverdon

Marco Schällibaum, 61 ans, entraîneur du FC Yverdon. Derrière la passion foot, la tristesse insondable d’avoir perdu un enfant.

Vincent Muller

Le 24 septembre dernier, de retour dans son stade fétiche, Yverdon a signé une victoire pleine de panache contre Bâle. On jouait à guichets fermés. Une belle réaction après la vexante élimination de la Coupe suisse par le «petit» Rapperswil subie une semaine plus tôt. A l’opposé de toute langue de bois, Marco Schällibaum (61 ans) a, ce jour-là, laissé éclater sa colère, franc, direct, volcanique, fidèle à lui-même, en assénant des mots très durs qu’on entend rarement dans ce milieu, comme s’il avait été trahi. «Je me sens mal, je me sens seul, mes joueurs vont le sentir passer.»

Capitaine de l’équipe, William Le Pogam n’a pas été surpris par une telle réaction. «Marco, c’est un homme de passion. Autant il nous donne beaucoup d’amour quand il est content, autant il ne supporte pas quand l’équipe ne donne pas le 100%. Très exigeant, il attend beaucoup de nous. Avec lui, j’appréhende toujours ce genre de défaite, car je sais ce qui nous attend les jours suivants, il peut être très dur.»

La remontée de bretelles a donc porté ses fruits. «Dans la vie comme dans le foot, je dis les choses directement, jamais dans le dos, tout en restant correct, en respectant les autres», nous glissait Marco, quelques jours avant la réouverture du stade municipal, remis à neuf et enfin prêt à accueillir son premier match de Super League contre Bâle. «Ici, le public est près des joueurs, l’ambiance peut vite devenir électrique», ajoutait-il.

Yverdon est le quinzième club de sa carrière, des prestigieux comme YB ou Servette, en passant par de plus modestes comme Chiasso. Il a tout connu, des hauts, des bas, mais, à 61 ans, sa passion n’a pas pris une ride. «L’âge, tu ne peux pas le changer, tu dois vivre avec. Je travaille tous les jours avec des jeunes et ce sont eux qui me poussent. Le foot, c’est ma vie. Et je conserve la même énergie.»

Marco Schällibaum, entraîneur du FC Yverdon

L’entraîneur dans le stade du FC Yverdon: «Le foot, c’est ma vie. Je travaille tous les jours avec des jeunes et ce sont eux qui me poussent.»

Vincent Muller

«Avec lui, tu as envie de tout casser»


En mai dernier, il a vécu l’une de ses plus belles émotions lorsque, dix-sept ans après, il a ramené Yverdon en Super League à la surprise générale. «Si j’avais dit en début de saison: «On va monter», on m’aurait pris pour un fou. L’équipe a fait preuve d’une incroyable solidarité, animée par un super «team spirit». Je dis toujours à mes joueurs: «Comme des artistes, vous travaillez la semaine pour être sur scène le week-end.»

Selon William Le Pogam, la «grinta» de Marco Schällibaum est pour beaucoup dans cet exploit. «Avec lui, tu as envie de tout casser quand tu rentres sur la pelouse. Nous n’étions pas les meilleurs, mais combien de matchs nous avons renversés avec ce qu’il nous a insufflé!» Et de raconter cette anecdote révélatrice du personnage: «Après la montée, nous avions tous dans nos casiers un petit papier signé de sa main où il nous félicitait d’être «devenus des joueurs de Super League». Marco a un grand cœur.»

promotion d'Yverdon en Super League

Le 23 mai 2023, c’est l’événement: Yverdon est promu en Super League. La joie de Marco Schällibaum et de ses joueurs est immense.

