Depuis le début de la pandémie, le casse-tête est permanent. Comment vulgariser les thèmes scientifiques pour rendre la matière accessible à tous? En utilisant des mots du quotidien et des allégories. C’est ce que nous avons tenté de faire avec le professeur Nenad Ban, chercheur à l’Institut de biologie moléculaire et de biophysique de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ). Associé à ses collègues des universités de Berne, de Lausanne (Unil) et de Cork, cette pointure dans son domaine a réussi, avec son équipe de six personnes, à inhiber l’agent pathogène du SARS-CoV-2, plus connu bien sûr sous le nom de Covid-19.
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Comment? Grâce à un antibiotique, la mérafloxacine, qui s’attaque à son point faible: le décalage du cadre de lecture de son génome. Quèsaco? On pourrait comparer l’infection à une attaque informatique puisque, à l’instar d’un hacker, le virus prend le contrôle d’une cellule infectée afin de s’y multiplier. «C’est un élément clé de ce mécanisme que nous avons décortiqué et mis au jour. Puis nous avons été plus loin, en essayant d’influer sur la procédure avec des substances chimiques. A force de tentatives, on s’est aperçus que l’antibiotique en question a la faculté de dérégler l’action du virus, ce qui stoppe la duplication de celui-ci dans les cellules infectées ou, du moins, la ralentit de manière considérable. De 1000 à 10 000 fois et ce, sans s’avérer toxique pour les cellules traitées», explique le professeur Ban, à l’origine de cette importante révélation.
«L’information génétique est toujours interprétée en mots de trois lettres», poursuit David Gatfield, professeur à l’Unil, lui aussi engagé dans cette étude – bien que tardivement, précise-t-il. «Mais à un endroit de son génome, le SARS-CoV-2 fait un saut très inhabituel et interprète un mot de deux lettres. C’est de cette façon que le virus se réplique. L’antibiotique empêche ce saut de lettres et le virus est totalement embrouillé, si je puis dire.
Imaginons une phrase, juste pour l’exemple: «Dis-moi qui est ce fou qui lit mon gag ici.» Avec l’impact de l’agent chimique, le ribosome, qui est en quelque sorte l’usine à protéines de la cellule, se trompe et néglige des lettres lorsqu’il lit la séquence de l’ARN messager. Et cela devient «dis moi qui est cef ouq uil itm ong agi ci», détaille le chercheur. Une lecture qui met le virus pratiquement hors d’état de nuire. Et comme tous les types de coronavirus reposent sur ce phénomène, l’espoir d’avoir bientôt un médicament traitant les coronavirus et leurs variants est sérieux, selon le chercheur établi à Lausanne.
Le hic, c’est qu’entre le laboratoire et la pharmacie, le chemin est long et les embûches nombreuses, préviennent les deux scientifiques. «Il n’est pas rare de voir s’écouler cinq à dix ans entre la découverte d’un procédé ou d’une molécule efficace et sa mise sur le marché. Cela étant, le SARS-CoV-2 ne va pas disparaître demain. Il y a surtout un risque de voir ses variants devenir de plus en plus résistants aux vaccins. Dès lors, posséder une arme de réserve pour les combattre n’est de loin pas inutile», estiment-ils en chœur.
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Pour de présumés intérêts financiers, on a pu avoir le sentiment que le vaccin était l’unique solution étudiée pour venir à bout du Covid-19. Nos scientifiques ne partagent pas cette hypothèse. D’autant plus que les médicaments pourraient potentiellement rapporter plus que les vaccins, selon eux.
«Nous travaillions déjà à la fin du premier confinement, en mai 2020, sur des procédés similaires à celui qui nous occupe aujourd’hui. La réalité, c’est que le développement d’un vaccin s’avère beaucoup moins contraignant que celui d’un médicament. Ou le vaccin marche ou il ne marche pas. De plus, la quantité de substance active injectée ou absorbée est si faible qu’elle pose rarement des problèmes de toxicité. C’est une tout autre affaire pour un médicament, dont la mise au point passe par plusieurs stades. Le nôtre relève de la recherche fondamentale. Nous avons démontré que notre procédé atteignait sa cible, mais avec des doses élevées. Il y a maintenant un gros travail d’optimisation à réaliser. C’est l’étape suivante, qui n’est plus de notre ressort, mais de celui d’une start-up ou d’une pharma.»
Approche confirmée par Massimo Nobile, docteur en biologie et CEO de Swiss Biotech Center (SBC), start-up valaisanne installée à Monthey. SBC est justement un centre de compétences ouvert aux chercheurs et développeurs académiques, qui joue ce rôle d’accélérateur de développement de produits innovants.
«Le transfert de compétences entre la recherche académique et industrielle est en fait la phase qui décide de la viabilité scientifique et économique du projet. Il faut compter de douze à dix-huit mois pour identifier et valider la molécule active. Une fois cette étape franchie, commence alors ce qu’on appelle la phase «discovery», qui permet de définir les indicateurs de succès du projet. Si ceux-ci s’avèrent prometteurs et que fabriquer la substance active ne coûte pas 10 000 francs le gramme, les études pré-cliniques peuvent débuter avec, notamment, des tests de toxicité sur deux animaux différents. Au gré des obstacles et des succès, la durée de cette phase est très variable. Entre une année et cinq ans», estime le boss de SBC, récemment propulsé sous les feux de l’actualité pour le développement d’un vaccin de deuxième génération aux côtés du groupe Berna Biotech Pharma.
Si la molécule et le procédé sont porteurs de grands espoirs, il arrive qu’une pharma s’empare du dossier sitôt la phase de recherche fondamentale terminée. «Passé la porte du laboratoire, ce n’est plus mon domaine mais, à ma connaissance, je ne crois pas que nous en soyons là en l’occurrence», confie Nenad Ban. Contactée, la pharma bâloise Roche nous a fait savoir qu’elle ne faisait aucun commentaire sur les contacts ou projets individuels. Reste l’option de recourir à des financements publics, via des agences telles qu’Innosuisse, qui promeut l’innovation, et le Fonds national suisse de la recherche scientifique, par ailleurs très impliqué dans l’étude pilotée par l’EPFZ et qui soutient les recherches sur le rôle de l’ARN dans le contexte des maladies. Un domaine où notre pays pointe parmi les leaders mondiaux.
https://molecool.ch/fr/ est un site trilingue, destiné aux non-scientifiques, traitant de l’ARN et de la recherche en Suisse.