En 1996, à l’âge de 19 ans, Martino Toscanelli crée Cartable, des cours de soutien scolaire et de stratégie d’apprentissage. Les demandes affluent et il doit refuser du monde. Alors, en 2007, il lance un site internet. Seize ans plus tard, biceps.ch est devenu une petite entreprise qui publie à flux tendu du matériel d’appui pour le français, les maths, l’anglais, la science et la géographie. Des cours et des exercices adaptés et actualisés pour être compatibles avec le programme scolaire romand. Le dernier module en date s’appelle Silabo, un outil d’apprentissage de la lecture et de l’écriture pour les plus petits qu’il a conçu avec sa maman, Agnès Toscanelli, logopédiste. Réflexions sans langue de bois d’un franc-tireur de la pédagogie.
- Question à 60 francs par année, c’est-à-dire le montant d’un abonnement à biceps.ch: quel est le taux de succès de votre site de soutien scolaire?
- Martino Toscanelli: Biceps.ch est un site qui permet à un enfant d’améliorer ses performances scolaires. Mais ce n’est pas un moyen miracle qui permet à tous les enfants de réussir à l’école. Cela dit, nos 13 000 abonnés – principalement des familles, mais aussi des enseignants et des institutions de toute la Romandie – démontrent que nos cours vidéo, les milliers de pages d’exercices et les modules interactifs disponibles sur le site répondent à un besoin.
- Tous les enfants en difficulté scolaire ne se ressemblent pas. Quels sont ceux qui peuvent profiter le mieux de biceps.ch?
- Deux genres d’enfants sont concernés par le site. Il y a d’une part les élèves relativement à l’aise à l’école mais qui veulent consolider leur savoir et se rassurer en s’exerçant de manière complémentaire. Et il y a d’autre part les élèves en difficulté scolaire relativement bénigne qui peuvent être épaulés par leurs parents. En revanche, pour les enfants en grande difficulté, biceps.ch peut certes les épauler, mais ils ont besoin avant tout d’une prise en charge par un enseignant spécialisé.
- En seize ans de biceps.ch, comment a évolué, de votre point de vue, la problématique des difficultés scolaires?
- Le grand changement, c’est l’augmentation spectaculaire des enfants ayant des troubles de la concentration, c’est-à-dire qui ne parviennent plus à accomplir une tâche du début à la fin, même une tâche ne durant qu’entre cinq et dix minutes. Ce déficit de concentration induit des problèmes de comportement qui demandent au professeur beaucoup d’énergie et de temps pour conserver le minimum de discipline nécessaire pour l’enseignement.
- La tâche des enseignants est donc plus difficile que jamais?
- Leurs conditions de travail ont en tout cas beaucoup changé. La charge administrative qu’ils doivent assumer est sans précédent. L’enseignant dispose donc de moins de temps pour la pédagogie, son cœur de métier. L’informatique promettait d’alléger cette charge. Or elle n’a fait que l’amplifier.
- L’école comme lieu de transmission de savoir est aussi devenue une institution éducative. Ce rôle hybride ne simplifie rien?
- C’est un gros problème, en effet. Je suis partisan d’une école qui revienne à son seul rôle pédagogique. Mais cela demanderait de réformer la formation actuelle des enseignants. Car, franchement, cette formation me semble avoir dérivé vers beaucoup de blabla, de concepts fumeux, de théories comportementales inutiles une fois dans la classe.
- Et les jeunes enseignants des années 2000, qu’est-ce qui les différencie, en moyenne, des générations précédentes?
- Je vais être franc: la nécessité de maîtriser la matière à enseigner est moins respectée que jamais. Le niveau moyen de culture générale a aussi baissé. Or de solides connaissances en étymologie, en histoire ou encore en géographie sont précieuses face à des élèves. Quand on a quelqu’un de cultivé en face de soi, on a plus tendance à l’écouter. La formation des enseignants a participé à cette érosion en dévalorisant l’acquisition de savoirs et de culture générale. C’est triste.
- On dit aussi que les enseignants ont moins de liberté que jamais, donc moins de motivation que jamais pour être créatifs?
- C’est une autre cause de l’échec actuel de l’école publique. Les profs doivent suivre le programme. Il faut que les contrôles de maths se fassent au même moment, par exemple, dans toutes les classes. Or le rythme d’acquisition n’est pas le même. Et puis les effectifs des classes gonflent inexorablement. Quand je donnais des cours, j’avais vérifié qu’une classe de 18 élèves, c’était le maximum pour espérer faire du bon boulot. Aujourd’hui, on a des classes à 22, 23, voire 24 élèves. Et le taux de burn-out dans le corps enseignant confirme les problèmes structurels de l’école publique.
