1. Home
  2. Actu
  3. «On fait plein de petits coming out tous les jours»

Mois des fiertés LGBT+

«On fait plein de petits coming out tous les jours»

Elles sont journalistes à la RTS. Christine Gonzalez fait parler les morts et s’interroge sur la sexualité, Aurélie Cuttat met sa curiosité et son pep au service des bonnes nouvelles pour «Nouvo». Elles sont en couple depuis sept ans. Et affichent ici pour la première fois leur amour et leur militantisme.

Partager

Conserver

Partager cet article

Aurélie Cuttat (cheveux courts) et son amoureuse Christine Gonzalez  photographiées dans le parc Milan, Lausanne avril 2021. Aurélie Cuttat, la journaliste originaire de Delémont de 34 ans est le visage de la chronique "Tout nouvo tout bo" sur la RTS, dans laquelle elle décortique les informations qui font du bien. Christine Gonzalez, Originaire de Fribourg, animatrice de «Question Q», talk-show hebdomadaire de la RTS autour des sexualités.

Elles vivent à Lausanne. Christine (à dr.) a grandi à Fribourg, Aurélie à Rossemaison, près de Delémont. Aurélie va bientôt quitter l’émission «Nouvo» de la RTS pour rejoindre la rubrique société... où œuvre déjà Christine. Qui sait, peut-être un jour naîtra une émission commune? 

Anoush Abrar

D’habitude, ce sont elles qui posent des questions. Elles sont journalistes à la RTS. L’une à la radio interroge tous les vendredis le sexe et la mort, Eros et Thanatos, pour le plus grand plaisir du Dr Freud avec «Question Q» sur La Première, et dans l’épatante émission «Par Jupiter» sur France Inter, où elle fait sortir de leur tombe et surtout des archives les voix de défunts ravis de cette deuxième vie. Avec l’autre, il y a l’image en plus dans sa capsule «Tout Bo» dédiée aux bonnes nouvelles et visible sur Nouvo, petit condensé télévisuel d’humour intelligent. On (sou)rit et on réfléchit en même temps en suivant du regard ce rouge à lèvres pétant comme un coquelicot sauvage.

Bon, mais on n’est pas là pour parler boutique mais de leur amour. Au grand jour, pour la rime, et surtout dans L’illustré. Les deux femmes sont en couple depuis sept ans et demi. Pas encore un vieux couple, mais 7 étant un chiffre initiatique, ça passe ou ça casse, dit-on.

>> Lire aussi notre éditorial: Se tendre la main

«Ben, ça passe!» lancent-elles avant de commander une pizza Margherita aux oignons, le plat préféré de Christine, qu’elles partagent à la terrasse de ce resto lausannois du bord du lac. Quasi désert. Tchaï, leur chienne, est couchée sans une oreille qui bouge. «Christine est sa mère biologique, mais je l’ai adoptée, je suis même sa mère officielle dans certains registres de vétos.» Elle pouffe, Aurélie. Il y a des allers-retours de regards étincelles entre ces deux qu’on pourrait presque intercepter avec la main. Il a suffi d’une phrase d’Aurélie pour convaincre Christine de faire leur coming out médiatique. «Ado, je me souviens d’avoir lu L’illustré, cela m’aurait beaucoup allumée d’y lire un portrait de couple de femmes comme le nôtre, c’était une époque où je me posais des questions, ça m’aurait aidée, ouverte vers des possibles!»

Aurelie Cuttat et son amoureuse Christine Gonzalez

L’une a bientôt 42 ans, l’autre 34. Elles se sont rencontrées grâce à un ami commun. Si elles ont accepté de poser en couple dans «L’illustré», avec Tchaï, leur chienne, c’est pour faire avancer la cause LGBT. Et faire reculer ce qu’elles appellent l’invisibilité lesbienne.

Anoush Abrar

S’il y a moins de dramaturgie chez les jeunes autour du coming out, «pas besoin de grandes annonces, tu emmènes ton mec ou ta meuf chez tes parents», reconnaît la journaliste, être femme et homosexuelle, c’est toujours «la double peine». «On sait qu’on ne peut pas se trimballer dans tous les coins du monde parce qu’on est femme et parce qu’on est lesbienne. Il y a des actes LGBTphobes quotidiens dans la rue, une insécurité à bien des niveaux; Aurélie et moi, on ne se prend pas la main en public en toute insouciance, en tout amour fou et léger.» «Si on s’embrasse sur un quai de gare, c’est carrément un acte militant!» renchérit Aurélie. «On le fait peu, on sait qu’on prend un risque.» Une prudence plus qu’une censure, précise sa compagne.

