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La chanteuse Billie Bird raconte ses blessures d’enfance

La chanteuse romande Billie Bird, Elodie Romain dans le civil, n’avait encore jamais raconté son histoire. Née par insémination artificielle, elle a vu sa maman, diagnostiquée bipolaire, être internée. Elle a été élevée par un père absent avant d’être placée dans un foyer. Malgré les abandons et ses blessures d’enfance, elle a su se construire. Récit intime d’une étoile montante de la scène musicale francophone.

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Billie Bird

C’est ici, dans l’église Saint-François à Lausanne, qu’elle donnera son prochain concert, le vendredi 9 septembre. Billie Bird interprétera de nouvelles compositions, qui figureront sur son tout premier album événement, dans les bacs dès le 10 mars 2023.

GABRIEL MONNET
Didier Dana

Qu’elle chante ou qu’elle parle, sa voix nue, réconfortante, vous caresse le cœur. La chanteuse romande Elodie Romain, alias Billie Bird, s’apprête à la faire résonner, puissante, en l’église Saint-François, à Lausanne, le vendredi 9 septembre. Avant l’arrivée de son tout premier et très attendu album, le 10 mars prochain, et après le single «Electrique», elle propose «La fin du monde». Un titre tendre en hommage à sa maman, décédée en 2020. «Je me suis fait tatouer un voilier sous lequel est inscrit Encarnita, le diminutif de son prénom. Au départ, je ne souhaitais pas de tatouage. J’en ai suffisamment à l’intérieur», dit-elle. Elodie-Billie porte en elle les traces invisibles de son enfance sinueuse. Des écorchures, des cicatrices, des plaies profondes, insoupçonnables. Elle les dévoile ici pour la première fois. Enfin prête à s’accepter telle qu’elle est.

«Mes parents se sont connus très jeunes, dans un bal à Pontarlier. Lui, Français, avait 20 ans, elle, 23 ans, d’origine franco-espagnole, était issue d’une famille immigrée après la guerre. Je suis née le 3 juin 1983, trois ans après ma sœur. Comme mon père était stérile, ma mère a recouru à l’insémination artificielle à Berne. J’ignore qui est le donneur. Je me questionne parfois sur son identité, sans pour l’instant ressentir le besoin d’ouvrir cette porte-là.» Trois mois après la venue au monde d’Elodie, sa mère va connaître un premier épisode dépressif. «Elle a eu d’importants dérèglements hormonaux mal soignés après l’accouchement. Par la suite, elle a été diagnostiquée bipolaire.»

Billie Bird

«Je me suis fait tatouer un voilier sous lequel est inscrit Encarnita, le diminutif du prénom de ma maman, Encarnaciòn, confie la chanteuse. Au départ, je ne souhaitais pas de tatouage. J’en ai suffisamment à l’intérieur…»

GABRIEL MONNET

Elodie va vivre avec ses parents jusqu’à l’âge de 5 ans avant d’être placée, pendant une année, en famille d’accueil, au moment de la séparation du couple. «Ma maman a été hospitalisée pour des raisons de santé mentale. Elle souffrait de grande détresse; elle a fait de nombreuses tentatives de suicide. C’était pourtant quelqu’un de très aimant.»

Entre 6 et 9 ans, la jeune fille vit avec sa sœur et son père. «Nous étions revenues, il avait obtenu la garde. Nous habitions à Lausanne, du côté de la Pontaise. Il travaillait dans les primeurs, livrait des fruits et légumes. Il partait à 3 heures du matin et revenait à midi. On ne le voyait que le soir pour le souper. De fait, du lundi au vendredi, nous étions très seules.»

A l’école enfantine, les deux sœurs fréquentent le collège du Vieux-Moulin. «On bénéficiait de l’accueil pour enfants en milieu scolaire, comme les devoirs surveillés, cela créait du lien. Le vendredi, ma sœur et moi, avec notre mère qui habitait une chambre à Renens, partions en train afin de rejoindre notre grand-mère.» Selon un rituel immuable, les trois quittaient Lausanne à 15h40. «J’ai conservé le sac de voyage dans lequel nous mettions un berlingot de thé froid, du jus de pomme, une tartelette de Linz. Toute la semaine, je me nourrissais de l’espoir du week-end.» Ces allers-retours vont durer jusqu’aux 9 ans d’Elodie.

Billie Bird

«J’adore cette image de ma maman et moi à Noël 2017. C’était une femme drôle et souriante, malgré les tempêtes.» Billie Bird lui consacre son nouveau single intitulé «La fin du monde». «Je chante l’impossibilité de dire ce que j’aurais voulu lui dire quand la pudeur l’emporte.»

