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Religion

«La foi nous aide à mieux aimer»

Pasteure et protestante pour Carolina Costa, comédienne et catholique pour Maud Laedermann, deux jeunes femmes enjouées partagent leur vision de la foi, du doute, de la prière. Comment les vivre au quotidien? 

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La pasteure Carolina Costa et la comédienne Maud Laedermann dans un recoin du café Istanbul, à Lausanne.

La pasteure Carolina Costa (43 ans, à gauche) et la comédienne Maud Laedermann (35 ans) échangeant avec gaieté et profondeur dans un recoin du café Istanbul, à Lausanne.

Julie de Tribolet

La première arrive au rendez-vous à vélo. Enceinte de cinq mois, Maud Laedermann a mis un peu plus de temps que d’habitude et elle en rit. Comédienne, catholique, elle a joué la veille dans un Brecht, à Vevey. La seconde a célébré un enterrement le matin même. Pasteure réformée dans l’Eglise protestante de Genève auprès des enfants et des familles, Carolina Costa est aussi auteure et youtubeuse à succès, sa série «Ma femme est pasteure» fait un malheur. Toutes deux s’embrassent comme si elles se connaissaient depuis longtemps. Au-delà de leurs confessions différentes, la foi éclaire leur vie d’une lumière parfois éblouissante, parfois plus trouble. Elles parlent, elles s’écoutent.

- Comment vivez-vous votre foi au quotidien ?
- Maud Laedermann (M. L.): Je m’avoue un peu frileuse, je ne veux pas m’ériger en exemple, en quelqu’un qui représenterait une école de pensée. Oui, j’ai la foi en un être supérieur, que j’appelle Dieu. Mais ma foi au quotidien, je la situe surtout dans mes rapports avec les autres. Comment, si je crois en un Dieu qui est amour, je peux le redonner autour de moi, à mes collègues de tous les jours, sans entrer pour autant dans un altruisme fleur bleue.
- Carolina Costa (C. C.): Tous mes jours sont dédiés à Dieu. Je l’ai rencontré intuitivement, comme les enfants, avec le sentiment d’une Présence. J’essaie de vivre ma foi en pleine présence de cette Présence… Je tente de passer mes journées avec confiance, en me disant que tout ce qui s’y passe, même les moments désagréables, est englobé dans un Amour absolu, que je nomme Dieu. La dernière facette ressemble à ce que tu viens de dire, Maud. Comment accueillir l’amour et le transmettre. 

- Comment vivez-vous le doute?
- C. C.: Je ne doute pas de Dieu. Encore moins depuis quinze ans que je suis pasteure, tant je le vois se manifester. Mais cette conviction n’est pas dénuée de sentiments de profonde colère vis-à-vis de ce Dieu, quand je vois chaque jour des horreurs, notamment la violence envers les enfants. Chez moi, cette révolte entraîne de l’action: que puis-je faire pour qu’il y ait plus d’amour? Un exemple: le monsieur que j’ai enterré ce matin. Le temple était rempli. Cet homme a eu une enfance terrible et il laisse un témoignage de vie incroyable. Un tel cas permet de se réconcilier, même pour moi, car j’ai aussi vécu des choses dures. Je sais que c’est dans les épreuves que j’ai le plus reçu dans ma foi, que Dieu est toujours là et lutte avec les plus faibles.
- M. L.: Je ne doute pas de Dieu, mais parfois de ce que j’en comprends. J’ai vécu deux drames récents, qui m’ont fait réfléchir à la manière dont je le conçois. Avant, je m’en étais construit une image arrangeante. En gros, je pensais que si je posais des actes de charité, je recevrais une certaine forme de bénédiction. La vie s'est chargée de m'apprendre que cela ne marche pas ainsi. J’ai compris qu’il est toujours à trouver, comme tout dans la compréhension du monde. Cela a fragilisé mon château de cartes, mais me pousse vers quelque chose de plus vrai. On doit toujours être en chemin, ou on n’avance plus. 

- Comment voyez-vous l’Eglise?
- C. C.: L’Eglise que j’ai rencontrée en tant que jeune ressemblait à une maison. Mon pasteur nous demandait comment allaient l’école, la famille, les amours. C’était l’endroit où on parlait de la vie, et où Dieu était présent. Puis j’ai lu les Evangiles, qui ont suscité chez moi beaucoup de questions. Or l’Eglise n’a jamais été l’endroit où on y répondait, plutôt celui où on cherchait ensemble. C’est cette Eglise que je poursuis à mon tour. Un proverbe que j’aime dit: «N’imitez pas les anciens, mais recherchez ce qu’ils ont recherché.» Cela résume la manière dont l’Eglise doit, je crois, perpétuellement se réformer, pour rester connectée à ses contemporains.
- M. L.: Commençons par les lieux. Je suis très sensible aux églises romanes. La quête de Dieu à travers l’architecture me parle au cœur. Si je pratique une profession artistique, c’est que je recherche cette vérité. Je chante beaucoup; certaines formes de chant liturgique sont pour moi des façons d’entrer dans une transcendance. Les «Vêpres» de Rachmaninov ou la «Messe en si» de Bach, cela raconte ce rapport à plus grand que soi. Cela ouvre l’âme, dépasse l’intellect et la vie émotionnelle. Je suis touchée par la liturgie pascale dans l’Eglise catholique. C’est toujours long, je pars dans un voyage où je descends en moi. 

