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Lotus, un breaker romand sur orbite

Bien dans sa tête et dans son corps, Mateo Prinz (17 ans) incarne le renouveau du breakdance en Suisse. Il vit à Prêles, dans le Jura bernois. Vainqueur des éliminatoires nationales fin mai à Zurich, il participe cette semaine à Paris au prestigieux tournoi international Red Bull BC One, n’osant rêver de finale.

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Mateo Prinz, alias Lotus, champion de breakdance

Il a le visage juvénile, a fêté ses 17 ans le 14 septembre et affiche déjà onze ans de pratique du breaking. Mateo Prinz, alias Lotus, s’exerce tous les jours dans une pièce qu’il a en partie aménagée, chez lui, à Prêles (BE), sur les hauteurs de Bienne.

Blaise Kormann

Historiquement, on le nomme breakdance, une émanation de la culture hip-hop qui a eu 50 ans cette année. En 2024, à Paris, le breaking, appellation officielle, sera même discipline olympique, mais non reconduite aux JO de Los Angeles en 2028, viennent d’annoncer les Américains à la surprise générale. Précisons qu’aucun breaker suisse ne sera en lice aux Jeux de Paris. Plateau restreint. Les étoiles du genre brilleront cependant cette semaine dans le ciel de Roland-Garros à l’occasion du Red Bull BC One 2023, les championnats du monde officieux de la discipline. Jeune fer de lance suisse, Mateo Prinz, dit Lotus, 17 ans depuis la mi-septembre, fera le voyage depuis Prêles, dans le Jura bernois, où il réside. 

De sa terrasse, la vue sur le lac de Bienne et, au-delà, l’Eiger est à tomber. Aîné de deux frères, Mateo a remporté en mai la finale suisse du Red Bull BC One, à Zurich. Inscrit au gymnase à Bienne, en section maths, physique et chimie, excellent élève, il vit au rythme du break, comme il dit, épanoui au sein d’une famille privilégiée avec un papa pédopsychiatre et une maman psychomotricienne. 

Le 20 mai dernier, dans la Halle 622, à Zurich, le Romand Lotus l’emportait lors du Red Bull BC One Cypher Switzerland 2023

Le 20 mai dernier, dans la Halle 622, à Zurich, le Romand Lotus l’emportait lors du Red Bull BC One Cypher Switzerland 2023.

Jean-Christophe Dupasquier/Red Bull Content Pool
Le 20 mai dernier, dans la Halle 622, à Zurich, le Romand Lotus l’emportait lors du Red Bull BC One Cypher Switzerland 2023

On le voit ici célébré par ses potes après sa victoire en finale.

Jean-Christophe Dupasquier/Red Bull Content Pool

Wolfgang, le père, est Autrichien. Son épouse, Virginie, Nina pour les intimes, Jurassienne. Parfaitement bilingue et rodé à l’anglais, la langue du breaking, Lotus a une pièce dédiée à l’entraînement chez lui. Il fréquente la Groove Academy à Neuchâtel, sous la houlette de Paulo et Artur, et se rend chaque mois à Paris auprès de Paolo – trois profs qui, en alternance, l’ont inspiré et fait grandir.

Du beau travail. Un coup d’œil aux innombrables trophées exposés dans sa chambre l’atteste. Mateo Prinz a du talent et déjà onze ans d’expérience derrière lui! «J’avais 6 ans quand ma maman, qui donnait des cours de danse africaine à Cressier (NE), m’a emmené pour voir si le breakdance pourrait m’intéresser.» Fructueuse tentative. «J’ai direct croché.»

Les trophées de Mateo Prinz alias Lotus

Une partie des trophées remportés par Lotus au cours de sa déjà longue carrière de breaker, amorcée à l’âge de 6 ans.

Blaise Kormann

L’espace et la création
 

Mateo Prinz parle clair et s’exprime bien. Il jure être un ado comme les autres. Le smartphone? «J’essaie de gérer intelligemment, mais j’avoue que scroller bêtement pendant une demi-heure, ça fait du bien, même si c’est horrible à dire.»

L’espace et l’univers le fascinent. Il s’intéresse de près au commerce en ligne et adore la mode. Attention, pas celle des catalogues! Mateo Prinz sait coudre à la machine. Il se fabrique des habits lui-même, des pantalons par exemple. Un artiste.

Si le breakdance est né dans les bas quartiers de New York dans la première moitié des années 1980, il a quitté la rue depuis longtemps. Mateo Prinz reflète cette évolution. Aujourd’hui, le statut social ne définit plus (ni ne légitime) les acteurs du hip-hop. On peut être fils de toubibs et breaker.

Rappelons que le hip-hop est aujourd’hui le genre musical le plus écouté dans le monde. «Le break ne cesse d’évoluer. Il mute, confie Lotus. C’est aujourd’hui un mix de toutes les approches et techniques originelles, avec des mouvements inimaginables.» En 1982, un danseur qui proposait une vrille tête au sol et pieds en l’air était un dieu. «Aujourd’hui, aucun connaisseur ne va applaudir si tu tournes sur la tête.» «Tempus fugit».