DR

Malgré un environnement affectif bancal, elle pousse tant bien que mal. «J’étais une enfant dans une situation précaire. Je prenais ce qu’il y avait à prendre. Je me nourrissais de tout: le foot, les jeux, les repas collectifs, tout ce qui rassemblait. Notre père, lui, n’avait pas grand-chose à nous donner. Tout se construisait en dehors de chez moi. A l’extérieur la semaine, le week-end avec maman.» A la maison, la discothèque paternelle suscite l’intérêt émerveillé d’Elodie. «On n’avait pas trop le droit d’y toucher. J’admirais les vinyles que mon père annotait. Brel, Brassens, Supertramp, de l’americana des années 70 et 80.»

Si parfois les deux sœurs se disputaient, elles se rapprochaient le soir venu. «Nous étions solidaires, livrées à nous-mêmes. La nuit, on se rassurait dans la chambre parce qu’on avait peur.» Le matin, l’aînée préparait le petit-déjeuner. «C’est une enfant à qui on a donné trop de responsabilités; cela a biaisé notre relation. Comme si nous avions une dette implicite. Les compteurs jamais mis à zéro.»

Un jour, sans explication, toutes deux sont placées dans un foyer pour enfants. Elodie a 9 ans, sa sœur 12. «Je n’en ai gardé que l’image de mon père et de ma belle-mère nous déposant avenue des Acacias au foyer du Servan.» Pour les deux petites, cette séparation est un basculement. Un nouvel abandon. «J’ai ressenti une forme de résignation. Un mélange de trac, de tristesse et d’incompréhension. On changeait totalement de vie, de décor, d’installation. Nous étions dans un sas; sorties de notre propre famille pour intégrer une autre forme de famille, des professionnels qui n’étaient pas nos proches. Nous étions sans expectative. Nous ne savions pas vers quoi nous allions.» Elodie va grandir là-bas, jusqu’à ses 19 ans.

«J’avais troqué une solitude contre une autre. J’ai préféré celle du foyer. Aujourd’hui, je suis reconnaissante. C’était un milieu sain, j’ai eu de la chance. Nous vivions aussi avec les fragilités des autres.» Elle se souvient des petits aux parcours abîmés. «Ils avaient connu des destins dramatiques. Certains étaient enfants de toxicomanes, d’autres avaient fui le Zaïre en guerre, leurs parents avaient été torturés sous leurs yeux, d’autres issus de milieux aisés avaient été abandonnés. Certains avaient été abusés ou victimes de violences domestiques. Tous avaient grandi dans la précarité émotionnelle. La première fois que j’ai vu le film d’animation «Ma vie de Courgette», cela m’a bouleversée. Je me suis dit: «C’est moi!»

Billie Bird

Pour définir son style singulier, sa voix nue et caressante, Billie Bird parle de «pop de profundis». La presse française, de «Libération» aux «Inrockuptibles», a déjà salué son talent.

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Aucun des pensionnaires ne dissimulait son passé. «Nous étions transparents et cela donnait du sens. La première question qu’on se posait les uns aux autres, c’était: «Pourquoi tu es là?» Elodie répondait: «Ma mère n’a pas eu la garde et mon père nous a abandonnées.» Aujourd’hui, à 39 ans, elle ajoute cette précision: «Le Service de protection de la jeunesse (SPJ) a probablement entendu parler de notre situation. L’institution scolaire avait remarqué que nous souffrions de carences affectives et que nous manquions de soins…»

Elodie n’a jamais cessé de rendre visite à sa mère et de la soutenir. «Elle était internée à Cery. La voir dans un tel état de souffrance était traumatisant. Ça l’a été moins en grandissant. Il faut se figurer l’établissement vieillot des années 90.» Tout l’impressionnait. «L’ambiance, les odeurs, les bruits, les couloirs qui résonnaient, les portes qui s’ouvraient avec des clés. En arrivant, je ne savais jamais si je pourrais la voir ou pas. Cela dépendait de son état, des phases qu’elle traversait, dépressive ou euphorique; ça basculait d’un coup. Je ne savais jamais qui j’allais rencontrer.» Là-bas, pour Elodie, c’était encore un autre monde. «Un milieu hospitalier, mais avec des gens qu’on ne croise pas dans la vraie vie.»

Billie Bird

Elodie Romain, alias Billie Bird, 39 ans, se nourrit positivement de son passé. «Je suis dans l’énergie et dans la vie avant tout. J’assume tout ce que je suis.»

GABRIEL MONNET

Chaque année, avant Noël et Nouvel An, elle redoutait les rechutes. «Entre novembre et décembre, j’étais vigilante, je savais que ça allait venir, sans trop m’expliquer pourquoi. Ma maman y séjournait trois ou quatre semaines, parfois deux fois dans l’année. Le reste du temps, elle vivait à Renens. Elle avait travaillé chez Veillon, puis dans les primeurs avec mon père. Dès l’âge de 30 ans, elle a touché l’AI.»

