Première publication le 12 février 2023
«Il est aussi régulier que Marcel Hirscher, aussi audacieux que Bode Miller, aussi cool que Kjetil André Aamodt et aussi déterminé que Pirmin Zurbriggen. Et lorsqu’il enfile son t-shirt dans la zone d’arrivée, son torse me fait penser au héros du catch américain Hulk Hogan!» Ce compliment mâtiné d’admiration confié à nos confrères du «Blick» n’émane ni d’un compatriote nidwaldien, ni d’une groupie ou d’un autre Confédéré mais d’un… Autrichien: Rainer Schoenfelder, qui trustait les podiums au début des années 2000 dans les disciplines techniques. Et cette volée de louanges, l’ancien double médaillé de bronze des JO de Turin l’a balancée bien avant les deux Super-G de Cortina d’Ampezzo que Marco Odermatt a survolés en janvier dernier.
Autant dire que celui que ses milliers de fans surnomment Odi a confirmé de la plus éclatante des manières qu’il sera bien la grande attraction des Mondiaux français dès le lundi 6 février. Une date que, soit dit en passant, le phénomène de Buochs, 26 ans le 8 octobre prochain, n’oubliera jamais. C’est en effet ce jour-là, en 2018, qu’il a décroché sa cinquième médaille d’or aux Championnats du monde juniors de Davos (descente, super-G, géant, combiné et compétition par équipes). Un exploit unique dans les annales du ski et peut-être même du sport qu’il ne pourra pas réitérer sur les pentes de la Tarentaise, puisqu’il a pris ses distances avec le slalom. «Mais il paraît imbattable en super-G et en géant, un poil moins en descente, discipline où sa technique n’est pas encore tout à fait aboutie», analyse Joël Robert, journaliste à la RTS, qui a vu arriver le «phénomène» en 2017.
«Que son passeport soit rouge à croix blanche ou ait été d’une autre couleur, c’est bien le qualificatif qui lui convient», poursuit le rédacteur en chef adjoint du service des sports, qui souscrit sans retenue à la comparaison avec Roger Federer, bien que le ski ne soit pas aussi universel que le tennis. «Il a tout pour succéder à Rodgeur dans le cœur des Suisses. En plus de son étourdissant talent, il est jeune, parle les langues du pays, se marre tout le temps et possède un incroyable charisme. S’il est épargné par les blessures, il peut fort bien détrôner Marcel Hirscher et ses huit grands globes de cristal dans les dix ans qui viennent.» Contrairement à Marcel «Cool, cooler, Hirscher» (son surnom dans les médias autrichiens pour sa capacité à supporter la pression), dominateur dans toutes ses catégories d’âge, Odi n’a jamais été considéré comme un prodige avant d’exploser à Davos, à l’âge de 20 ans.
«Il n’a jamais perdu le plaisir de courir»
Son papa, Walter (55 ans), lui-même ancien coureur puis responsable du ski-club d’Hergiswil pour le compte duquel court le vainqueur du classement général de la Coupe du monde 2021-2022, s’épanche volontiers sur les débuts en compétition hésitants de son champion de fiston. «En 2012, lors de sa première course à l’étranger, le Trofeo Topolino, en Italie, la plus grande épreuve pour jeunes du monde, il n’a pas eu la moindre chance face aux coureurs de son âge. Il a par exemple rendu huit secondes au Bulgare Albert Popov entre les deux manches du géant», se souvient-il. La même année, alors qu’il rêvait de briller sur ses terres à l’occasion du championnat suisse OJ, ses résultats sont décevants.
Pire encore l’année suivante, lors de son premier super-G à Arosa, où il se fait étriller par un certain Loïc Meillard, de onze mois son aîné. Le Valaisan émarge déjà au top 10 alors que lui ne termine que 86e et 92e des deux épreuves FIS au programme. «Malgré ces résultats, Marco n’a jamais perdu le plaisir de courir, ni sa joie de skier. Il a toujours considéré son sport comme un jeu. Quel que soit le résultat, je ne l’ai jamais vu rentrer d’une compétition de mauvaise humeur», confie Walter Odermatt.
Simplicité, humilité, loyauté sont les mots qui reviennent le plus souvent lorsqu’on quête les avis de ceux qui côtoient le «phénomène» au quotidien. C’est le cas de John Nicolet qui a «la chance de commenter ce nouvel âge d’or du ski suisse» pour la télévision romande. «Marco est devenu un leader non seulement par ses résultats, mais également par sa personnalité.
