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Marc Roger: «Ma vie a enfin du sens, je suis très heureux»

Condamné en mai dernier à 9 mois de prison pour complicité d’extorsion, décision contre laquelle il a fait appel, Marc Roger, ancien président du Servette FC, assure avoir trouvé son bonheur au sein de la communauté Emmaüs, où il est domicilié et codirige le magasin d’Alès. Rencontre avec un homme doté d’une résilience à toute épreuve.

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Marc Roger

Entré comme compagnon en janvier 2021 dans la communauté fondée par l’abbé Pierre, Marc Roger a récemment été promu au poste de coresponsable de la gestion des magasins d’Alès, d’Arles et de Nîmes.

Blaise Kormann
Christian Rappaz, journaliste
Christian Rappaz

Dans le registre «que sont devenues ces personnalités ayant naguère fait la une des médias ou défrayé la chronique pour de bonnes ou de mauvaises raisons, avant de redevenir des citoyen(ne)s ordinaires et de se draper dans l’anonymat», Marc Roger occupe assurément une place à part. Il ne fait même guère de doute que, si l’on poussait l’exercice jusqu’à élire la personne dont le parcours est le plus sinueux et atypique de la série, le ressortissant du Gard remporterait la palme. Et pour cause, après avoir appartenu au gotha des agents de joueurs de football les plus influents d’Europe, jonglé avec les millions, les stars et les clubs les plus prestigieux, sillonné le monde en jet privé et fréquenté les hôtels et les restaurants les plus sélects de la planète – assure-t-il en les énumérant –, le voilà aujourd’hui, à 59 ans, résidant à la communauté Emmaüs. Une organisation caritative fondée par l’abbé Pierre qu’il a rejointe, ruiné et sans ressources, en janvier 2021. D’abord en tant que compagnon, payé 83 euros par semaine, nourri, logé et blanchi, avant d’être promu coresponsable des magasins d’Alès, de Nîmes et d’Arles il y a quelques semaines.

Autant dire qu’en allant à la rencontre de celui qui, depuis 2005, a passé le plus clair de son temps à se défendre contre les décisions de justice et à alterner les séjours derrière les barreaux (29 mois en tout), on s’attendait à trouver un homme au mieux aigri ascendant révolté, au pire totalement cabossé, voire en complète rupture avec la société. Eh bien pas du tout. Au contraire, si ces années de galère ont certes marqué son visage et changé sa physionomie, l’ancien dandy du ballon rond affirme avoir retrouvé la sérénité et même une certaine forme d’épanouissement dans sa nouvelle activité.

«J’ai tout perdu. Ma fortune, mon couple, une grande partie de mes amis et, le plus dommageable, ma réputation. Je pourrais m’en vouloir et, plus encore, en vouloir à ceux qui m’ont mis dans cette situation. Mais à quoi bon ressasser le passé? Aujourd’hui, j’ai trouvé mon bonheur et mon équilibre en me mettant au service de la communauté et des autres. Ma vie a enfin du sens et je suis très heureux. Bien plus heureux sans doute que la plupart de ceux qui se sont acharnés à me faire passer pour le seul et unique fossoyeur du Servette. Au bout du compte, je leur en sais gré. Les épreuves qu’ils m’ont infligées ont contribué à forger mon destin et m’ont conduit dans mon nouveau paradis. Sans eux, je serais resté un acteur du foot parmi d’autres, au quotidien médiocre», confesse celui qui rêvait de faire du club grenat l’un des plus puissants d’Europe. Une utopie qui le conduira tout droit en prison le 16 mars 2005 et précipitera la faillite du locataire du Stade de Genève. Avec pertes et fracas (12 millions de découvert).

Marc Roger

En une de «L’illustré»: Marc Roger, encore président du Servette FC, le 13 octobre 2004. Accusé de ne pas tenir ses engagements financiers par la société d’exploitation du Stade de Genève, il menaçait de… délocaliser le club grenat!

DR

Dix-sept ans plus tard, le Français n’en a pas fini avec les ennuis et vit de nouveau sous la menace d’un retour à l’ombre, en raison d’une rocambolesque affaire de cambriolage et de tentative d’extorsion dont il aurait été l’instigateur. C’est en tout cas l’avis du Tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse, qui l’a condamné à 9 mois de réclusion en mai dernier.

