C’est un phénomène exponentiel qui s’attaque à un autre qui l’est tout autant. On veut parler des sœurs Berthollet: Julie, cheveux courts, 24 ans, violoniste, et Camille, boucles rousses en cascade, 22 ans, au violon et au violoncelle. Le duo franco-suisse propose un nouvel album, intitulé «Séries», basé sur les musiques des génériques de séries télé, dont certains sont devenus de véritables standards. Depuis l’avènement des plateformes de streaming, le genre est roi dans le domaine du divertissement. Le confinement a amplifié le phénomène avec pas moins de 15,8 millions d’abonnés supplémentaires en mars 2020 rien que sur Netflix. Aussi complémentaires et différentes que le soleil et la lune, et à peine revenues de leur concert londonien au Royal Albert Hall où elles ont triomphé devant 5000 personnes, Julie et Camille nous dévoilent les dessous de ce sixième opus dans l’air du temps.
- Comment est né ce projet qui sort des sentiers battus?
- Julie: Nous avons regardé beaucoup de séries pendant la pandémie. On le faisait bien avant. L’idée a germé il y a trois ans. Très cinéphiles, nous adorons rester dans une salle de cinéma jusqu’à la fin pour apprécier la musique qui défile avec le générique.
- Camille: On fait pareil pour les séries.
- Julie: Il y a une année, c’est devenu une évidence. On s’envoyait des propositions et on a commencé à faire les arrangements au piano.
- Les génériques ont-ils un lien avec la musique classique?
- Julie: On peut remonter à Richard Wagner et ses leitmotivs. Dans ses œuvres, chaque caractère ou objet possède son motif musical. Cela a été repris dans les séries, jusqu’à «Lupin», avec Omar Sy, où un thème musical distingue chaque personnage.
- Quelle formation ont ces compositeurs d’un genre particulier?
- Julie: Ce sont de grands orchestrateurs. Ils écrivent leurs partitions – des œuvres souvent symphoniques – sur une base classique, même si le style peut s’en écarter.
- Camille: Ce qui sonne de façon simple ne l’est pas forcément. Tout leur génie est là.
>> Lire aussi: Les soeurs Berthollet au firmament
- Le grande majorité du public ignore qui sont Danny Elfman («Les Simpson»), Lalo Schifrin («Mission: Impossible») ou John Barry («Amicalement vôtre»). Les vraies stars, ce sont leurs bandes originales, que l’on reconnaît à la première seconde, comme des slogans publicitaires. Avez-vous été en contact avec ces grands noms?
- Camille: Nous avons dû demander l’autorisation aux ayants droit pour 21 des 23 titres de l’album. Nous avons contacté le Français Mathieu Lamboley («Lupin») ou le Germano-Britannique Max Richter («The Leftovers»). Georges Delerue étant décédé, nous étions en lien avec sa veuve. Elle a exigé que «Diên Biên Phú – Concerto de l’adieu» reste intact. Il fait bien 9 minutes. A chaque fois, nous avons dû soumettre les partitions avec nos arrangements et l’enregistrement final. Tous auraient pu, à ce stade final, s’opposer à la publication.
- Y a-t-il des musiques auxquelles vous avez dû renoncer?
- Camille: L’autorisation nous a été refusée pour «Tintin».
- Vous jouez avec un grand orchestre. Pourquoi avoir ralenti le tempo crépitant de «Mission: Impossible», dont le motif s’inspire du code morse en reproduisant les lettres M et I, soit deux traits et deux points?
- Julie: Nous avons choisi un tempo plus lent pour ce thème en cinq temps afin d’y ajouter des fioritures. Un orchestre de cette ampleur, c’est un peu comme un éléphant, dans le sens noble du terme. C’est magnifique, mais il faut du temps et de la force pour le déplacer. Nous jouons avec l’Orchestre national d’Ile-de-France sous la direction d’Ernst van Tiel. Les arrangements de l’album sont, en partie, de Matthieu Gonet, que le grand public a découvert avec la «Star Academy».
- Max Richter dit: «Il faut saisir l’âme d’une œuvre avant d’en composer le générique ou la musique.» Avez-vous été, comme lui, au fond des choses?
- Camille: «The Leftovers» a été le premier titre à ressortir de notre liste bien que Richter n’écrive pas pour les cordes. Ce qui est marquant, ce sont ses ambiances. Nous avons étudié la globalité de l’œuvre, bien au-delà de ce que nous jouons sur l’album.
- Julie: Ce qui nous a guidées en premier, c’est le souvenir que nous avions de la musique au moment du visionnage de la série. Nous n’avons retenu que des musiques coups de cœur, celles qu’on ne zappait pas en regardant les épisodes.
- Il y a trois musiques de films sur le disque, «La La Land», «Intouchables», «La Panthère rose», plus le thème «Yakety Sax» du «Benny Hill Show». Pourquoi ces exceptions?
- Camille et Julie: Au départ, nous voulions que l’album soit parfait et pur, mais série ou long métrage, cela reste de la musique à l’image. Les émotions éprouvées ont été déterminantes. Nous avions déjà repris La La Land, sur scène, seules, au violon et au violoncelle. Cette fois, on a voulu s’amuser et rajouter un band, pour avoir un côté jazzy en plus de l’orchestre symphonique. Le violon sonne à la manière du grand Stéphane Grappelli.
- On découvre aussi deux compositions originales, dont une chanson inédite, très réussie, «Flashback», qui parle de rupture amoureuse. Qui est derrière?
