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«Le taux d’inflation ne représente pas la cherté subie»

Selon certains économistes, nous serions entrés dans une phase déflationniste qui rendra bientôt la vie moins chère. De la poudre marketing aux yeux pour inciter les gens à consommer, analyse la spécialiste en économie et essayiste Myret Zaki.

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La spécialiste en économie et essayiste Myret Zaki s'exprime sur l'inflation galopante

L’inflation est plus tenace qu'il n'y paraît. Une inflation même en recul mais positive ne signifie pas que les prix baissent, juste qu’ils augmentent moins vite.

Shuttersock/Julie de Tribolet

2,1%

C’est le taux d’inflation, appelé aussi taux de renchérissement ou encore indice des prix à la consommation (IPC), atteint en Suisse en 2023 selon son dépositaire, l’Office fédéral de la statistique (OFS). Un tour de force comparé aux Etats-Unis (4,5%) et à l’Union européenne (3,1%). Réjouissons-nous! D’autant que, selon UBS, ce fameux taux fixant l’augmentation du coût de la vie ne dépassera pas 1,6 % cette année. Alléluia! Ce discours triomphaliste ascendant optimiste est déclamé sur tous les modes et à tous les temps par des économistes en costume trois pièces sur les plateaux TV depuis la mi-décembre. A les entendre, l’inflation ne sera bientôt plus qu’un mauvais souvenir, une parenthèse qui a grevé nos budgets et grignoté nos économies l’espace d’une petite année. Un petit tour et puis s’en va. Vraiment? Pas si sûr.

Pas un jour sans une augmentation

Comme disait le Prix Nobel d’économie 1976 Milton Friedman, l’inflation, c’est un peu comme la température. Entre les degrés annoncés et le ressenti, il y a souvent un écart important. Et ne sommes-nous pas exactement dans cette situation? Il ne se passe pas un jour sans qu’une annonce d’augmentation tombe. La semaine dernière, c’était le tour des ventes immobilières, dont les prix ont atteint de nouveaux sommets en 2023. 

Le problème, c’est qu’à l’instar de nos très chères primes maladie, qui ont augmenté de 200% ces vingt-cinq dernières années, les ventes immobilières sont considérées comme de l’investissement et non comme de la consommation. Elles ne figurent donc pas dans le panier type servant au calcul de l’inflation. Ou si peu. «Il y a un équivalent loyer censé refléter les prix de l’immobilier, mais il ne reflète pas la flambée du marché de la propriété», estime Myret Zaki, journaliste spécialisée en économie, en mettant le doigt sur une autre approximation. «La pondération de 20% attribuée aux loyers* ne donne pas l’image de la réalité des ménages à bas revenu, dont le loyer représente souvent plus de 20% du revenu.»

Une méthode de calcul discutable

La pondération de l’essence laisse elle aussi songeur: 0,3%. Les pendulaires contraints de se déplacer en voiture apprécieront. «Par ailleurs, les indices ne répercutent pas toutes les hausses de prix, poursuit Myret Zaki. Lorsqu’il y a renchérissement d’une denrée, un hamburger par exemple, les statisticiens supposent que le consommateur se reportera sur un hamburger de moindre qualité, donc pas plus cher que celui qu’il consommait auparavant. Cette méthode de calcul, dite de substitution, représente un parti pris qui devrait faire l’objet d’un débat citoyen.» 

L’autre méthode, dite hédoniste, élimine aussi une partie des hausses de prix en estimant qu’un gain de qualité induit une baisse de l’inflation. Exemple: votre ancien ordinateur n’est plus disponible dans le commerce et le nouveau modèle, avec forcément plus de mémoire et de fonctionnalités, est plus cher. Ce coût supplémentaire ne sera pas pris en compte dans le calcul de l’inflation en raison du gain de qualité que vous en tirez, même si vous n’utilisez jamais ces nouvelles fonctionnalités. 

Santé: franchises et subsides...

«On pourrait multiplier les exemples, enchaîne notre interlocutrice en citant les franchises des assurances maladie. Parce qu’elles n’arrivent plus à payer les primes, de plus en plus de personnes optent pour la franchise maximale, à 2500 francs. Un coût supplémentaire qui n’est pas non plus pris en compte.» Au registre santé, un autre indicateur est plus parlant que l’IPC: un tiers des assurés du pays, voire plus dans certains cantons, touchent des subsides. En dix ans, Vaud est passé de 188 000 bénéficiaires à près de 300 000. «Ce qui fait de la Confédération le premier client des caisses d’assurance maladie», remarque l’ancienne rédactrice en chef du magazine économique «Bilan».

