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Joseph Gorgoni a survécu, et il en rit

Dans un show baptisé «Trans Planté», le comédien genevois Joseph Gorgoni raconte sa greffe des poumons, le covid et ses quarante-deux jours de coma. Pour nous, il retrouve les professeurs qui lui ont sauvé la vie: Michel Gonzalez, du CHUV, et Jérôme Pugin, des HUG. A leurs yeux, c’est un surhomme. Récit d’un incroyable miracle.

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Joseph Gorgoni

C’est dans la salle du Casino-Théâtre, rue de Carouge à Genève, que la carrière de Joseph Gorgoni, 56 ans, a démarré il y a trente ans avec Pierre Naftule. C’est ici encore, dès le 8 mars, qu’il va jouer à raconter l’incroyable aventure de sa survie et faire rire aux éclats.

Darrin Vanselow

A Genève, à l’hôpital cantonal, Joseph Gorgoni plaisante. Le comédien de 56 ans partage sa bonne humeur dans un lieu où le commun des mortels n’a pas vraiment le cœur à s’amuser. Nous sommes aux soins intensifs et il retrouve deux connaissances: Jérôme Pugin, médecin-chef des lieux, ainsi que Michel Gonzalez, médecin-chef dans le service de chirurgie thoracique du CHUV, à Lausanne. Il y a deux ans, avec leurs équipes respectives, les deux médecins ont sauvé par deux fois la vie de celui qui incarne, depuis trente ans, la truculente Marie-Thérèse Porchet. Le 7 août 2020, après une intervention de six heures, le professeur Gonzalez, entouré d’un staff de douze personnes, greffait au comique deux poumons neufs. Ils lui permettent désormais de vivre et de travailler.

Gorgoni est bien vivant. «C’est un p… de surhomme, lâche le professeur Pugin. Il ne devrait pas être avec nous aujourd’hui.» L’amuseur chéri des Romands souffrait d’une fibrose pulmonaire idiopathique. Un mal irréversible. «Les poumons sont comme des éponges qui gonflent et qui sont assez souples, précise le chirurgien. En cas de fibrose, ils sont durs et bougent à peine, comme deux cailloux.» De ses mésaventures hospitalières – confiées à «L’illustré» en mars 2021 –, l’artiste a tiré un spectacle baptisé «Trans Planté». S’il compte faire rire à partir de mars prochain, il tient aussi à rappeler que le don d’organes sauve des vies.

A le voir enjoué, il semble impossible d’imaginer ce qu’il a enduré. Avec sa faculté de récupération, il est devenu objet d’étude. Ses années de danse l’ont sans doute aidé à tenir le choc, sans parler des trésors de savoir-faire et de technologie médicale. Joseph Gorgoni nous avait confié comment le professeur Michel Gonzalez – celui qu’il surnomme «le médecin de la clinique de la Forêt-Noire», clin d’œil à la série allemande – l’avait briefé avant l’intervention: «Ça m’avait glacé le sang. C’était comme changer le carburateur d’une voiture. On incise le thorax, on soulève le capot, on place les poumons neufs et on referme.»

Joseph Gorgoni

Pour «L’illustré», Joseph Gorgoni a réuni les deux médecins qui lui ont sauvé la vie: les professeurs Michel Gonzalez, du CHUV (à g.), qui a effectué la greffe des poumons du comédien, et Jérôme Pugin, des HUG, qui l’a soigné lors de son long coma. Sa faculté de récupération les a stupéfiés.

Darrin Vanselow

De tout cela, il lui reste une large cicatrice horizontale. Lui qui s’essoufflait en scène comme dans la vie a mesuré le bénéfice de sa greffe dès le réveil. «Pour un transplanté du cœur, c’est progressif. Moi, j’ai pu respirer immédiatement sans tousser; au bout de cinq jours, j’étais capable de marcher, constate-t-il, encore stupéfait. J’y pense tous les jours et je me dis: «On m’a changé les poumons.» Je n’arrive toujours pas à comprendre.» Trois semaines plus tard, il rentrait chez lui. «J’ai eu tellement de chance. Même si je prends 15 médicaments en deux fois tous les jours et que je reste un patient permanent soumis à des contrôles réguliers.»

