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Cinéma

Jean-Pierre Marielle: «J'ai eu une belle vie»

En hommage à l'acteur français Jean-Pierre Marielle décédé le 24 avril à l'âge de 87 ans, nous republions l'entretien qu'il nous avait accordé en novembre 2010, dans lequel il évoquait déjà, avec sa gouaille habituelle, sa fin de vie. Sans la craindre.

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Julie de Tribolet

Situé face au complexe sportif de Roland-Garros, l’immeuble au pied duquel Jean-Pierre Marielle et son épouse, Agathe, occupent un bel appartement est d’inspiration moderne, style années 1950. Dans le living-room, ouvert sur le jardin, un bar type art déco voisine avec une table en formica et une bibliothèque encombrée de bouquins, de bibelots et de 33-tours de jazz. Plantée devant la télé, la petite Madeleine, 3 ans, regarde un dessin animé japonais. Son grand-père l’invite gentiment à aller jouer ailleurs…

- Si vous deviez résumer d’une phrase votre vie?
- Jean-Pierre Marielle: Je dirais que j’ai eu une belle vie.

- Vous avouez être riche de vos amitiés, de vos rencontres…
- Les rencontres, c’est capital dans la vie. L’amitié, ça n’a pas de prix. Quant à l’amour, s’il dure, c’est magnifique. Moi, j’ai la chance de vivre avec la femme que j’aime, et depuis longtemps.

- Vous avez pourtant vécu plusieurs histoires d’amour, non?
- Qui vous a renseigné, la police?

- Quoi qu’il en soit, vous vous sentez privilégié…
- Je pense bien! J’ai eu la chance, après le lycée, d’entrer au Conservatoire, de rencontrer des amis qui sont toujours les miens, de jouer des auteurs que j’aimais. Je n’ai jamais eu à me plaindre.

- Vous définiriez-vous comme nostalgique?
- Non. Je ne suis pas nostalgique, mais mes souvenirs m’accompagnent.

- A vous lire, acteur ne serait pas un vrai métier?
- Non, ça vient comme ça. On se retrouve un jour à jouer la comédie. Au lycée Carnot, à Dijon, où j’étais pensionnaire, mon professeur de lettres, M. Jacques, m’a distribué un jour un rôle, allez savoir pourquoi. Il devait me trouver rigolo. C’est venu comme ça. Sur son conseil, je me suis d’abord présenté au Centre de la rue Blanche, à Paris, puis au Conservatoire d’arts dramatiques où j’ai été reçu. Mon père m’a dit: «C’est vraiment un métier d’une facilité déconcertante.»

- Vous semblez regretter qu’aujourd’hui ce soit devenu une profession comme une autre...
- Je regrette l’époque où c’était un petit peu marginal, transgressé. Aujourd’hui, c’est moins le cas. Il y a malgré tout toujours des rêveurs, des «à part». Moi, j’aime bien les «à part».

- Qu’est-ce que vous pensez de cette société, de moins en moins permissive?
- Je pense qu’il faut faire comme ça vient. Si l’on a envie de picoler, on picole. Si l’on a envie de baiser, on baise! Si l’on a envie de ne rien foutre, là, c’est plus difficile, parce qu’il faut quand même un peu de pognon pour bouffer…

- Mais si c’était faisable?
- Ce serait l’idéal! (Il éclate de rire.)

- De ce point de vue, le personnage oisif de «Alexandre le bienheureux», campé par Philippe Noiret, doit bien vous plaire, non?
- Pas vraiment. Moi, j’aime bien les désespérés. Ce sont ceux-là qui m’intéressent.

- Il faut donc une faille pour vous attirer?
- Absolument. Je me méfie des gens trop lisses, comme je me méfie de la police.

- Comment vous préservez-vous de ces gens-là?
- Je les évite. Quand je ne les sens pas, je me casse! Malheureusement, ce n’est pas toujours possible. Parfois, on est coincé. Quand il faut gagner sa vie, on peut se retrouver avec des andouilles.

- A qui pensez-vous?
- Par pudeur, je tairai leurs noms, mais, croyez-moi, il y a des metteurs en scène qui sont des andouilles, des partenaires aussi, du reste.

- Cela doit être long, un tournage dans ces conditions…
- Ah, c’est terrible, mais enfin, il y a des métiers où l’on s’emmerde encore plus!

- Le personnage que vous interprétez dans le film «Les galettes de Pont-Aven» a marqué le grand public. Ce n’est pourtant pas votre plus grand rôle, vous en convenez?
- Oui, mais tous les acteurs ont des références dans ce genre-là. Cela n’a pas d’importance.