Pour faire court, il aurait incité un complice à faire pression et à gravement menacer son ex-associé valesco-genevois, JBB, afin de récupérer une dette estimée à 650 000 euros. Un verdict contre lequel il a fait appel; l’issue ne sera sans doute pas connue avant le printemps prochain. «Ce monsieur n’honore pas ses créances et c’est moi qui irais en prison?» s’insurge l’ancien agent de Thierry Henry, de Patrick Vieira ou de Nicolas Anelka, en réfutant les accusations de la justice burgienne. «Je ne l’ai menacé que d’une seule chose: d’installer dans un rond-point très fréquenté près de son domicile des pancartes sur lesquelles figurent ses numéros de comptes bancaires à l’étranger», avoue Marc Roger, déjà incarcéré durant quatre mois et demi en 2016 pour cette affaire. «Les pires mois de ma vie, alors que j’avais obtenu la garde de nos deux enfants après mon divorce d’avec Nathalie, en 2013.»

Marc Roger

Sur le pas de la porte de sa chambre, à l’étage du magasin que possède la communauté, à Alès. «Maintenant que je suis salarié, je m’installerai en ville avec ma compagne italienne dès que nous aurons trouvé un logement.»

Blaise Kormann

Le foot, dont il a pourtant richement vécu entre 1989 et 2005, le papa d’Andy (21 ans) et de Madeline (23 ans) dit s’en être éloigné au point de ne même plus s’asseoir devant un poste TV à l’occasion des grands rendez-vous. «En un an et demi, je n’ai vu qu’un seul match: Real-PSG, en Ligue des champions. Je n’ai pas pu y échapper, il était au menu d’une soirée organisée par des copains.» Un désintérêt qui ne l’empêche pas d’être au courant des dernières infos et rumeurs du milieu, surtout en cette période de mercato et de reprise des championnats.

«Personne ne l’a encore écrit, mais je sais que Zidane succédera à Didier Deschamps après les Championnats du monde, en décembre. Quel que soit le résultat des Bleus, Didier a donné sa parole de lui laisser sa place. Raison pour laquelle Zizou n’a pas signé au PSG», affirme avec aplomb notre homme, avec son accent chantant du Sud. Avant de conter, avec la gouaille et la truculence qu’on lui connaît, quelques anecdotes du temps passé. Comme ce jour de juillet 1994 où il errait dans les rues surchauffées de Paris à la recherche du Parc des Princes avec, dans sa vieille BMW dépourvue de climatisation, Zinédine Zidane, justement, et Christophe Dugarry, qu’il voulait présenter à l’homme fort du moment au PSG, Luis Fernandez. «Sauf que Luis en avait parlé partout excepté au président d’alors, Michel Denisot, qui, vexé de ne pas avoir été convié au rendez-vous, a piqué la mouche et fait capoter le projet», se marre celui qui refuse toujours catégoriquement d’endosser l’entière responsabilité des déboires passés du club parmi les plus titrés du pays, tout en reconnaissant certaines erreurs d’appréciation. Autre histoire.

Marc Roger

Le chef pose au milieu de sa nouvelle équipe. De g. à dr.: Momo, Sébastien, Djoni et Joëlle, responsable des bénévoles. «Marc est le responsable le plus adorable qui soit», nous glissent ses collaborateurs, enthousiastes.

Blaise Kormann

Totalement immergé dans son nouvel univers, Marc Roger dit ne plus nourrir le moindre ressentiment vis-à-vis de ses détracteurs. «La vie du foot n’est plus la mienne. J’ai été actif dans ce milieu pendant plus de vingt ans et je n’ai connu que deux personnes réellement honnêtes: Dominique Rocheteau (le légendaire «ange vert» de l’AS Saint-Etienne, ndlr) et Michel Platini, dont je salue l’acquittement par la justice suisse.» «Punkt Schluss!»

Marc Roger

A la manœuvre au magasin d’Alès, sous l’œil de l’abbé Pierre. L’ancien enfant terrible du football suisse gère aujourd’hui les trois enseignes de la région et leur quarantaine de bénévoles et de compagnons.

Blaise Kormann

S’il conserve une ou deux amitiés de sa vie passée, comme avec Jean-François Larios, l’ex-élégant milieu de terrain des Bleus, ou encore son demi-récupérateur Claude Makélélé, l’ancien agent de joueurs veut tourner la page. «L’abbé Pierre résonne en moi comme un nom magique. J’entends mettre toutes mes forces dans la mission qu’il nous a assignée afin d’adoucir autant que possible la misère et la souffrance des plus démunis», confie Marc Roger, qui ne se range pas dans cette catégorie. «Mon nouveau statut de coresponsable et donc de salarié ne m’autorise plus à être logé par l’institution. Dans quelques semaines, je m’installerai en ville», se réjouit cet auteur d’un feuilleton juridico-financier qui avait naguère tenu tous les fans de foot du pays en haleine. Nouveau toit, nouvelle vie, nouvelle compagne, nouveau code de conduite et fin des ennuis? Pas sûr… 

Par Christian Rappaz publié le 21 juillet 2022 - 08:18, modifié 22 juillet 2022 - 13:46