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Joseph Gorgoni raconte son calvaire

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Le comédien Joseph Gorgoni, alias Marie-Thérèse Porchet, a frôlé la mort trois fois en un an. Il raconte, sous l'œil bienveillant de son compagnon Florian, sa greffe des poumons, son coma post-covid puis l'infection qui a suivi. Laetitia Béraud

Coma et champignon mortel

Le jour de l’intervention, Gorgoni ne s’attendait pas à être prévenu dans l’après-midi. «J’avais préparé des boulettes pour le dîner et j’ai dû décommander mon hôte, Thomas Wiesel: «Je dois me faire changer les poumons.» Il m’a répondu que c’était un motif valable.» Remis sur pied, le Genevois attrapait le covid quelques semaines plus tard. Et cette fois, direction les HUG, où il allait passer quarante-deux jours dans le coma, intubé. A son réveil, les médecins devaient constater la présence d’un mucor, un champignon potentiellement mortel qui menaçait de lui attaquer le cerveau. «Dans ces cas-là, le taux de survie n’est pas très bon. Peu de gens s’en sortent aussi bien et sans séquelles, souligne Jérôme Pugin. Pour qu’il n’y ait pas de rejet des poumons, on tape fort sur l’immunité en général. Dès lors, des champignons, contre lesquels on se défend facilement, peuvent s’implanter, notamment dans les sinus ou dans les poumons, et créer des infections qui sont très difficiles à traiter. Joseph a eu, une fois encore, une très bonne réponse au traitement.»

Joseph Gorgoni se réveille après 41 jours de coma.

Joseph Gorgoni en 2020, dûment appareillé aux soins intensifs des HUG, après quarante-deux jours de coma, vient de se réveiller. «Je ne me souvenais de rien. J’avais perdu 20 kilos. Je n’avais plus de force, ni de volonté. L’amour de Florian, mon compagnon, et de ma sœur, Daniela, m’a permis de me battre.»

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Gorgoni avait perdu plus de 20 kilos. En ouvrant les yeux, il ne se souvenait de rien. Epuisé, il n’avait plus la force de lutter. «Ça a été le moment le plus marquant. J’étais déprimé, j’avais des trous partout. Après le coma, je me suis dit: «A quoi bon? Je ne vais pas y arriver. J’ai eu une belle vie, tout ça ne sert à rien. Au revoir!» La détermination des siens et des médecins lui a permis de rallumer sa flamme intérieure. Il y avait l’amour de Florian, son compagnon depuis vingt ans, Daniela, sa sœur aînée, ses amis et tout le corps médical. «Ils m’ont répété: «Tu vas y arriver.» J’ai pensé: «Je n’ai pas fait tout ça pour rien, alors autant essayer.» Une fois que les choses ont recommencé à fonctionner, je me suis dit: «Il faut que je raconte!» Toute ma vie et ma carrière me revenaient en mémoire. Des choses enfouies, oubliées. Mille détails. C’était une situation tellement extraordinaire! On ne peut pas imaginer un truc pareil.»

Vingt-cinq greffes de poumons par an à Lausanne

Il lui a fallu tout réapprendre. «J’étais devenu incapable de lever un doigt pour me gratter le nez, de parler, de marcher, de manger ou même de réfléchir.» La trachéotomie l’avait privé de sa voix si caractéristique. Celle qui, dans les aigus, lui permet de pérorer et de chanter, dans la peau de Dame Porchet. Sébastien Corthésy, son producteur, se souvient: «Un beau jour, Joseph nous a laissé un long message audio. Toute l’équipe était autour du téléphone. A la fin, il a dit: «Je crois même que j’ai la vieille qui revient.» Il a pris l’intonation de Marie-Thérèse et là, on a tous fondu en larmes.»

Joseph Gorgoni

«Avant, les gens m’arrêtaient pour me dire: «J’adore ce que vous faites.» Maintenant, ils me demandent: «Comment ça va?», Joseph Gorgoni.

Darrin Vanselow

Aujourd’hui, Gorgoni a intégré ces montagnes russes d’émotions et de douleurs dans un spectacle comique très personnel. En marge, il encourage le don d’organes. Michel Gonzalez et Jérôme Pugin l’appuient: «C’est tellement important quand on voit le résultat: rendre la vie à quelqu’un qui était programmé pour décéder dans un avenir proche et qui est jeune... Donnez vos organes! Ne les prenez pas au ciel, parce que le ciel ne sait pas quoi en faire.» Pour les médecins, il est capital que chacun en parle, autour de lui, en famille, sans tabou. Malgré la loi votée le 15 mai 2022 sur le consentement présumé, le prélèvement – une course contre la montre entre le décès et la greffe – n’est jamais automatique. «On doit demander aux familles, précisent-ils. Même si le patient s’est déterminé de son vivant. Car si la famille s’oppose au don d’organes, on s’incline.»

