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Interview

Narcisse, le slameur humaniste

La cinquantaine rugissante, Narcisse, de son vrai nom Jean-Damien Humair, est un slameur. Pas un slalomeur, encore qu’il adore serpenter entre les mots, un poète. Il nous a reçus dans sa jolie maison tout en nuances de gris, avant la première d’«Humains», son nouveau spectacle.

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Le slameur Narcisse

«Je fais des spectacles pour changer le monde», Narcisse.

Darrin Vanselow

Saviez-vous que le slam est né à Chicago en 1985, à l’initiative d’un certain Marc Smith? Narcisse a eu le privilège de travailler avec lui. A la poésie s’est ensuite ajoutée la musique. En France, deux artistes majeurs, Grand Corps Malade et Abd al Malik, ont popularisé le genre. S’il n’a jamais croisé le premier, Narcisse a partagé une scène lausannoise avec le second. A Chapelle-sur-Moudon (VD), où il réside, le slameur romand finalise «Humains», son nouveau spectacle. Une ode à l’espèce humaine qu’il présentera au Théâtre Benno Besson, à Yverdon, les 16 et 17 mars, avant de monter à Paris mi-avril.

- Votre propre définition du slam?
- Narcisse: C’est un moment où l’on dit de la poésie. Tout part de l’écrit. Rien à voir avec le rap, qui est d’abord un courant musical.

- Vous venez donc de la littérature?
- Non. J’ai été musicien bien avant d’écrire. Seul dans mon studio ou au service des autres, avant que Nathalie, mon épouse, ne m’encourage à rédiger mes propres textes. Mon goût pour la langue s’est alors développé. Je pense avoir bénéficié, par ricochet, du succès du premier album de Grand Corps Malade, en 2006. A Lausanne, à l’époque, on devait être une vingtaine de slameurs et, du jour au lendemain, les médias, TJ et radio en tête, ont débarqué. Le succès du slam m’a ensuite valu d’être publié dans une trentaine de recueils et anthologies de poésie.

- La poésie connaîtrait actuellement un renouveau. Vous confirmez?
- Je n’en suis pas si sûr... Quand je fais des scolaires, j’adore poser cette question dans les classes: «Qui parmi vous aime la poésie?» Sur 20 élèves, le seul qui lève la main, c’est celui qui porte des lunettes. La poésie est partout, mais les écoliers la considèrent comme ringarde et ennuyeuse. Ce qui est encourageant, c’est que lorsque je leur demande d’écrire un slam, ils font tous l’effort.

- Transmettre aux jeunes vous intéresse-t-il?
- Oui, je revendique ce côté passeur! Ce que je ne suis pas, c’est un prof de slam. Quand je vais dans les classes, j’insiste d’ailleurs pour qu’un enseignant soit toujours présent. 

- Votre nouveau spectacle, intitulé «Humains», consiste en un récit positif de l’aventure humaine. 
- Je cite le linguiste Pascal Picq, qui s’intéresse aux débuts du langage. Quand l’être humain s’est regroupé autour du feu, la nuit, ce moment si mystérieux, on pense qu’il s’est mis à raconter des histoires, à imaginer des terres lointaines peuplées d’animaux et de plantes fantastiques, et que cela a dû l’inciter à construire des bateaux pour aller se rendre compte par lui-même.

Spectacle «Humains» de Narcisse

Dans «Humains», Narcisse convoque sur scène une vingtaine d’artistes romands issus de la danse et de la musique, comme ici les sœurs Berthollet, lors d’une répétition à Yverdon.

DR

- Vous ignorez délibérément sa soif de conquêtes, son caractère belliqueux...
- C’est vrai. Longtemps, je me suis moi-même montré très critique envers l’être humain. Mon précédent spectacle s’intitulait «Toi, tu te tais!» J’étais dans l’invective. A dire vrai, je fais des spectacles pour changer le monde. A ma modeste échelle. Pendant le covid, j’ai été touché par ces gens qui applaudissaient chaque soir le personnel soignant. J’y ai consacré une chronique sur RTS Culture qui a fait un carton en ligne avec plus de 1 million de vues. Des gens m’ont écrit du monde entier. Cela m’a donné envie de souligner tout ce que l’être humain fait de bien.

- On réduit pourtant bien souvent la nature humaine à ses plus bas instincts, non?
- Mais tellement! Saviez-vous que le mot le plus souvent utilisé aux infos, c’est «mort»? Cela veut tout dire. Pour ce spectacle, je me suis énormément documenté. J’ai beaucoup lu.

- Avez-vous soumis votre texte («Humains», publié aux Editions d’En Bas) à des spécialistes pour leur caution scientifique?
- Oui, parce que d’emblée le directeur du Théâtre Benno Besson, à Yverdon, qui était enthousiaste, m’a alerté sur le fait que j’avais forcément «le biais de l’homme blanc cisgenre de 50 ans». Il avait raison. Je me suis donc attaché à élargir ma propre vision, à l’enrichir d’autres points de vue.

- Quand vous évoquez la préhistoire, vous ignorez Lascaux pour nous emmener en Australie, en Afrique du Sud, en Patagonie. On apprend plein de choses!
- C’est gentil. J’ai bénéficié de l’aide et de l’expertise de la directrice du Musée d’ethnographie de Genève, Carine Ayélé Durand, anthropologue.

- Au fond, vous êtes un humaniste qui propose une vision optimiste de notre histoire?
- Le terme me parle, en tout cas, avec cette nuance de taille qu’en dépit de mon humanisme, comme vous dites, je ne suis pas omniscient. Je n’ai pas cette prétention. Disons que je m’efforce d’avoir une vision d’ensemble de l’humanité, dont la plus grande force, à mon sens, consiste en sa capacité à apprendre des autres, à mélanger les idées, à les associer.

- Ne craignez-vous pas d’être taxé d’angélisme?
- On ne vit pas dans le monde des Bisounours, je le sais, mais pour ce spectacle, j’ai décidé d’être positif. C’est un parti pris. Je ne pense pas que le monde se porte bien pour autant. 

Par Blaise Calame publié le 10 mars 2023 - 09:10