Rencontre entre Carolina Costa et Maud Laedermann

Mères de famille, Carolina Costa (à gauche) et Maud Laedermann se sont interrogées sur la transmission aux jeunes et à leurs enfants. «Serrer mes fils dans mes bras est une prière», dit cette dernière.

Julie de Tribolet

- Comment parler aux jeunes?
- C. C.: D’abord, les écouter. Après, je leur rappelle: «Tu n’es jamais abandonné, tu n’es pas là par hasard, tu es aimé·e tel·le que tu es.» Les jeunes sont en profonde quête existentielle et spirituelle, surtout en ces temps de crises. J’ai été pasteure pendant sept ans à Plainpalais dans un laboratoire destiné aux nouvelles générations, Le LAB. Le pasteur du lieu nous avait donné une place: «Ce sont les ados de notre Eglise, offrons-leur une chambre à eux où nous n’irons pas!» On l’a aménagée pour que tous se sentent à la maison avec une déco moderne, un accueil et une liturgie inclusive. On y a partagé une démarche universaliste basée sur le message révolutionnaire d’Amour du Christ. Quelqu’un comme le Père Matthieu sur TikTok, avec plus de 1 million d’abonnés, ne fait pas autre chose et cela répond. Mon travail sur les réseaux sociaux montre aussi une claire tendance chez les jeunes d’un désir de rencontrer des Eglises ouvertes, accessibles et qui parlent leur langue.
- M. L.: Tout l’enjeu est de garder sa vérité dans l’ouverture. Pour moi, même si c’est imparfait, l’Eglise met en scène un groupe de gens qui se met en quête. Cette démarche, cette envie collective qui dure depuis très longtemps me touche. J’espère que les choses vont s’accélérer sur certains thèmes, le mariage des prêtres, la place de la femme dans l’Eglise. Il y a tant à faire. Il le faut, car qui n’évolue pas meurt. J’ai une certaine confiance, cela bouge. Il y a urgence. 
- C. C.: Sais-tu que 90% des gens ont une croyance? Je le vois en travaillant avec des enfants de 0 à 12 ans. Ils vivent une relation instinctive avec ce que nous appelons Dieu, auquel ils ne donnent pas de nom. Un jour, j’ai entendu l’un d’eux dire que Dieu était là quand il partageait un moment de jeu avec ses sœurs. Les religions arrivent ensuite avec leur vocabulaire pour dire cette Présence, la discuter et la partager. Jésus était un jeune de 30 ans. Il a lui-même voulu réformer le système religieux de son époque. L’ouvrir, favoriser l’accès à Dieu sans intermédiaire, mais les «conservateurs de musée» l’ont tué! L’histoire est vouée à se répéter, car c’est ce qui, paradoxalement, révèle à la fois l’esprit de liberté et de libération en Jésus-Christ et cette bonne nouvelle: rien ne peut arrêter l’Amour! 

- Priez-vous?
- M. L.: J’ai eu une pratique régulière, matin et soir. Depuis que je suis maman, c’est plus difficile. J’essaie de saisir des instants. Serrer mes fils dans mes bras est une prière, je dis merci pour ce moment. Pareil pendant une balade dans la nature ou devant une belle architecture. Ou a contrario quand une voiture me coupe la route alors que je roule à vélo... Je m’énerve puis je me dis que je fais aussi de sales coups et que j’ai besoin d’être pardonnée. C’est une forme de prière. 
- C. C.: J’aurais pu dire pareil. J’ai aussi des enfants et un travail à plein temps, mais cette relation-là existe en permanence. Je crois que, la prière, comme celle du Notre Père, est une pratique spirituelle pour apprendre à accueillir ce qui est déjà là. A élargir mon regard sur ce que je n’ai pas encore vu. A écouter ce que Dieu désire pour moi. 

- Vous sentez-vous parfois seule?
- C. C.: Je me souviens d’une nuit où je me suis sentie abandonnée. Jésus a aussi vécu cela et c’est aussi pourquoi il est si crédible à mes yeux. Surgit ce paradoxe: dire à Dieu qu’on se sent seul prouve déjà qu’on ne l’est pas, puisqu’on s’adresse à lui!
- M. L.: La foi n’épargne rien en matière de solitude ou de souffrance. Elle n’édulcore pas la vie. Je la traverse de la même façon qu’une athée. Il faut savoir cela, accepter la douleur et voir comment elle m’apprend à mieux aimer, à mieux comprendre les autres, à avoir plus de compassion pour eux. 

La pasteure Carolina Costa mène, parallèlement à ses activités locales, une mission web francophone sur les réseaux sociaux pour toucher les jeunes et moins jeunes. Vidéos, podcasts, lettres hebdomadaires. 
>> Plus d'informations sur: www.carolina-costa.com


>> A l’occasion de Pâques, en collaboration avec l’Eglise évangélique réformée de Suisse (EERS) et la Conférence centrale catholique romaine de Suisse (RKZ), «L'illustré» consacre un dossier thématique intitulé «Les jeunes et les Eglises». Retrouvez sur le même sujet:

Par Marc David publié le 8 avril 2023 - 10:05