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Nao, le robot qui fait école

La leucémie d’Ilona, 14 ans, l’empêche de se rendre en classe. Au printemps, grâce à une fondation, à une start-up et à un assureur, Nao le robot a pris sa place à l’école. Il lui permet de suivre les cours à distance. Une première en Suisse romande.

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«IloNao» en cours de maths à Avry (FR). Stephanie Borcard - Nicolas Metraux

Depuis le 25 mars dernier, Diego partage son pupitre avec un nouveau voisin. Il mesure 58 cm, pèse 5,48 kilos et parle 22 langues, dont le norvégien, l’arabe, le portugais, le mandarin, le finnois et, ouf, le français. La nuit, il dort sagement dans l’armoire d’une classe du Cycle d’orientation de Sarine Ouest, à Avry, dans le canton de Fribourg. Le voisin de Diego est un petit robot. Il se prénomme Nao.

«IloNao»

Conçu au Japon, programmé par une start-up helvétique, Avatarion, distribué par Planètes enfants malades, fondation qui améliore la vie des jeunes patients traités ou hospitalisés dans les services pédiatriques du CHUV, il est financé par l’assureur Helsana. Voilà pour la genèse de son existence.

Nao est surtout le premier robot d’assistance, équipé du logiciel Avatar Kids, à faire sa rentrée des classes en Suisse romande. Mais à Avry, Nao, c’est d’abord «IloNao», comme l’ont baptisé ses copains d’école: un robot avatar, le double cool, fun et en pleine forme d’Ilona, 14 ans.

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Wolfgang Egger, enseignant titulaire de la classe d’Ilona, s’est très vite habitué à donner des cours face à Nao. Stephanie Borcard - Nicolas Metraux

Ilona Bulliard, «Miss ça va bien», comme la surnomme affectueusement son papa Hervé, agriculteur à Lentigny, ne se plaint jamais et garde le sourire, en toutes circonstances. En septembre 2017, on lui a pourtant diagnostiqué une leucémie aiguë: au revoir l’école, chimiothérapie immédiate, 104 semaines de traitement pour espérer vaincre le crabe.

Les lecteurs de L’illustré connaissent déjà cette jeune fille. Il y a un an, elle avait raconté dans nos pages son combat contre la maladie et le harcèlement scolaire. Courageuse et vaillante, sans cheveux mais avec sérénité, elle faisait face. Aujourd’hui, le mobbing scolaire est une plaie refermée, une cicatrice dans son enfance. Mais Ilona vit toujours avec sa leucémie, et une chimiothérapie à domicile.

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Quand Ilona, dans sa chambre à Lentigny, a une question, Nao lève la main pour elle. Ilona peut aussi photographier son exercice effectué et envoyer l’image sur la tablette de l’enseignant pour qu’il vérifie les résultats. Stephanie Borcard - Nicolas Metraux

«A Noël, Ilona a connu de très violentes douleurs dans les jambes. A tel point que cela l’empêchait de marcher, raconte Véronique, sa maman. On lui a finalement diagnostiqué une fracture des deux chevilles.» Une nécrose osseuse causée par son lourd traitement.

Ilona, qui a quasiment manqué toute son année scolaire 2017, et refait sa première du cycle, passe alors plus d’un mois en chaise roulante. Elle se déplace aujourd’hui avec deux béquilles et, immunodéprimée, fuit les virus. Entre les allers-retours au CHUV, les séances de physiothérapie, la crainte des microbes et les déplacements, rendus plus éreintants encore par la chaise roulante, comment ne pas décrocher à l’école, malgré les cours donnés à domicile par des répétiteurs?

Un pote expressif

La solution a des yeux qui brillent grâce à des diodes électroluminescentes, et couine «Gnock gnouck» quand on l’allume. «En japonais, cela veut dire "never gonna let you down", "je ne te laisserai jamais tomber", la devise des robots d’assistance pour humains», décrypte Michèle Sakam, développeuse chez Avatarion.

«Au début, explique Ilona, j’espérais pouvoir avoir un ordinateur pour suivre les cours à distance. Mais un jour, une dame de l’Arfec, l’Association romande des familles d’enfants atteints d’un cancer, nous a parlé de Nao.» La famille sollicite la directrice de l’école d’Ilona, immédiatement conquise, et assiste à une présentation du robot organisée par Planètes enfants malades. La fondation à but non lucratif est un partenaire essentiel de la pédiatrie au CHUV depuis bientôt vingt ans. «Notre souhait, c’est que l’enfant malade puisse expérimenter quelque chose d’extraordinaire durant la pire période de sa vie, s’enflamme Paola Möhl Pignatelli, sa directrice. Nao change la perception sociale: il fait du petit patient un héros auprès de ses copains, presque un sujet d’envie. Il atténue aussi la peur du retour en classe après une longue absence puisqu’il n’y a pas eu de rupture du lien.»

Gommette

Ce mardi, à 10 heures, dans la salle 105 du complexe scolaire d’Avry, 23 élèves et un robot participent au cours de mathématiques donné par Wolfgang Egger, le professeur principal des 1E. Nao trône au premier rang. Il suit des yeux Diego, qui lui explique comment trouver la représentation graphique de deux points. C’est l’heure du travail en binôme et le robot n’est pas à la traîne. Parce que, grâce à la magie du streaming et du wi-fi, à l’autre bout de l’écran fixé sur le front du robot, il y a Ilona Bulliard, chez elle à Lentigny, qui vaut son pesant de cacahuètes en maths, sa branche préférée.