L’IPC est calculé par l’OFS, qui relève chaque mois les prix de pas moins de 100 000 produits. «La quantité est une chose. Mais en excluant ce qui augmente le plus, au final, le taux d’inflation n’est plus représentatif de la cherté subie», estime Myret Zaki. Et puis, tout ce travail mensuel est-il bien utile puisqu’une large partie de la population concentre ses achats sur l’essentiel, à savoir l’alimentaire, le logement, la santé, les vêtements, les transports, la communication et les loisirs? 

Comparis, les autres chiffres

Le comparateur en ligne Comparis.ch l’a bien compris qui, en collaboration avec le Centre de recherches conjoncturelles KOF de l’EPFZ, mesure l’inflation telle qu’elle est ressentie en prenant uniquement en compte l’évolution des prix des biens de consommation courants. Mais pas que. Le duo tient également compte de facteurs tels que le type de ménage, la catégorie de revenu et la région linguistique. Résultat, mois après mois, année après année, l’indice Comparis diffère sensiblement de l’IPC officiel (voir les détails sur presseportal.ch/fr). «Pour être au plus près de l’expérience vécue, cela aurait du sens de calculer trois taux d’inflation différents. Un pour les bas revenus, un pour la classe moyenne supérieure et un pour les hauts revenus et grandes fortunes, suggère Myret Zaki, en étayant sa proposition. Si le plein de votre véhicule passe en quelques mois de 85 à 120 francs, cela n’aura pas du tout le même impact pour un millionnaire que pour un retraité AVS. Ainsi, le taux d’inflation varie énormément selon que vous êtes riche ou misérable. Négligeable pour les uns et dramatique pour beaucoup d’autres.» Ce qui n’empêche pas certains économistes de propager la bonne parole de la fin présumée de la période inflationniste. «C’est la tendance en économie. Insuffler la confiance en tenant un discours exagérément optimiste pour baisser les attentes inflationnistes et inciter les gens à consommer. En espérant que la prophétie sera auto-réalisatrice», conclut Myret Zaki. Cela peut marcher jusqu’à ce que le quidam s’aperçoive que l’inflation est plus tenace que les discours. Car, finalement, une inflation même en recul mais positive ne signifie pas que les prix baissent, juste qu’ils augmentent moins vite…

* Chaque produit ou groupe de produits est pondéré dans l’indice global, proportionnellement à son poids dans les dépenses des consommateurs. Par exemple, l’immobilier compte pour 20% de l’indice en Suisse.


Chômage: «On sous-estime aussi les chiffres»
 

«Avec un taux de chômage de 2%, on peut parler de plein emploi en Suisse.» Sur l’antenne de la RTS, le chef de la division travail du Secrétariat à l’économie (Seco) ne boudait pas son plaisir en commentant ce score historique en novembre dernier. «Sauf qu’il ne reflète de loin pas la réalité du marché du travail, estime Myret Zaki, en opposant la statistique du Bureau international du travail (BIT). Au sens de ce dernier, le taux est actuellement de 4,2%.» 

Comment expliquer cette différence abyssale? «Le Seco ne prend en compte que les personnes enregistrées dans un office régional de placement (ORP). Cette définition est très restrictive», selon la journaliste. Et pour cause: elle exclut les personnes en fin de droits, celles en situation de sous-emploi aigu ou qui cumulent les petits boulots pour éviter le chômage. «Si vous travaillez seulement une heure par semaine, vous ne figurez pas dans la statistique du chômage», détaille la spécialiste de l’économie, en précisant que «le BIT inclut dans son calcul tous les demandeurs d’emploi, y compris les non-inscrits dans un ORP. S’il y ajoutait les sous-emplois aigus, le taux de chômage serait supérieur à 4,2%.» 

Dans la pratique, de beaux chiffres du chômage permettent d’exclure diverses catégories de désœuvrés et peuvent masquer des jobs de faible qualité, des travailleurs précaires ainsi que des personnes fragilisées face à l’emploi. «C’est tout cela qu’on regroupe dans le terme de «halo autour du chômage» et qui est mal reflété», commente la Genevoise, avant de conclure: «Selon mes informations, le BIT réfléchit à mieux répertorier les diverses formes de chômage déguisé qui gagnent du terrain dans nos pays développés.»

Par Christian Rappaz publié le 31 janvier 2024 - 08:42