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«Même si j’étais certaine de ma décision, je savais que cette étape de vie allait me marquer»

Marine Ehemann, 31 ans, doctorante.

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Témoignages avortement : Ils ont avorté un enfant
Amélie Blanc
Alessia Barbezat, journaliste de L'illustré
Alessia Barbezat

Il y a huit ans, alors qu’elle vient d’entamer ses études à l’université, Marine Ehemann se fait tatouer un cintre sur la cuisse. Accompagné de l’inscription «Ceci n’est pas un cintre». «Je l’ai fait comme un acte symbolique pour ne pas oublier qu’à une époque, les femmes utilisaient cet objet pour avorter, explique la jeune femme. Je n’aurais jamais imaginé que ce cintre serait aujourd’hui de nouveau dessiné sur des pancartes ou brandi dans des manifestations pour conserver le droit à l’avortement.»

Une intervention à laquelle la trentenaire a eu recours il y a tout juste une année. Attablée dans l’arrière-cour d’un petit café urbain, elle raconte avoir appris être enceinte un peu par hasard. «Une amie venait de faire un test de grossesse, il lui en restait un dans son sac. J’ai eu un pressentiment même si je n’avais pas de retard dans mon cycle menstruel. Je lui ai dit: «Donne-le moi.» J’avais raison.»

Elle en parle à ses amies proches et à son conjoint et prend rapidement rendez-vous chez sa gynécologue pour obtenir une confirmation. Mais la grossesse est à un stade encore trop précoce pour être décelée. «Il a fallu attendre dix jours avant d’avoir une échographie et une prise de sang qui montraient quelque chose, confirme Marine. Une période délicate à vivre, avec des symptômes physiques qui se développent. J’ai encore attendu deux semaines avant de prendre ma décision et la gynécologue m’a remis deux pilules abortives.» Chez elle, accompagnée de son conjoint, elle avale les pilules.

«J’étais très stressée avant de prendre la première. Même si j’étais certaine de ma décision, je savais que cette étape de vie allait me marquer. Il y aurait un avant et un après, affirme-t-elle calmement. C’est pour cette raison que je suis très fâchée quand j’entends des personnes accuser les femmes d’avoir recours à des avortements de confort. Comme si nous étions des illuminées ou des inconscientes. Décider d’avorter a été le fruit d’une réflexion immense. J’avais 30 ans, un poste fixe, le désir d’enfant n’était pas viscéral mais faisait partie des questionnements que j’avais à ce moment de ma vie mais il me restait à accomplir une multitude de choses que j’avais envie de faire pour moi en tant que femme, en tant que personne.»

Une expérience que cette militante, notamment pour le droit des femmes, a décidé de partager. «Je milite dans mon quotidien sur des sujets divers et variés. Avoir eu recours à une IVG me donne une certaine légitimité pour en parler. Si cette expérience peut servir à délier les langues, je trouve ça super. C’était un choix individuel, mais en faire quelque chose de politique après coup, c’est intéressant et c’est pour ça que je veux témoigner. Surtout en ce moment», confie celle qui a pleuré lorsqu’elle a appris que la Cour suprême des Etats-Unis révoquait le droit à l’avortement, le 24 juin 2022.

«Cette décision me heurte dans ma chair. C’est d’une violence inouïe de décider à ta place, comme si ton corps ne t’appartenait plus. Et, soyons clairs, cela ne mettra pas à un terme aux avortements. Les femmes l’ont toujours fait. Mais cela va forcer les plus précarisées à recourir à des stratégies dangereuses pour leur santé, à pratiquer des interventions dans de mauvaises conditions. On leur offre la mort.»

>> Retrouver notre grand dossier: L’avortement, ce droit qui n’est jamais acquis

Par Alessia Barbezat publié le 7 septembre 2022 - 06:26