Des violences physiques à leur égard? Heureusement, non. Mais des insultes, oui, comme ce «sale gouine» à la gare de Lausanne. Il y a aussi ce gars au pied de leur immeuble, qui les a dévisagées bizarrement il y a quelques jours. Elles lui ont dit bonjour joyeusement sans rien laisser paraître. Et admettent finalement «faire tous les jours un mini-coming out!» Chez l’opticien, quand la vendeuse se rend compte qu’elles ne sont pas de simples copines et change d’attitude. Et il y a les pays, parlons aussi des pays où ces grandes voyageuses ne peuvent tout simplement pas s’aimer à ciel ouvert car l’homosexualité y est interdite. «On avait réservé une chambre avec un grand lit en Birmanie, se souvient Aurélie, on nous a changées de chambre pour être sûr qu’on dorme séparées. On s’est quand même embrassées dans l’ascenseur en dessous de la caméra! On a pris un risque!»

C’est un fait, par leur statut, elles s’estiment du côté des chanceuses. Evoquent cette «invisibilité» des lesbiennes, même dans le milieu LGBT où elles restent sous-représentées. «Un quart des lesbiennes n’ont pas de gynécologue», précise Aurélie, qui a évoqué ce problème dans une de ses vidéos, tandis que Christine a fait de la santé sexuelle de cette communauté un thème de son émission. «Notre gynéco a demandé d’entrée de jeu si nous avions un ou une partenaire et ça change tout!» Les deux amoureuses de regretter la vision souvent étroite des praticiens qui n’imaginent toujours pas une autre réalité biologique en dehors de la contraception et de la maternité. Il y a aussi ce voisin dans leur immeuble qui parle systématiquement de «votre collègue» quand il s’adresse à l’une ou à l’autre. Certes, elles bossent dans la même boîte, cher monsieur, mais elles couchent aussi ensemble. Dans le même lit, même si elles ont chacune leur chambre respective et choisissent en fonction de l’humeur dans laquelle passer la nuit. Puisqu’on aborde ce chapitre de la literie, écoutons-les évoquer des clichés qui entourent la sexualité lesbienne.

«Oh, mais il y a plein de tabous la concernant, commence Aurélie, on pourrait se dire: tiens, deux femmes ensemble, c’est la douceur, la tendresse…» «On croit toujours que deux nanas qui font l’amour jouent à la coiffeuse, que c’est doux, tendre, mais on ne fait pas la dînette!» ajoute une Christine goguenarde. A les entendre, la question du consentement se pose tout autant chez les filles que chez les garçons. «Il y a des abus, des conflits, des tares identiques à celles des hétéros. Il peut y avoir aussi de la violence très dure entre deux femmes.»

Au terme «lesbienne», elles préfèrent finalement celui de «queer». Christine: «Je le trouve beaucoup plus confortable car il inclut nos genres, nos orientations.» Aurélie: «A 34 ans, je n’ai pas fini de me définir. Actuellement, je me sens queer avec certains traits non binaires, je sais que je ne suis pas tout à fait dans le genre féminin. J’aime jouer avec un entre-deux de temps en temps!»

Aurelie Cuttat et son amoureuse Christine Gonzalez

Les deux journalistes aiment «challenger» leurs idées. «On a une folie commune, mais pas la même, dit Aurélie. Christine m’a appris à être moins théâtrale.» «On ne fait rien sans que l’autre donne son avis», ajoute cette dernière. 

Anoush Abrar

Le référendum sur le mariage pour tous? Elles s’y attendaient. S’inquiètent qu’une campagne douloureuse fige encore plus les fissures sociétales. Qu’une alter ego de Frigide Barjot, passionaria française anti-LGBT, ne vienne en terre helvétique réactiver des douleurs. «Nous, on a le cuir épais, mais on s’inquiète pour les jeunes, ils sont à un âge où s’ouvre le champ des possibles et recevoir de la violence à ce moment-là…» Elles ne sont pas pacsées, ne songent pas au mariage, mais veulent que cette possibilité existe et avoir le droit de dire non. La maternité? «Ce n’est pas à l’ordre du jour!»