Jean-Christophe Bott/Keystone

Marco Schällibaum s’estime d’autant plus redevable au foot que cette passion lui a permis de survivre à un drame dont il ne guérira jamais. Alors qu’aujourd’hui il est père de deux garçons de 38 et 19 ans et d’une fille de 23 et deux fois grand-père, en 1996, alors qu’il commençait sa carrière, il a perdu Arno, un petit de 10 mois, victime d’un virus foudroyant. Aujourd’hui, il en parle avec une émotion pleine de pudeur. La blessure n’a pas disparu. «Un tel drame, ça vous change la vie, ça fait tellement mal, c’est comme de rentrer dans un mur à 120 à l’heure. Ce jour-là, j’ai tout perdu. Seuls les gens qui ont des enfants peuvent comprendre, et encore... Pendant une année, j’étais complètement détruit, paralysé.» Il a réussi à s’en sortir en acceptant une offre du FC Bâle avec une double casquette de responsable junior et d’adjoint de la Une. «J’étais pris de 7 h du matin à 22 h, ce qui m’empêchait de trop gamberger. Je suis revenu à la vie. Aujourd’hui, la douleur est toujours là mais j’ai appris à vivre avec. Chaque année, le 1er septembre, quand Arno est né, et le 13 juillet, quand il est parti, sont des jours très difficiles. Arno m’empêche de trop m’apitoyer sur moi-même.»

Directeur général d’Yverdon Sport, Marco Degennaro ne cache pas l’admiration que lui inspire son vieil ami. «Marco, c’est une belle personne, quelqu’un de vrai, qui ne triche pas, un grand motivateur.»

Depuis le début de la saison, le petit Yverdon Sport a signé quelques jolies surprises, comme ce match nul arraché à YB et cette victoire cinglante 4-1 contre Servette, au goût très particulier pour Marco, qui a passé six ans dans le club genevois. «Servette restera toujours dans mon cœur. J’aime la Suisse romande, j’aime la langue française.»

Repris par des investisseurs américains, Yverdon s’est transformé cette saison en tour de Babel: 17 nouveaux joueurs ont débarqué des quatre coins du monde. Marco s’en est accommodé. «Bien sûr que les dirigeants font du business, c’est humain, mais ils aiment vraiment le foot et possèdent un super réseau. Je m’entends très bien avec Jeff Saunders, le président, déterminé à faire grandir le club. Chaque joueur a ses racines, sa culture.»

«J’ai du respect pour Constantin»
 

Marco Schällibaum sait pourtant mieux que personne à quel point la vérité d’un jour n’est pas celle du lendemain dans le football. Plusieurs fois limogé, il a connu le chômage. Il entraînait le Servette en 2005 quand le club, victime de la mégalomanie de Marc Roger, a fait faillite. «D’un jour à l’autre, j’ai perdu mon job et beaucoup d’argent.» Avec Christian Constantin, à Sion, l’aventure n’a évidemment pas duré. «Christian, il est dur, mais il vous dit les choses en face. J’ai du respect pour lui.» Marco Schällibaum s’est toujours relevé. «Dans la vie, il y a le soleil, mais aussi la pluie, le froid. On ne peut pas toujours être tout en haut. Et c’est souvent dans l’échec que tu grandis. J’ai toujours eu la chance de repartir.»

Et le foot lui a aussi offert du bonheur, comme cette saison passée à la tête de l’Impact de Montréal, où la presse l’avait surnommé «le volcan suisse». «On voyageait tout le temps entre New York, Miami, Los Angeles, c’était magnifique.» Joueur, trois fois champion suisse avec le grand Grasshopper des années 1980, il fut, avec son tempérament de feu, l’un des premiers latéraux à monter à l’abordage, à déborder sur son aile. C’était plus fort que lui.

Aujourd’hui, Marco Schällibaum prend la vie au jour le jour, sans faire de grands projets. «Je me lève tous les matins avec la même motivation. Le jour où je n’aurai plus de plaisir, j’arrêterai. Il ne faut jamais regarder trop loin.» Ce qui est arrivé à son petit Arno lui a appris à tout relativiser.

Par Bertrand Monnard publié le 13 octobre 2023 - 08:22