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Michel Mayor: «Conquérir Mars est un rêve, y habiter un cauchemar»

Trois fusées, une américaine, une chinoise et une émiratie, se sont envolées pour une mission d’exploration de la planète rouge ces derniers jours. Avec son programme SpaceX, Elon Musk, le patron de Tesla, espère envoyer des hommes sur Mars dans la décennie à venir. Un projet fascinant et réaliste aux yeux du Prix Nobel de physique Michel Mayor.

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Le Romand Michel Mayor, prix Nobel de physique. Blaise Kormann

Que celles et ceux qui s’inquiètent de sa discrétion médiatique se rassurent. Michel Mayor est en grande forme. A 78 ans, le colauréat du Prix Nobel de physique 2019 a traversé studieusement et sans heurt la propagation du virus. Mieux, aux côtés de Françoise, son épouse, il a profité du confinement pour récupérer des six mois de folie qui ont suivi sa nomination et celle de son doctorant, Didier Queloz. «Même si on s’en serait bien passés, cette pause a été la bienvenue», confie l’astrophysicien, qui s’est ressourcé dans les bois du Jura, arpentant presque quotidiennement les verdoyantes collines dominant son village de Trélex (VD).

Changement de rythme, donc. Mais pas de fonctionnement. Car même loin des observatoires, Michel Mayor, récemment élevé au rang de bourgeois d’honneur par la commune valaisanne de Conthey, où vécut l’une de ses aïeules, a suivi l’actualité spatiale de près. Et pour lui, aucun doute: en août, c’est Mars, puisque pas moins de trois missions d’exploration se sont envolées à destination de la planète rouge ces derniers jours. Des fusées qui ont peut-être croisé en chemin la capsule Crew Dragon, du programme SpaceX, de retour de la Station spatiale internationale (ISS), deux mois après son lancement.

Autant dire que «là-haut», loin du Covid-19, l’activité est intense. Et l’homme qui restera dans l’histoire comme le découvreur de la première planète extrasolaire, la désormais célèbre 51 Pegasi b, n’en rate pas une miette. Sous la tonnelle, les pieds bien sur terre, il nous a commenté cette brûlante actualité. Avec sa passion et sa simplicité habituelles. Décollage.

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Michel Mayor dans son salon, à Trélex, commune du district de Nyon. Blaise Kormann

- Vous étiez attendu aux quatre coins de la planète et la pandémie vous a consigné à la maison. Pas trop frustré?
- Michel Mayor: Comme tout le monde, il a fallu s’adapter. Quelques voyages ont été remis à des jours meilleurs, d’autres sont tombés à l’eau. Rien de grave. J’en ai profité pour répondre aux nombreux messages, lettres, e-mails que j’ai reçus depuis octobre. J’arrive gentiment au bout.

- Pas de téléconférences?
- Si, si. La demande a explosé. J’en reçois plusieurs par jour. J’en ai accepté quelques-unes, mais parler seul devant un ordinateur n’est pas un exercice que j’apprécie. Je préfère les apéros virtuels avec mes collègues de l’Observatoire astronomique de Genève. C’est moins sympa qu’en vrai, mais cela permet d’échanger et de garder les liens. Cet éloignement nous complique un peu la vie, mais il faut accepter et respecter toutes les contraintes aussi longtemps que ce satané virus sévira.

- Contrairement à l’activité sur la Terre, celle de l’espace est en pleine effervescence en ce moment. La conquête de Mars s’accélère…
- C’est le moins qu’on puisse dire. Et les Américains ne sont plus les seuls en course. Les Emirats arabes unis ont lancé avec succès la sonde Hope le 20 juillet, alors que les Chinois ont lancé Tianwen-1 le 23 juillet. Nous connaîtrons le succès – ou pas – de ces missions dans quelques mois, mais la course à la conquête de la planète rouge est bien lancée. C’est à qui y posera le pied le premier.

- Fascinant, non?
- Bien sûr. Après la conquête de la Lune, Mars permet de prolonger le rêve en adressant un message stimulant et enthousiasmant à l’humanité. Aux jeunes générations en particulier, qui en ont bien besoin. Je suis moi-même sous le charme des informations et des photos incroyables que les robots nous envoient. Et pas que de Mars. De Jupiter, de Saturne, de Pluton aussi. Pouvoir étudier ainsi notre système solaire est à la fois prodigieux et merveilleux.

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Michel Mayor devant chez lui: «Pouvoir étudier notre système solaire est à la fois prodigieux et merveilleux.» Blaise Kormann

- La conquête de Mars, vous y croyez? Elon Musk, le fondateur de SpaceX, assure que l’homme y posera le pied dans sept ans…
- Je ne serai pas aussi affirmatif. Mais je pense que dans les vingt prochaines années, ce sera chose faite. Il y a une telle course au prestige que toutes les nations concernées mettent le paquet, si je puis dire.

- On a été surpris par le déferlement médiatique qu’a suscité le lancement de la capsule Crew Dragon, le 30 mai dernier, en partance pour l’ISS. Comme si c’était une grande première, alors que la Russie, avec son programme Soyouz, multiplie les réussites depuis une décennie…
- Ce battage m’a aussi étonné et, pour tout dire, m’a laissé un peu mal à l’aise. On oublie fréquemment que les Russes fournissent les moyens et assurent le service depuis neuf ans. C’est clairement un manque de respect et de reconnaissance vis-à-vis de ce pays.

