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La dendrochronologie ou l'art de lire dans les cernes des arbres

Au Laboratoire romand de dendrochronologie, à Cudrefin (VD), Natacha Buthey, Christian Orcel, Bertrand Yerly et Jean-Pierre Hurni datent avec précision des bois parfois millénaires. Ce dernier raconte son émerveillement.

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Jean-Pierre Hurni travaillant pour le Laboratoire Romand de dendrochronologie de Cudrefin.

Jean-Pierre Hurni dans le Laboratoire romand de dendrochronologie – du grec «dendron» (l’arbre) et «khronos» (le temps) –, à Cudrefin (VD), avec des bois anciens et la binoculaire où il mesure la distance entre les cernes. Il peut dater à l’année près. «J’aime quand c’est difficile et je n’ai pas de bois préféré: je les aime tous!»

Lucas Vuitel

«La première fois que j’ai eu affaire à la dendrochronologie, je m’en souviens comme si c’était hier. C’était un matin de mars 1985, j’avais 29 ans, j’étais au troisième cycle à l’université après un bref passage comme enseignant au collège secondaire. Je suis arrivé le premier au rendez-vous pour une visite dans ce laboratoire, qui se trouvait alors à Moudon. C’était un jour de brouillard et, moi qui suis fils d’un paysan de Servion, je n’avais jamais envisagé de construire mon avenir dans le «pot de chambre» du canton de Vaud. Je ne m’attendais pas à grand-chose. Je trouvais surtout inimaginable qu’une entreprise puisse vivre de la datation du bois. Les deux heures de visite furent une révélation, j’avais trouvé ma voie. Tout était intéressant: les dimensions de la recherche, de l’histoire, de la géographie, le discours positif et affirmé du fondateur, Christian Orcel, qui tranchait avec un milieu universitaire qui ne me faisait plus rêver du tout.

Près de quarante ans plus tard, j’ai le même plaisir à pratiquer ce métier. Chaque journée est différente, même si j’ai dû voir défiler plus de 50000 bois sous ma binoculaire pour les mesurer, en examinant la distance entre les cernes. J’aime qu’il faille se montrer précis, rigoureux, ne jamais rien lâcher. Tout commence avec l’échantillonnage des bois à dater, que l’on va prélever sur les chantiers, dans toute la Suisse, souvent à la suite d’une étude mandatée par des services du patrimoine ou des archéologues. On ne sait jamais ce qui nous attend. En découvrant la maison, je dois essayer de comprendre le bâtiment, comment il a été construit, comment la poutre est travaillée. Je dois déterminer les bois qui possèdent le dernier cerne de croissance formé sous l’écorce, soit celui qui date l’année d’abattage de l’arbre. Il se trouve généralement dans les endroits les plus inaccessibles, parmi la poussière et les toiles d’araignée... Puis j’effectue un carottage. Ou, si la valeur de la boiserie l’empêche, ou s’il s’agit par exemple d’un violon ou d’un tableau peint sur bois, on travaille sur des photos.

Je dirais que nous sommes le dernier laboratoire à travailler de manière traditionnelle, dans la continuation des pionniers et du premier inventeur, l’astronome américain Andrew Douglas, au début du XXe siècle. Dans les années 1970, on a cru qu’avec l’ordinateur, il n’y aurait plus besoin d’apprendre à comparer, à synchroniser, à juger visuellement. On pensait aussi que, sans la présence de 80 ou 100 cernes, il était impossible de dater. Christian Orcel a vu que non. Notre méthode marche formidablement, même avec moins de cernes. Elle permet de dater à l’année près, alors que le carbone 14 se contente au mieux d’une fourchette de plus ou moins 20 ans. Un exemple? Le village lacustre sur pilotis de Concise.Nous avons pu donner à l’année près la date de 4500 des 5000 pieux examinés, de 4250 à 1580 av. J.-C. Même si la plus facile est le sapin blanc, toutes les essences sont datables en Suisse et je n’en ai pas de préférée. Chaque bois est un défi et sa datation a toujours quelque chose de ludique. Environ 90% des bois peuvent être datés, avec moins de 3 pour mille d’erreur.

Avec mon collègue Bertrand Yerly, notre dernier grand plaisir date d’il y a quelques jours. Des bois issus des remparts de Morat, plus précisément des bois de boulins, en aulne, que les maçons plaçaient dans les murs pour monter les échafaudages. Ils étaient totalement «fusés » et ne présentaient que 10 à 12 cernes en tout. Nous nous sommes dit que cela allait être très compliqué. Or nous avons pu en synchroniser plusieurs. Ils avaient trois ans d’écart et nous avons trouvé les années: 1482, 1485. Nous nous sommes regardés et nous avons été obligés de nous dire en souriant et en toute modestie: «Qu’est-ce qu’on est bons!»

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Par Marc David publié le 4 avril 2023 - 09:35