«Même si ma carrière de rappeuse explosait, j’aurais besoin de pratiquer les autres arts.»
Ana Ford 30 ans, chanteuse et comédienne, Genève
Elle arrive à notre rendez-vous presque sur la pointe des pieds. Tout de noir vêtue, silhouette gracile, une glace à la main et la mine rieuse. L’été pointe le bout de son nez. Des boucles blondes lui encerclent le visage. Son extrême timidité et son regard doux contrastent avec les paroles de sa chanson Ni mariés ni refrés, qui vient de dépasser les 13 000 vues sur YouTube. Dans ce clip, elle apparaît coupe courte, regard perçant, le verbe tranchant et la punchline affûtée. La rappeuse confirme: «Mon univers musical est assez cru mais également poétique. Il me ressemble. C’est doux et à la fois un peu violent. Ça l’est aussi dans la façon que j’ai de m’exprimer. Je peux dire des choses très vulgaires, d’autres plus élégantes. C’est une dualité, elle vit en chacun de nous. C’est comme ça qu’on trouve son équilibre.»
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Une démarche percutante pour renverser les clichés souvent associés au rap. «La plupart des morceaux de rap que j’entends sont misogynes. La femme est considérée comme étant au service de l’homme. Ça ne poserait pas plus de problèmes que ça si nous, les femmes, on contrebalançait avec du rap misandre. Tout simplement», lance-t-elle dans un grand éclat de rire. Elle considère le rap, et plus largement les arts, comme des outils politiques: «C’est tellement plus ludique que d’aller écouter le discours d’une personne postée derrière une tribune avec un micro. Les messages passent plus facilement, il y a ce côté agréable dans l’art et j’aime l’utiliser de cette façon», confie-t-elle avec douceur.
L’art a toujours fait partie de la vie de Nasma, son prénom à la ville. Née à Genève, d’une mère chorégraphe, metteuse en scène et comédienne, elle fait ses débuts à l’opéra. A l’âge de 4 ans déjà. Puis elle se forme à la danse. Vient ensuite la comédie, principalement en autodidacte. Elle foule les planches des théâtres genevois et français. Une passion qui génère, parfois, de la frustration: «Au théâtre, on me confie souvent des rôles d’Arabe ou de jeune sortie de banlieue, c’est un peu pesant. Ça me fait manquer beaucoup d’opportunités. La musique me permet de me raconter autrement. J’aimerais bien montrer autre chose. Ça m’agace de voir toujours les mêmes images données de certaines communautés, cultures et minorités. C’est pourquoi j’ai envie de réaliser des films, aussi.»
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Peut-on vivre de l’art en Suisse? «Ici, artistiquement parlant, c’est dur de survivre. La vie est chère. Payer un studio d’enregistrement ou un ingénieur du son, ce n’est pas donné. Idem pour acheter des «prod» sur YouTube. Je me suis fait à ce style de vie mais c’est quand même houleux d’être une artiste. On ne sait jamais quelle somme va tomber à la fin du mois. C’est aussi une des raisons pour lesquelles on a envie d’aller le plus haut possible, pour atteindre la reconnaissance, bien sûr, mais aussi la stabilité financière», reconnaît sans détour la jeune femme avant de concéder: «Même si ma carrière de rappeuse explosait, j’aurais besoin de pratiquer les autres arts. Je ne compte pas mettre de côté l’art dramatique. Il y a moyen de les allier et de les utiliser en même temps. J’espère percer mais aussi continuer à faire les choses que j’aime, c’est trop important pour moi.»
Nasma rêve de s’exporter en France, en Belgique et au Maroc, son deuxième pays. «Je ne sais pas comment mon titre serait reçu là-bas, c’est plus compliqué, avec la question de la nudité notamment, mais je crois en mes rêves. Ça me donne de l’espoir et de la force. J’espère que je vais défoncer le game, que je vais percer «de ouf». Je veux faire des millions de vues. Des grandes scènes de festival avec un parterre noir de monde.»