- Revenons à Mars. L’homme y posera le pied, et ensuite ses valises?
- Alors ça, vous pouvez oublier. Coloniser la planète rouge, perpétuellement bombardée de rayons cosmiques, relève de la science-fiction. Pour d’innombrables raisons d’ailleurs. D’abord, il n’y a pas d’atmosphère. L’homme y vivrait enfermé dans une sorte de grande boîte de conserve, assisté d’un système respiratoire auxiliaire ou dans un scaphandre équipé pareillement s’il veut sortir. Si tant est que des sorties soient possibles, car, selon l’endroit où il se trouverait, face au Soleil ou pas, la température serait horriblement chaude ou froide. De plus, à ce stade, on estime à sept mois le temps nécessaire pour couvrir les 493 millions de kilomètres du voyage. Plus de deux cents jours reclus dans une capsule, essayez d’imaginer. A deux, l’exploit aurait déjà quelque chose de surhumain. Et pour finir, si y aller représente déjà un sacré programme, en revenir s’avère encore plus compliqué.

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«Mon rêve à moi est très terre à terre. Qu’on parvienne à se débarrasser au plus vite du Covid-19!» Blaise Kormann

- Ne craignez-vous pas de briser le rêve?
- Non, je suis simplement réaliste. Le rêve, c’est de mettre une fois le pied là-haut, comme on l’a fait pour la Lune, et basta! Y habiter serait un cauchemar. Il n’existe aucun endroit sur la Terre qui soit aussi hostile et inhospitalier que Mars. Forts de ce constat, allons-y pour le symbole, pour la gloire. Prenons cela comme un challenge, comme l’ont été naguère la conquête de l’Everest, du fond des océans ou du pôle Sud. Autant de beaux succès qui n’ont pas changé la face du monde.

- L’hypothèse qu’il y ait ou qu’il y ait eu de la vie sur Mars est pourtant crédible depuis la découverte d’eau liquide…
- En effet, grâce aux robots, on sait que de l’eau se trouve congelée dans une sorte de permafrost, en surface. Il y a également des sites riches en minéraux hydratés, argiles et sulfates, des sédiments provenant de l’altération de roches volcaniques. Mais il n’y a pas eu besoin d’y aller pour l’apprendre. Cela étant, nous ne sommes pas prêts à faire des forages de plusieurs kilomètres pour capter des sources d’eau (rire). On dit aussi que des traces de vie, à travers des bactéries, auraient été trouvées dans une météorite martienne. C’est faux.

- Si on vous comprend bien, dépenser des centaines de milliards pour entretenir l’espoir d’émigrer sur Mars est inutile…
- Totalement. En termes d’utilité, c’est nul. Il y a trois milliards d’années, de l’eau coulait et l’atmosphère existait. Une forme de vie s’est-elle développée à cette période? On ne peut pas l’exclure. Mais, depuis, Mars, qui est deux fois plus petite que la Terre avec une masse dix fois moins grande, a laissé échapper son atmosphère. Plutôt que de rêver d’une émigration de l’humanité vers d’autres planètes, il est plus raisonnable de préserver notre planète bleue.

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«Le procès des étoiles», de Florence Trystram. Une incroyable aventure scientifique pour déterminer un degré de méridien. Un mélange de rigueur scientifique et de jalousie très humaine: une fresque historique remarquable.

- Le tourisme spatial par le biais de voyages suborbitaux, à une centaine de kilomètres d’altitude, vous adhérez?
- Je vois mal la cohérence entre la volonté d’économiser l’énergie et de préserver la planète et le développement du tourisme spatial. Que ce soit par des vols suborbitaux ou dans la stratosphère (à une trentaine de kilomètres d’altitude, ndlr). D’un côté, des millions de personnes essaient d’être raisonnables et, de l’autre, quelques centaines de privilégiés consomment et polluent sans compter. La construction des fusées et des capsules ainsi que le combustible pour réaliser ces voyages font exploser la facture énergétique et ont un coût important en CO2. Ce n’est d’ailleurs pas la seule question éthique que soulève la conquête de l’espace.

- C’est-à-dire?
- Si l’on considérait que Mars est habitable, comment se ferait la sélection parmi la population? Qui choisirait et sur quels critères que tel individu ou telle communauté s’en irait ou non? Et psychologiquement, comment supporter un voyage de sept mois enfermé dans une capsule exiguë? J’ai parfois le sentiment que ceux qui dirigent ces programmes oublient complètement que ceux-ci impliquent des êtres humains.

- Au fait, si Mars a perdu son atmosphère, la Terre pourrait-elle être confrontée au même problème?
- Tout à fait. Mais dans cinq milliards d’années, lorsque le Soleil aura à son tour consommé tout l’hydrogène nécessaire à produire la lumière. A ce moment-là, les océans finiront de s’évaporer et l’atmosphère terrestre disparaîtra. Mais si on pense que l’homme est apparu il y a deux millions d’années, il y a de la marge tout de même (rire).

- C’est quoi, votre rêve à vous?
- Il est beaucoup plus terre à terre: qu’on parvienne à se débarrasser au plus vite du Covid-19. Dans nos contrées, nous avons les moyens de ne pas trop souffrir de ses effets collatéraux, en particulier sur le plan économique. Mais il y a tant de régions dans le monde, déjà affectées par d’autres problèmes, où le virus plonge, ou va plonger, des millions de personnes dans la misère. Des situations tellement tristes et injustes…


Michel Mayor en 3 dates

2  juillet 1966. Mariage avec Françoise, qui dure depuis cinquante-quatre ans!

6  octobre 1995. Annonce, lors d’un congrès scientifique, de la découverte de la première planète extrasolaire, 51 Pegasi b. «Le début d’une exceptionnelle aventure qui ouvrit un nouveau chapitre de l’astronomie et fit que ma vie ne fut plus comme avant.»

10  décembre 2019. Eh oui, tout de même: un prix dont il vaut mieux ne pas rêver lorsqu’on commence une carrière scientifique.


Par Rappaz Christian publié le 13 août 2020 - 08:48, modifié 18 janvier 2021 - 21:13