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Jean-Marc Richard: «La charité ne suffit pas»

Durant le confinement dû au coronavirus, il a plus que jamais animé des actions en faveur des démunis, tant à la radio qu’avec la Chaîne du bonheur, dont il est la voix romande. S’il est quelqu’un qui incarne la solidarité, c’est bien lui. Il était donc naturel que L’illustré lui demande de faire partie du jury de l’opération «Le village le plus solidaire de Suisse».

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Depuis trois ans, Jean-Marc Richard vit à Berne avec sa femme et ses enfants. Blaise Kormann

Jean-Marc Richard aime les gens. Ce n’est pas une pose, il est naturellement empathique, sympathique, sans effets de manches. Et passionné, toujours. Infatigable, à bientôt 60 ans, il est sur tous les fronts en matière d’aide aux défavorisés. Il œuvre pour la Chaîne du bonheur, anime l’émission «Chacun pour tous» sur la RTS, ainsi que la fameuse «Ligne de cœur». Il était donc naturel que L’illustré lui demande de faire partie du jury du nouveau grand concours que nous lançons avec nos amis alémaniques de la Schweizer Illustrierte, celui du village le plus solidaire. Rencontre à Berne, où il habite depuis trois ans.

>> Participez au concours du village le plus solidaire

- Comment avez-vous vécu cette période de crise sanitaire?
- Jean-Marc Richard: J’ai travaillé deux fois plus, car les besoins en termes d’aide et de solidarité ont fortement augmenté. Nous avons notamment allongé la durée de «La ligne de cœur» pour faire trois heures d’antenne non-stop tous les soirs. Beaucoup de personnes ont témoigné de ce qu’elles vivaient pendant cette crise. Aux récits de solitude des uns répondaient ceux des initiatives menées par d’autres pour lutter contre cette solitude.

- Quelles opérations vous ont le plus marqué durant la pandémie?
- Avant tout, j’ai été impressionné par l’énergie déployée dans l’entraide, principalement par des femmes. Par exemple les Sissi’s, deux humoristes vaudoises (Sylvie Berney-Grobéty et Sylvie Galuppo, ndlr), qui ont mis sur pied l’action Câlin postal. Elles ont proposé à des enfants d’écrire des lettres personnalisées et de faire des dessins pour les personnes isolées ou en EMS. Ils ont été 2000 à participer! Il y a aussi eu l’opération Caddie pour tous, née dans l’émission Chacun pour tous et coordonnée par ma collègue Anouk Wehrli, en dehors de ses heures de travail. Plus de 100 organisations romandes ont ainsi pu bénéficier des récoltes de nourriture et de produits d’hygiène menées notamment dans des supermarchés. J’ai aussi été touché par les actions des organisations de jeunesse, en Valais et dans le canton de Vaud.

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Entre deux émissions de radio et une action pour la Chaîne du bonheur, Jean-Marc Richard prend la pose pour L’illustré devant la cathédrale de Berne. Blaise Kormann

- Au-delà de la peur et du confinement, le Covid-19 a donc été générateur de solidarité?
- Cette pandémie nous a révélé deux choses: que la solidarité existe dans notre pays et que la précarité y est bien présente. Une précarité face à laquelle les gens se sont engagés. La Chaîne du bonheur a recueilli 40 millions de francs avec l’opération Coronavirus suisse. C’est énorme! Face aux problèmes du confinement, les gens ont pris conscience qu’il y avait plus démunis qu’eux. A Genève, comme les organisations chargées habituellement de la distribution des colis alimentaires étaient fermées à cause du coronavirus, on a vu 2000 à 3000 personnes attendre pendant des heures pour recevoir un peu de nourriture. C’est une réalité qui est apparue au grand jour. La crise sanitaire a encore augmenté les besoins, et ça va continuer. La Chaîne du bonheur a déjà versé 23 millions sur les 40 récoltés. Si l’on doit faire autant de distribution alimentaire, cela signifie que notre système social ne fonctionne pas bien.

>> Voir la galerie de portraits «Les visages de la faim à Genève»

- Beaucoup ont dit qu’après la crise sanitaire plus rien ne serait comme avant…
- Pourtant, on voit que dans bien des domaines il n’y aura pas de changement. Mais j’espère que la prise de conscience concernant la précarité en Suisse va faire bouger les choses. Que l’on va aider correctement les gens, qu’ils soient Suisses ou étrangers, avec ou sans papiers. Mon credo, c’est cette phrase de l’abbé Pierre: «On ne doit pas se battre contre les pauvres, on doit se battre contre la pauvreté.» Je pense que les organisations sociales vont devenir plus revendicatives, demander des hausses de salaire dans certains métiers, demander que les statuts hyper-précaires, comme ceux des femmes de ménage ou des auxiliaires de vie, soient revus. C’est bien de lutter pour le climat, mais ça ne servira à rien de sauver la planète si la moitié de l’humanité crève de faim. Il faut mener de front le combat pour le climat et la lutte contre la pauvreté. Et arrêter de soupçonner les gens de ne pas être vraiment pauvres au prétexte qu’ils ont la télévision et une voiture. Arrêter de prétendre que le social ne sert qu’à des profiteurs!