L’enseignant vérifie le travail des deux élèves. Carton plein, gommette, tope là: c’est acquis! Ilona ne rate rien des cours, des gags de ses copains, du chahut chouette d’une classe d’adolescents. «A l’intercours, il y a toujours tout le monde qui se bouscule pour me dire bonjour et me demander de lui faire faire des émotions», confirme la jeune fille. Faire des émotions, c’est-à-dire appuyer sur les icônes de Nao, et lui faire exprimer la joie, la colère, la fatigue ou la tristesse. Nao roucoule, agite le poing, s’exclame, soupire ou s’affaisse alors sur son fauteuil. Eclat de rire général: Nao fait marrer, et par le biais de ce robot sympa, Ilona gagne le cœur de ses copains.

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Nao a fini sa journée. Avec deux heures d’autonomie de batterie, il part se recharger, sous clé, dans cette armoire de la classe d’Avry. Stephanie Borcard - Nicolas Metraux

Tout pour les enfants!

«Ces robots sont des outils: des vecteurs de socialisation, poursuit Paola Möhl Pignatelli. On peut même imaginer qu’ils permettent, parfois, de faire face à la mort, lorsque la pire échéance, c’est le non-retour de l’enfant à l’école.» C’est précisément ce qui a bouleversé Jean Christophe Gostanian, CEO et propriétaire, avec son épouse, d’Avatarion.

Entrepreneur multirécidiviste et père de trois filles de 10, 20 et 23 ans, le Français s’engage depuis des années pour les enfants malades. «J’ai créé Avatar Kids pour que, après une longue absence, celui qui revient ne soit pas oublié. Avec Nao, on ne voit plus l’enfant malade, mais un sujet de gaieté.» Véronique Bulliard avoue que «ça m’a sorti les larmes quand j’ai vu ce petit robot, à la place de ma fille, et tous les enfants qui criaient de joie en le regardant». C’est pour donner à d’autres enfants la chance de vivre cette expérience que la famille a choisi de médiatiser son histoire. Parce que, étonnamment, il n’a pas été si simple de trouver l’humain qu’incarnerait Nao.

Les autistes aussi

Grâce à Helsana, qui finance le don des robots, la Fondation Planètes enfants malades a pu recevoir deux robots, distribués au CHUV: le premier au Centre cantonal d’autisme, comme outil de socialisation, et le deuxième, à l’école, pour y remplacer Ilona. Mais comment et à qui attribuer ce robot miraculeux? «Il faut l’accord de toutes les parties, de l’enfant et de ses parents, des parents des camarades de classe, de l’école et de l’enseignant. Et c’est toujours le corps médical qui a le dernier mot, en fonction des besoins et de la santé du petit patient», explique la directrice de la fondation.

Ce qui a parfois donné lieu à quelques frustrations. Helsana et Avatarion ont installé sept stations de petits Nao écoliers en Suisse alémanique. Et pour l’heure, deux seulement en Suisse romande, au CHUV, même si des discussions sont en cours pour doter les HUG d’un premier Nao. «C’est parfois un peu frustrant, à l’échelle d’une start-up, de patienter quand un enfant a un besoin immédiat de rester en phase avec sa classe, avec le monde des vivants», s’agace un brin Jean Christophe Gostanian face à la lourdeur administrative romande.

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Avec la programmatrice Michèle Sakam, Jean Christophe Gostanian, CEO d’Avatarion, présente tous ses amis robots au siège romand de la start-up, à Yverdon. Stephanie Borcard - Nicolas Metraux

Un projet enthousiasmant

A Avry, «tous les professeurs étaient pour, s’enthousiasme Wolfgang Egger. On se réjouissait d’accueillir ce robot comme un nouvel élève. Il n’y a pas d’images enregistrées, cela fonctionne en streaming, et cela ne péjore pas du tout la qualité des cours.» Helsana poursuivra son projet pilote. «Cela fait partie de notre engagement social en faveur de l’innovation, communique Gaël Saillen, porte-parole de l’assurance. Nous n’avons pas chiffré ce que pourrait rapporter Nao, mais oui, on peut imaginer, avec un peu de bon sens, que ce type d’action puisse réduire les coûts psychologiques d’une hospitalisation ou d’un séjour prolongé à la maison pour un enfant. Nous n’attendons pourtant aucun retour sur investissement. La seule chose qui nous importe, c’est que le robot soit utilisé. Ne pas casser le lien de l’enfant avec sa classe et son quotidien scolaire, améliorer son moral: tout cela contribue aussi à sa santé et à son rétablissement.»

Ilona réussira son année scolaire. Cet automne, peu après la rentrée, elle devrait terminer son traitement. Et, si tout va bien, retrouver le chemin de la santé. Fidèle au poste, Nao rejoindra son pupitre et, par son biais, Ilona ses copains de classe.


Par Mathyer Marie publié le 9 juin 2019 - 10:41, modifié 18 janvier 2021 - 21:04