- Julie: J’en suis l’auteure, la compositrice et l’interprète. C’est la musique que j’aurais proposée si on m’avait demandé de faire une musique, façon série TV, dont le scénario aurait été mon année écoulée. Ecrire un album entier de chansons fait partie de mes projets. L’autre titre original est «Générique». Une façon de clore le disque en écrivant le nôtre.
- Justement, quel est votre générique de série préféré?
- Camille: «The Crown», les harmonies sont incroyables. Le thème principal a été composé par Hans Zimmer.
- Julie: «Game of Thrones», de Ramin Djawadi, qui ouvre l’album.
- La première série dont vous vous souveniez?
- Camille: «Dix pour cent».
- Julie: «Orgueil et préjugés», tirée du roman de Jane Austen.
- Votre série «old school» favorite?
- Camille et Julie: «Amicalement vôtre»!
- Et la série contemporaine?
- Camille: «Le jeu de la dame», parce que l’héroïne jouée par Anya Taylor-Joy est rousse comme moi (rires). C’est super bien écrit et interprété. Avec Julie, nous jouions beaucoup aux échecs quand nous étions petites. On a commencé à l’âge de 8 ans.
- Julie: «Black Mirror». C’est toujours à un doigt de la réalité. On se dit qu’on pourrait basculer dans ce cauchemar assez facilement. C’est anxiogène, mais éducatif.
- Celle que vous chérissez entre toutes?
- Camille: «The Crown». La famille royale me fascine et on apprend beaucoup de choses sur la grande histoire. La musique est magnifique. C’est un tout.
- Julie: «Dix pour cent». Car je préfère voir le milieu du showbiz sur mon écran depuis mon canapé plutôt qu’en vrai. On connaît les journées infernales qui ne s’arrêtent jamais, les sollicitations incessantes. Les stratégies entre les grandes maisons de production, les agents qui sont honnêtes avec leurs artistes et ceux qui ne le sont pas du tout…
- Camille: On rigole beaucoup en la regardant. On aurait aimé jouer dedans.
- Si vous jouiez dans une série, elle se situerait à quelle époque?
- Camille: Une série en costumes avec de grandes robes, époque victorienne. Jouer deux sœurs musiciennes, on nous l’a proposé plusieurs fois. Nous avons refusé pour des raisons d’emploi du temps.
- Julie: J’opterais pour un scénario futuriste.
- La série que vous n’avez jamais pu regarder en entier?
- Julie: «Game of Thrones». Il me manque cinq épisodes et la fin.
- Camille: Je suis très assidue, je vais toujours au bout. Je souhaiterais parfois que les nouvelles saisons arrivent sans avoir à attendre une année et demie.
- Si vous étiez le héros d’une série?
- Julie: Elliot Alderson, le jeune génie informatique dans le techno-thriller «Mr. Robot», avec Rami Malek, qui était Freddie Mercury dans «Bohemian Rhapsody».
- Camille: Aucun.
- Et une héroïne?
- Camille: Une princesse dans «The Crown», mais ni Diana ni Margaret, la sœur de la reine! (Rires.)
- Julie: L’héroïne du «Jeu de la dame», parce qu’elle totalise quelques dizaines de points de QI de plus que nous.
- Qui est votre méchant(e) préféré(e)?
- Camille: Le directeur de l’agence artistique ASK dans «Dix pour cent», joué par Thibault de Montalembert alias Mathias Barneville.
- Julie: Pareil. Ce sont les méchants qu’on aime parce qu’ils dévoilent un petit peu leurs failles. On s’y attache.
"Qui de nous deux?" par les soeurs Berthollet
- La série qui vous rebute?
- Camille: «Black Mirror» et tout ce qui fait peur.
- Julie: Tout ce qui est trop romantique.
- Combien d’heures passez-vous à regarder des séries?
- Camille: Je profite des trajets en train lors de nos déplacements professionnels. Donc deux ou trois heures, sinon rien.
- Julie: Etant de nature insomniaque, la moitié de mes nuits, soit au moins quatre heures. Je n’en regarde jamais la journée.
- Quelle est votre réplique de film ou de série préférée?
- Julie: «Astérix et Obélix: Mission Cléopâtre». Lorsque Numérobis (Jamel Debbouze) explique son projet pharaonique en plein désert: «Là-bas, les jardins, avec des oliviers, des orangeades, des saules pleureurs, des soles meunière…» Et il conclut en disant: «Et juste là, un petit géranium.» (Rires.) On la répète souvent.
- Camille: Dans «Dix pour cent», la façon dont l’assistante et amante de Barneville prononce son prénom (elle chuchote): «Mathiaaas!»
- De quoi se compose votre plateau télé idéal?
- Camille: Fromage, tartines de confiture, chocolat chaud, jus d’orange, céréales et un petit quelque chose pour le chat.
- Julie: Je suis végane, mais ça doit être très épicé. Comme ça, je pleure pour une bonne raison (rires). Et je bois de l’eau du robinet.
- «Séries» volume II est-il déjà en préparation?
- Julie: Si le premier a du succès. «Chapeau melon et bottes de cuir», «Batman» ou «Twin Peaks» faisaient partie de la liste initiale. Mais il a fallu choisir. La version vinyle est limitée à 26 minutes par face. Il y a 23 titres soit 1 h 10 au total. On est déjà au max.
- Vous vous produirez le 1er février 2022 à Morges. Qu’allez-vous jouer?
- Camille: «Nos quatre saisons» en première partie et, pour la première fois, «Séries». On donnera deux concerts pour le prix d’un et ça ne se fera nulle part ailleurs.