Les prestations sont devenues renversantes, d’où ce débat: le breaking est-il un sport ou un art? «Objectivement, c’est un mélange des deux, répond Lotus. C’est très physique, à cause des figures acrobatiques surtout, mais pour moi, le break, c’est du freestyle, une chorégraphie, donc un art.» 

Lotus salue l’entrée, même provisoire, du breaking aux JO de Paris 2024. «En termes de visibilité surtout, c’est formidable. A l’heure actuelle, seule une poignée de breakers influenceurs, avec un max de followers sur les réseaux, peuvent en vivre. Pour les autres, c’est vraiment une vie d’artiste, précaire.»

Mateo Prinz, alias Lotus, lors de la Groove Session 2018

Gamin et déjà au top, avec une légende du breaking, l’Américain Stripes, lors de la Groove Session 2018 à Neuchâtel. Chacun sa bague de vainqueur!

collection privée Mateo Prinz/DR

Un milieu très soudé
 

Lucide, le garçon. A défaut de bien payer, le breaking cultive l’esprit de clan. «Les connexions sont réelles. On m’invite un peu partout et, où que j’aille, je peux aller m’entraîner. Ça, c’est beau.»

Une battle, autrement dit un duel, consiste en deux passages (trois pour les finalistes) de chaque breaker d’une durée d’environ quarante-cinq secondes. «Sur les grands événements, je suis souvent un peu au-delà. Cela me permet de montrer ce que je sais faire.» Il faut récupérer vite. «Physiquement, c’est éprouvant, souligne Lotus, et le truc, c’est de toujours garder en réserve de quoi surprendre.» 

Ce jeudi 19 octobre, les vainqueurs de chaque pays se sont confrontés par poules lors du Red Bull BC One Last Chance Cypher. Ils ne seront que quatre à accéder au saint des saints: la grande finale de samedi, qu’une douzaine de participants sont déjà assurés de disputer grâce à une «wild card». Parmi ces intouchables: le Japonais Issin. «Il n’a que 18 ans, relève Lotus. Imaginer avoir son niveau technique dans un an, franchement, c’est chaud.» Bien que le concours soit hyper-prestigieux, le Red Bull BC One n’entre pas dans les qualifications olympiques.

Mateo Prinz est cette semaine le plus jeune des concurrents en lice. A-t-il une chance d’intégrer le top 16? Prudence. En même temps, lors de la finale suisse de mai dernier, il n’imaginait pas s’imposer face à Moa, breaker plus âgé, spectaculaire et déjà deux fois consacré… «J’ai gagné, c’est vrai, mais c’est une question de moment, analyse-t-il humblement. J’estime toujours que Moa m’est supérieur, mais à l’instant T, les juges ont tranché en ma faveur.»

Une nouvelle génération de breakers a éclos. «C’était ma première participation et c’est pareil à Paris, sauf que, cette fois, avec la b-girl Becca, on représente la Suisse.»

La subjectivité des juges
 

Sa victoire à Zurich, le b-boy de Prêles a dû la digérer. «Quand on a annoncé mon nom, j’ai eu du mal à réaliser, avoue-t-il, et même ensuite, j’ai été victime du syndrome de l’imposteur, me demandant si je l’avais vraiment mérité. Ça fait trop bizarre d’être projeté d’un coup tout en haut.»

Le jury, on l’a dit, joue un rôle prépondérant. La part de subjectivité est importante. Comment départager deux breakers aux styles radicalement opposés? Tel un danseur classique, chaque concurrent doit exprimer de la personnalité. «Honnêtement, je n’aimerais pas être juré», avoue Mateo Prinz. 

Pour lui, «la finesse est plus importante que l’acrobatie, parce qu’il s’agit de danse». «La technique, ça se travaille, même si certaines figures exigent un temps fou. Ton style, en revanche, t’appartient. C’est plus délicat à développer.» La figure du lotus – jambes croisées comme au yoga – est sa signature. Il s’efforce de la décliner de plusieurs façons, pour surprendre. «C’est ma marque de fabrique, ma singularité.»

Lotus est habité par son art. Il se réjouit de voir «l’écart séparant encore les filles des garçons se réduire à vue d’œil». «Ce que propose la b-girl française Syssy, par exemple, à 16 ans, est juste exceptionnel.»

Pour sa semaine parisienne, Lotus a optimisé sa préparation, s’exerçant tous les jours pendant des heures. «Le break, c’est se creuser la tête, affirme-t-il. Pour Paris, j’ai commencé par inventer de nouveaux trucs que j’ai insérés à mon set. Si le jeudi 19 octobre est mon jour, je ne devrais pas me rater, mais ça reste forcément aléatoire.» Epatant, ce garçon.

Par Blaise Calame publié le 1 novembre 2023 - 08:38