«Trans Planté», ce sera aussi un hommage aux infirmières et aux infirmiers. «Passer entre huit et douze heures au chevet des patients en soins intensifs demande des qualités techniques et un immense cœur. Sans ça et un esprit d’équipe, on ne ferait rien», ajoute Jérôme Pugin. Il y a une cinquantaine de greffes des poumons chaque année en Suisse, dont 25 à Lausanne. Les chances de réussite sont bonnes. «Une fois que l’on change l’organe, s’il n’y a pas eu de rejet, on récupère bien avec quelques contraintes liées à l’immunosuppression et le risque de faire des infections. Il y a aussi les effets toxiques des médicaments sur les reins ou le cœur sur plusieurs années», souligne Michel Gonzalez. Y a-t-il une Migros Data? s’inquiète Gorgoni. «Non, pas forcément. Il y a une part de mystère. On ne comprend pas tout, pourquoi certains font un rejet et d’autres pas. Plus de 90% des gens survivent au-delà d’une année. A Lausanne, nous sommes à presque 80% au-delà de cinq ans.»

Joseph Gorgoni

Joseph Gorgoni, deux ans et demi après sa transplantation, entre les professeurs Michel Gonzalez (à g.), médecin-chef dans le service de chirurgie thoracique du CHUV, et Jérôme Pugin, médecin-chef des soins intensifs des HUG.

Darrin Vanselow

Depuis la publication de son témoignage, de futurs transplantés ou leurs proches l’interpellent dans la rue, lui écrivent ou lui téléphonent. «Avant, les gens m’arrêtaient pour me dire: «J’adore ce que vous faites.» Maintenant, ils me demandent: «Comment ça va?» Un ancien flic qui devait se faire opérer m’a appelé il y a une semaine. Il s’est mis à pleurer et m’a dit: «Merci.» Moi, je n’y suis pour rien. Si je peux donner de l’espoir, tant mieux. Une autre fois, une fille m’a envoyé un message formidable. Elle me demandait d’appeler son père, futur transplanté. Il angoissait beaucoup. Je lui ai téléphoné et lui ai fait cette proposition: «Venez me voir en spectacle. On se fait greffer les poumons et vous verrez, ça marche.» Il est venu et ça a changé sa vie. Il était devenu totalement serein.»

Des larmes, Joseph Gorgoni va sans doute en verser sur scène. Le show qu’il fignole signifie aussi un retour aux sources. On change de décor. Il nous emmène pas loin, au Casino-Théâtre, rue de Carouge. «J’ai commencé ma carrière ici, il y a trente ans, avec Pierre Naftule et ça a bouleversé mon existence. C’est le premier spectacle de ma vie que je fais sans lui.» Avec son complice, il avait tout juste pu démarrer l’écriture de «Trans Planté». Par la suite, les forces du metteur en scène, auteur, producteur et cocréateur de Marie-Thérèse Porchet avaient décliné. Cloué dans un lit, aidé d’un respirateur, il a été emporté par la maladie de Charcot qui le paralysait. «Parfois, nous étions tous les deux à l’hôpital en même temps», glisse Gorgoni, songeur.

«Moins tu parles, plus tu es drôle»

Sébastien Corthésy et Pascal Bernheim ont pris le relais afin que le texte sous forme de récit devienne un spectacle d’humour. Le show démarre par l’énumération des maux dont a souffert le patient Joseph G.: dix-sept termes médicaux techniques un peu barbares, dont il accentue le comique par sa seule présence. C’est son génie. «Pierre me disait: «Moins tu parles, plus tu es drôle.» Son rire adoucit les larmes. «Petit, on s’est beaucoup moqué de moi. Dans mon for intérieur, je me disais qu’un jour ou l’autre je ferais ce que j’aime.» Au cours de danse, il a entendu des mots cinglants, des remarques blessantes: «De toute façon, il ne fera jamais rien!» Lui restait persuadé qu’il y arriverait, sans une once d’esprit de revanche. Tout au long de sa carrière, il n’a connu que le succès.

Dans quelques semaines, il va se présenter sans artifices. «Je ne vais pas me cacher derrière une robe ou un maquillage.» Vêtu d’un costume noir piqué de strass Swarovski assorti, il mise sur la sobriété. S’il se dit volontiers contemplatif, sur une plage, face à la mer, il déborde de projets et planche déjà sur un «Marie-Thérèse chante Noël» pour la fin de l’année. «J’ai moins d’endurance qu’avant, mais sur scène ça ne se voit pas. Les gens me disent: «Elle est en forme, la vieille!» Normal, Joseph Gorgoni, lui, rit, respire et vit aux éclats.

Le spectacle Transplanté de Joseph Gorgoni

Joseph Gorgoni donnera dix représentations de «Trans Planté» au Casino-Théâtre à Genève, du 8 au 19 mars 2023. Il sera en tournée, notamment à Pully, au Théâtre de l’Octogone.

Thomas Masotti

Joseph Gorgoni donnera dix représentations de «Trans Planté» au Casino-Théâtre à Genève, du 8 au 19 mars 2023. Il sera en tournée, notamment à Pully, au Théâtre de l’Octogone.

>> Informations complètes et billetterie sur www.joseph-gorgoni.ch

Par Didier Dana publié le 1 février 2023 - 09:02