Contrairement à d’autres skieurs de son rang, il n’a jamais émis le désir de travailler avec une structure privée. Au contraire, il se nourrit de l’équipe et le lui rend bien. On l’a encore vu à Cortina. Assis sur son fauteuil de leader, il n’a cessé de vibrer pour ses coéquipiers et a été le premier à consoler Justin Murisier, qui a échoué à 18 centièmes du podium», souligne le Fribourgeois, qui y va lui aussi de sa comparaison avec Federer. «Il est aussi relax que lui, semble né avec le sourire et, on ne va pas se le cacher, a une gueule. De plus, il évolue dans un environnement sain et humble et gère parfaitement la pression générée par son statut de star.»
Un sportif loyal et modeste
Qui mieux que Priska, sa maman (54 ans), pour adhérer à cette vision? «Marco est quelqu’un d’équilibré et de difficile à déstabiliser», détaille-t-elle. «Il est réfléchi et pondéré, mais parfois aussi impatient», renchérit son mari. C’est finalement un ancien entraîneur régional qui dira tout haut ce que tout le monde pense tout bas. «Il a le gène de la victoire en lui», assène-t-il, en rappelant qu’une sérieuse blessure au genou gauche l’a tenu éloigné des pistes durant plusieurs mois en 2017. «Profitons du moment présent et ne tirons pas de plans sur la comète. Dans les disciplines de vitesse, une grave blessure est si vite arrivée», corrobore John Nicolet.
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Loyauté. Le mot résonne dans tous les bâtiments du fabricant lucernois de ski Stöckli, auquel Odi est fidèle depuis l’âge de 12 ans. «Alors qu’il était courtisé par toutes les grandes marques, il est reparti pour un bail de quatre ans avec l’entreprise artisanale de Malters. Traditionnellement, ce genre de contrat se limite à deux ans dans le milieu», relève Joël Robert, qui estime à 2 ou 3 millions annuels le prix de ce mariage d’amour.
«Stöckli casse sa tirelire mais, en même temps, ne peut pas rêver d’un meilleur ambassadeur. Quant à Odermatt, il bénéficie d’un service personnalisé qu’il aurait de la peine à revendiquer au sein d’une grande marque», estime l’autre Fribourgeois de la RTS, pour qui le leader actuel du classement général de la Coupe du monde représente l’archétype du Suisse que les gens adorent. Polyglotte, avenant, simple, ascendant hyper-modeste. Comme lorsqu’il écrit dans sa présentation «on me prête beaucoup de qualités alors que j’ai aussi des carences. Je ne sais ni chanter, ni dessiner», avoue cet ex-brillant élève de l’école sport-études d’Engelberg, qui dessine pourtant course après course des courbes hallucinantes et victorieuses sur les pentes enneigées.
Stella, l’amour de toujours
On le dit presque gêné par les fleurs qu’il reçoit. C’est en tout cas ce qu’on en déduit de son texte posté sur son site internet. «Je suis très heureux et touché que vous vous intéressiez à moi. Merci beaucoup», amorce-t-il, avant de préciser: «Il existe un moyen simple de mieux me connaître: prenez une journée de congé, venez jusqu’à Buochs et trouvez une prairie luxuriante ou un autre endroit agréable pour profiter de l’air vivifiant de cette merveilleuse région. C’est ainsi qu’ont fait mes ancêtres il y a plus de six cents ans. Ils se sont installés à Nidwald. Il y a maintenant près de 6000 Odermatt en Suisse, dont presque tous viennent de Suisse centrale. Et ils aiment tous leur patrie. Comme moi. C’est pourquoi j’aime chanter l’hymne national, même faux, et toujours vivre à la maison à Buochs avec mes parents et ma sœur Alina (22 ans). Mon cœur appartient au ski», assure-t-il.
Mais aussi à Stella Parpan, une infirmière de 23 ans qu’il a connue à… l’école maternelle, apparue publiquement pour la première fois lors des récents Swiss Awards qui ont consacré son amoureux sportif suisse de l’année. Treize ans après Didier Cuche, son modèle. «Quand il perdait ou qu’il se blessait, je pleurais. Je l’ai connu à l’âge de 9 ans, lors d’une journée de ski. Il m’a donné de précieux conseils. Didier n’était pas qu’un skieur épatant. C’était aussi un type modeste et très cool», appuie Marco, qui rêvait de compétition depuis sa tendre enfance. «J’aime ça. Les voyages et la vie avec les copains du team.» Et quand Marco aime, il ne compte pas: 44 podiums en Coupe du monde à ce jour, dont 14 pour la seule saison actuelle avec huit victoires à la clé. Affaire en cours…