Mois des fiertés LGBT+

Elles alertent sur le tabou de la santé des lesbiennes

loading...
Bénédicte Lusseau, infirmière, n'a plus d'utérus. Comme beaucoup de lesbiennes, elle n'a pas eu un suivi gynécologique régulier. Aujourd'hui, avec sa collègue Naomi Portella, elle se bat pour que la santé des minorités ne soit plus taboue. Cette dernière va ouvrir une consultation spéciale pour les femmes ayant des relations avec des femmes, une première en Suisse romande.  

Elles sont rapides en réparties, marrantes quand elles se font des politesses du genre «je ne voudrais pas parler pour nous mais…». Aurélie demande si on peut évoquer leur gestion séparée de la lessive. «Inintéressant», tacle Christine. «Mais tu ne te rends pas compte du nombre de couples hétéros qui s’engueulent sur la lessive», lance une Aurélie en grande forme. Qui s’amuse à taquiner sa femme sur leur différence d’âge (sept ans) et les quelques petits «gaps» dans leurs références culturelles. «Tu es un peu vintage Christine pour moi!» Rires.

Christine a fait son coming out à 28 ans après une relation de dix ans «avec un homme épatant», tient-elle à préciser. «Je savais depuis l’âge de 2 ans que j’étais lesbienne, mais je n’étais pas encore mûre pour suivre ce chemin.» Aurélie, aussi en couple hétéro par le passé, a averti sa famille par e-mail à 21 ans, après des études de théâtre au Québec, qu’elle rentrait «avec une fille». «On a eu de la chance d’avoir des familles très ouvertes», assurent-elles. Leurs parents respectifs se likent sur Facebook, c’est dire. Un petit regret pour la Fribourgeoise aux origines paternelles espagnoles: avoir décidé de ne plus aller en Andalousie pour ne pas avoir à cacher son homosexualité à sa famille, surtout à sa grand-mère qui faisait les meilleurs bocadillos du monde pendant les vacances. «C’est Aurélie qui m’a dit un jour, je viens avec toi! Elle m’a beaucoup aidée. Et mémé n’en avait rien à foutre de mon orientation sexuelle, ça s’est très bien passé! Elle est morte deux semaines après notre visite. Je me suis dit que j’avais perdu dix ans.»

On évoque les séries Netflix qui commencent à intégrer des personnages LGBT. Christine apprécie de voir que des adolescentes se roulent des pelles dans celles qu’elle regarde avec son neveu de 14 ans. «Les scénaristes ont un immense rôle à jouer en termes de représentation. Je me souviens quand je regardais The L Word, c’était révolutionnaire il y a vingt ans, deux femmes qui font l’amour sur la RTS.» Du côté des réseaux sociaux, elles citent @lesbien.raisonnable sur Instagram. Allez voir le JT du Gouinistan qui traite de thématiques d’actualité.

Etonnamment, parmi les modèles de femmes qui les ont inspirées, entre autres l’actrice Adèle Haenel, Greta Gratos, figure du milieu LGBT romand, Rosa Bonheur, tenancière à Paris d’une boîte de nuit gay, Alice Coffin, Caroline Dayer, qui veut faire diminuer l’homophobie dans les écoles, c’est Aurélie qui nous surprend en citant Ella Maillart. «Elle m’a inspirée pendant toute mon enfance, tous mes pseudos étaient composés avec Ela44. Elle avait quelque chose de libre et de queer, notamment avec la création du hockey club sur gazon pour femmes à Champel. J’ai offert un livre sur la vie d’Ella Maillart à ma filleule de 7 ans. Franchement, quelle gamine peut citer aujourd’hui trois aventurières, il n’y a que des mecs! A sa mort, après celles de Mère Teresa, Lady Di et Barbara, je perdais un sacré package!»

Elles ont un projet de voyage. Aller sur les traces de la grand-mère maternelle de Christine qui vivait en Argentine. Se sont fait vacciner pour pouvoir voler plus librement. Et seront vraiment heureuses le jour où elles pourront dormir dans le lit matrimonial d’un hôtel birman sans craindre la prison.

Par Patrick Baumann publié le 16 juin 2021 - 08:26