Cette femme fragile, qui aimait ses filles de manière inconditionnelle, lui a permis d’aller vers la musique. «Elle m’a offert ma première guitare. Je l’avais demandée à 9 ans. J’ai suivi une formation classique. Ça me gonflait un peu, mais j’ai appris à lire la musique. J’ai compris que je voulais devenir chanteuse, auteure-compositrice.» Dès 7 ans, en recevant un lecteur de cassettes, un jouet Fisher-Price, Elodie avait fait de la chanson son refuge. «Je possédais une cassette de Roch Voisine, une face était en français, l’autre en anglais. C’est la première fois que j’écoutais de la musique toute seule, que j’appuyais sur «play», que je retournais la cassette. C’était à moi. Les titres guitare-voix ont agi comme un révélateur. Cette émotion a été un choc. En institution, je n’ai fait que ça: écouter de la musique.»

Billie Bird

«Ma mère m’a offert ma première guitare pour mes 9 ans. Je la lui avais demandée. Ici, j’ai une douzaine d’années. J’ai suivi une formation classique à Lausanne. Je voulais devenir chanteuse, auteure-compositrice.»

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La mère d’Elodie lui fait découvrir Calogero, Michel Berger et Mylène Farmer, dont elle a repris, dans une version épurée et réinventée, «Sans contrefaçon». «Cela m’a aidée à me réapproprier mon propre ressenti.» Au foyer, avec elle, les éducateurs utilisaient parfois la chanson comme vecteur de communication. «Si j’avais trop bu, par exemple, le lendemain, ils me conseillaient d’écouter «Désolé pour hier soir» du groupe Tryo.»

L’écriture de ses propres titres va arriver entre 17 et 19 ans. «J’ai joué pour la première fois au café de l’Hôtel de Ville, où j’étais serveuse. Il y avait un caveau. Un soir, un de mes collègues m’a poussée sur scène. J’ai chanté avec ma guitare.» A la sortie du foyer, à l’aube de ses 20 ans, Elodie a su faire des choix. «J’ai commencé par un an et demi en sciences sociales à l’uni, puis j’ai bifurqué. J’ai fait trois ans à l’ETM à Genève (Ecole des musiques actuelles et des technologies musicales, ndlr). De 24 à 27 ans, j’ai suivi la HEP (Haute école pédagogique). Je ne voulais pas, avec la musique, mettre tous mes œufs dans le même panier. J’ai enseigné pendant huit ans, jusqu’en 2018.»

Aujourd’hui, Elodie Romain se sent elle-même et l’assume. «Désormais, je mets tout sur la table. Vers 10 ans, j’avais déjà eu des petits copains et du succès. Mon premier amour, David, était très populaire à l’école.» Au début de l’adolescence, les choses se sont corsées. «Je n’étais pas prête à épouser les codes de la féminité, à me maquiller pour plaire. J’ai redistribué les cartes vers 13-14 ans. J’ai fait mon coming out à 19 ans et aimé une femme pour la première fois. Je suis tout ce que je suis. Je n’ai plus peur de ça: être queer, en surpoids, avec une maman malade.»Billie Bird et son univers puisent dans le vécu d’Elodie. Elle vit sa carrière sans précipitation, en marge des sirènes du showbiz. «Je prends mon temps. Je donne des concerts, j’accompagne d’autres artistes. Je compose des musiques pour le théâtre. Je travaille pour l’association Helvetiarockt contre la sous-représentation des femmes et des personnes non-binaires dans la musique. Et parfois, dans les moments de transition, je suis dans l’obligation de m’inscrire au chômage.»

Après la disparition de sa mère, elle a éprouvé le besoin de mettre des mots sur ce qu’elle ressentait. «Dans ma chanson, j’évoque ma relation complice et complexe avec elle. Je veux garder d’elle le souvenir d’une femme souriante, malgré les tempêtes. Elle était méga-punk, elle faisait ce qu’elle voulait. Les règles, c’était pour les autres, pas pour elle. Elle avait une capacité à se faire aimer qui était incroyable. La pomme ne tombe jamais loin de l’arbre.» Elodie ajoute: «J’ai vraiment vécu sa disparition comme la «fin d’un monde». Je chante l’impossibilité de dire ce que j’aurais voulu lui dire quand la pudeur l’emporte. Cette chanson est une façon douce de faire la paix avec moi-même. Avec son départ, j’ai compris dans ma chair que les fins sont inévitables, que la tristesse est laide, belle, incontrôlable. Libératrice, mais tellement nécessaire.» 

>> Retrouvez Billie Bird en concert: le vendredi 9 septembre (jour de la sortie de son single «La fin du monde») à 20h à l'église Saint-François à Lausanne. Toutes les dates sur www.billiebird.net

Par Didier Dana publié le 8 septembre 2022 - 08:33