- Du moment qu’elles sont légitimées par le public, vous les acceptez?
- Je vais vous dire: je m’en fous. Moi, je fais mon travail. Si l’on n’est pas content, tant pis. Des fois, je le reconnais, je trouve que ce que j’ai fait n’est pas bien. Et ça m’arrive souvent.

- Quand on tourne Coup de torchon, sait-on déjà que ce sera un grand film?
- On ne peut jamais savoir, mais quand on a du bonheur à tourner, c’est déjà ça. On sent s’il se passe quelque chose ou rien du tout. Cela dit, quand on tourne un navet, on le sent aussi: ça en a le goût! (Il rit aux éclats.)

- Vous ne revoyez jamais vos films, pourquoi?
- Je n’aime pas trop ça. Cela me gêne de me voir.

- D’où vous vient votre passion pour la musique?
- Comme tout pensionnaire, j’ai été solitaire. Pour m’échapper, je lisais, beaucoup, et j’écoutais de la musique. A la maison, ma mère chantait. Mon père, lui, jouait très bien du piano. Moi, j’aurais adoré savoir jouer d’un instrument, du saxophone surtout, mais je n’ai pas eu ce don. C’est un vrai regret.

- Vous avez connu la grande époque de Saint-Germain-des-Prés. A la lecture de votre livre*, on est frappé par le nombre d’écrivains majeurs que vous avez fréquentés: Ionesco, Beckett, Céline, Camus… Est-ce qu’on s’enorgueillit de telles rencontres?
- Non, mais ce sont de bons moments. Albert Camus, par exemple, a vraiment été délicieux avec moi. Il me prêtait sa voiture. Quand je suis seul, parfois, au jardin, j’y repense. Là, au moins, on a le sentiment qu’il s’est passé des choses dans sa vie.

(Son épouse, Agathe, vient d’arriver. Jean-Pierre Marielle s’interrompt. «Besoins impérieux que crée la nature», lance-t-il, s’éclipsant aux toilettes.)

- En guise de définition du patriotisme, vous écrivez: «J’habite une langue, pas un pays.» La Marseillaise, ça représente quoi pour vous?
- Du savon! (Il rit.)

- Vous avez beaucoup voyagé au cours de votre vie. Le temps n’est-il pas venu de vous sédentariser?
- Non. En plus, j’adore l’hôtel, tous les hôtels, y compris les hôtels de passe! Quand j’étais jeune, il n’y avait que ça. Mes premières rencontres ont été des prostituées. Je suis d’ailleurs toujours un peu scandalisé de voir le sort minable qu’on réserve à ces filles-là.

- Aujourd’hui, elles ne sont guère considérées…
- Non, et c’est dégueulasse, je trouve.

- Vous restez cependant quelqu’un de pudique, qui n’aime pas crier ses révoltes à la face du monde…
- Non, parce que ça ne regarde personne. Et puis, franchement, quel intérêt y a-t-il à interroger les artistes sur tout et rien? Moi, ça me fatigue, alors je me tais. Les autres font ce qu’ils veulent.

- Vous pouvez pourtant être dur envers certains acteurs. Ainsi, à propos des «artistes», vous écrivez: «Ils font voir et entendre autrement et autre chose que des évidences. Serge Reggiani en était. Jean Gabin, en dépit de son imposant talent, non.» Pourquoi cette salve contre Gabin?
- J’ai vraiment dit ça? (Dubitatif, il relit lui-même le passage dans son livre, ndlr.) Je ne sais pas pourquoi j’ai écrit cette connerie, mais c’en est une. Vous pouvez l’écrire!

- A 78 ans, la mort vous inquiète-t-elle?
- Franchement, non, je m’en fous. Je n’y pense pas. Ce qui est difficile, c’est de rester et de voir ses amis disparaître.

- Est-ce que vous vous souhaitez une fin particulière?
- J’ai envie qu’on inscrive «The end», tout simplement.


COUPS DE CœUR EN TROIS MOTS

- Un pays?
- J’adore l’Italie! Florence, Venise, les musées, la peinture: les grandes émotions de mes 20 ans. Un éblouissement. Quand je ne vais pas en Italie, ça me manque.

- Une musique?
- Le jazz. Cela a commencé par le New Orleans, puis le be-bop, Charlie Parker, Sidney Bechet. Des musiciens blancs aussi, comme Stan Getz, sublime.

- Un genre de films?
- Les grandes comédies musicales américaines. Un enchantement. J’aurais adorer en tourner, mais en France on ne sait pas le faire.

*Le dernier livre de Jean-Pierre Marielle: «Le grand n’importe quoi», Ed. Calmann-Lévy, 2010.


Par Blaise Calame publié le 25 avril 2019 - 09:42, modifié 18 janvier 2021 - 21:04