- Vous considérez vraiment que l’école publique est «en échec»?
- Je suis sévère parce qu’il est désolant de constater qu’un nombre toujours croissant de jeunes de 15 ans sont incapables, à la fin de leur scolarité obligatoire, de faire un calcul de pourcentage, de faire une règle de trois, c’est-à-dire de maîtriser la base la plus élémentaire des maths. Et ces jeunes ont une peine folle à s’engager dans un apprentissage, en raison des cours qui les confrontent de nouveau à leurs lacunes. Le patronat a d’ailleurs réagi en créant des tests d’aptitude pour pouvoir commencer certains apprentissages. Quant au nombre effarant d’échecs parmi les élèves qui commencent le lycée (le gymnase ou le collège dans d’autres cantons, ndlr), il confirme que les élèves sortant du cycle d’orientation sont en moyenne moins bien armés que jamais.
- Donnez-nous un exemple pédagogique très concret pour illustrer vos critiques
- Imaginons un enfant qui doit écrire: «Les enfants jouent au ballon dans le jardin.» Si le prof dicte, l’élève doit déjà avoir de la mémoire auditive. Ensuite, il lui faut penser au pluriel et à la conjugaison du verbe «jouer». Pour maîtriser ces concepts orthographiques et grammaticaux, il lui faut un entraînement systématique. Or il n’y a plus de dictée de phrases tous les matins pendant quinze minutes. Sans cette mise en pratique, une majorité d’enfants peinent à faire le lien et ne savent plus écrire. Et puis, pour apprendre à écrire, il faut développer la mémoire visuelle des mots, qui consiste à «voir» le mot «ballon» dans sa tête, par exemple. En ayant pratiquement abandonné la notion de «mots à savoir», cette mémoire visuelle s’est réduite comme peau de chagrin. Tout apprentissage, quelle que soit la branche, a besoin d’une stratégie. Je crains que les pédagogues n’aient inventé de nouvelles stratégies sans se confronter vraiment à des gosses en grande difficulté scolaire. Durant mes dix-neuf ans d’activité, j’y ai été confronté. J’avais alors constaté mes limites pédagogiques. J’ai dû adopter ou inventer de meilleures stratégies. A mon avis, c’est là, c’est dans la qualité de l’investissement humain, que se joue le succès ou l’échec de l’école et donc des élèves.
Quatre conseils en cas de difficulté scolaire
1. Trouver une bonne répétitrice ou un bon répétiteur.
«Car biceps.ch ne suffit pas toujours», précise le créateur du site. Mais comment trouver ce coach providentiel, hormis par bouche-à-oreille? «Je conseille aux parents de porter leur choix sur un étudiant qui se destine à l’enseignement et qui a donc une réelle vocation pédagogique», précise Martino Toscanelli. Et comment évaluer la qualité de ce répétiteur? «C‘est simple: après une ou deux séances seulement, l’enfant et ses parents se rendent compte s’il y a un début de progrès ou pas.»
2. Un petit effort quotidien.
«Un cours par semaine ne suffit pas pour créer une dynamique, estime Martino Toscanelli. Quand j’avais des élèves, je les voyais une heure par semaine mais, entre chaque cours, ils avaient du travail à faire. Les matières scolaires, c’est comme apprendre un instrument de musique: il faut quinze à vingt minutes de travail par jour.»
3. Du temps pour la «vraie vie».
«Les enfants doivent avoir le temps de jouer, du temps pour la vraie vie, pour faire des choses simples et concrètes, faire à manger ou jardiner, par exemple. A partir de ces activités, on apprend aussi des mots, des concepts, on fait des calculs sans avoir l’impression de faire des devoirs. Mais pour cela, il faut éviter de les inscrire dans trop d’activités extrascolaires. Et je conseille aussi de limiter la consultation d’écrans.»
4. Suivre les résultats de son enfant.
Le dernier des quatre conseils généraux vient de l’informaticien de biceps.ch, Matthias Toscanelli, le frère de Martino. «J’invite les parents à suivre les progrès scolaires de leurs enfants, de ne pas se contenter des rares séances d’information. Les enfants ont tellement envie de bien faire qu’ils ont tendance à cacher leurs problèmes, comme une période de difficulté scolaire. Alors, au lieu de se retrouver en fin d’année face à une mauvaise surprise, les parents devraient vérifier régulièrement, avec tact et bienveillance, les résultats de l’enfant.»