- On confond parfois charité et solidarité…
- La charité doit exister, mais elle ne suffit pas. Par exemple à la Fondation Mère Sofia, que je trouve exemplaire, non seulement on distribue de la nourriture, mais en plus des assistants sociaux sont là pour répondre à d’autres besoins. En Suisse, 40% des gens qui pourraient bénéficier d’un soutien social ou de prestations complémentaires n’en font pas la demande. Ils ont honte ou peur d’être expulsés lorsqu’ils sont étrangers. On doit redonner de la dignité à ceux qui bénéficient d’aides. Ne plus les considérer comme des profiteurs lorsqu’ils touchent l’AI et, bientôt, l’AVS.

- Comment définissez-vous la solidarité?
- La véritable solidarité, c’est l’écoute. Lorsqu’on a écouté quelqu’un – ce qui n’est pas la même chose que de l’entendre –, on passe à l’action. A «La ligne de cœur», par exemple, nous avons mis sur pied une plateforme sociale, avec Caritas, Pro Senectute, Pro Infirmis et le Graap (Groupe d’accueil et d’action psychiatrique). Après leur passage à l’antenne, les gens sont orientés vers l’une ou l’autre de ces structures. Avec la Chaîne du bonheur, je vais vérifier sur le terrain que l’argent est bien utilisé.

- Quand ces problématiques sont-elles devenues centrales dans votre vie?
- Adolescent, la famine dans le monde me touchait beaucoup. C’était bientôt Noël et j’ai proposé à mon professeur du collège de Béthusy de faire un exposé sur le sujet. Des camarades de classe m’ont dit que ça avait changé leur vision des choses. Peu après, je suis allé trouver Edmond Kaiser, le fondateur de Terre des hommes. Je voulais faire de l’humanitaire. Je lui ai lu mon exposé et il m’a dit que je savais vulgariser ces problématiques, que c’est ce que je devais faire pour la cause humanitaire. C’est comme ça que ça a commencé. Ensuite, je suis devenu une des voix de la Chaîne du bonheur, bénévolement. Je gagnais ma vie en faisant des animations au Salon du livre et ailleurs pour L’Hebdo et L’illustré. Jusqu'à 32 ans, je vivais avec 800 francs par mois. La solidarité est restée à la base de mes activités.

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Au côté de l'athlète Sarah Atcho, Jean-Marc Richard est juré des villages solidaires. Blaise Kormann

- La solidarité est un sentiment noble, mais à quoi ça sert?
- Sans solidarité, il n’y a pas de vivre-ensemble. On peut bien sûr choisir de rester seul, loin des autres. Mais je crois que chacun et chacune d’entre nous ressent le besoin d’être utile à quelqu’un d’autre.

- Il faut aider les plus démunis?
- Oui, aider les plus fragiles. La fragilité est universelle. Demain, vous et moi, nous pouvons nous retrouver en situation de fragilité, pour de multiples raisons. A 16 ans, j’étais dans une fragilité totale et s’il n’y avait pas eu la solidarité de mes proches, je ne serais pas là pour en parler. Les grandes causes, on les trouve souvent à proximité, et c’est paradoxalement plus compliqué d’être solidaire avec sa voisine qu’avec des enfants africains. Surtout lorsqu’on essaie d’aider quelqu’un dans la durée.

- Ces valeurs-là, vous les transmettez à vos enfants?
- J’y ai été très attentif avec mes deux beaux-fils et avec mes deux fils. Sans leur imposer ma vision des choses, j’ai essayé de leur faire comprendre qu’il y a d’autres valeurs que celles de la consommation. Dans ma vie, j’ai été confronté à la mort de personnes proches et j’ai compris que l’essentiel est de vivre et de laisser vivre. A partir de là, j’essaie d’être cohérent, dans mes actes comme dans mes paroles.

- Quel sens a pour vous l’opération Villages solidaires, qui décernera le prix du village suisse de l’année 2020?
- Elle va mettre en valeur l’engagement de la société civile. Chez nous, on pourrait chaque jour remplir les colonnes d’un journal avec tout ce que les gens font en matière de solidarité! J’espère que ça va donner des idées à d’autres personnes, qui vont à leur tour mettre en place des opérations solidaires. C’est peut-être utopique, mais je rêve d’un renversement des valeurs, qu’un jour la solidarité remplace la consommation et l’argent au centre de nos vies, qu’on soit plus fier d’être solidaire que d’une quelconque réussite financière.


 

Par Patrick Morier-Genoud publié le 2 juillet 2020 - 08:52, modifié 18 janvier 2021 - 21:12