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Pascal Couchepin: «J’ai mal pour Alain Berset»

Ancien ministre de la Santé et de l’Economie, le Valaisan Pascal Couchepin est bien placé pour juger l’action de ses successeurs et la situation exceptionnelle que nous vivons. Mais au-delà de la crise du covid, le citoyen de Martigny est vite rattrapé par «l’animal politique». Coup de cœur et coup de sang.

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Julie de Tribolet

- Tout d’abord, comment allez-vous?
- Pascal Couchepin: Comme un homme de 78 ans. Au-delà de 75 ans, peu de gens ne souffrent pas de l’une ou l’autre pathologie. Mais rien de grave, Dieu merci. Comme disait le docteur Knock, il n’y a rien de plus risqué que la bonne santé puisqu’on ne peut aller que plus mal (rire).

- On imagine que vous prenez toutes les précautions d’usage?
- Naturellement. Je me sens en forme, je n’ai donc pas envie de mourir demain parce que, bêtement, je suis allé à une assemblée du parti ou à une réunion culturelle sans prendre de précautions. Cela étant, je ne suis pas un acharné du tout sécuritaire. Il m’arrive même parfois de m’oublier.

- C’est-à-dire?
- Le premier matin où le masque était obligatoire dans les lieux clos, j’ai pris un café dans l’établissement proche de chez moi sans penser au masque. Le seul autre client du bistrot a crié «Masque!» quand il m’a vu. Ce n’est plus arrivé depuis. On attend de moi que je montre l’exemple, c’est normal.

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«La société civile doit faire preuve de résilience» Julie de Tribolet

- Et en famille? Vous avez sans doute fêté la réélection de votre fille Anne-Laure à la tête de la ville?
- Nous nous sommes réunis il y a une quinzaine de jours. Enrhumé, notre fils a préféré s’abstenir. Mais la vie continue. La semaine dernière, j’ai donné une conférence à Fribourg, cette semaine, je me rendrai à Soleure. Je ne suis pas malheureux.

- Les mesures sont de nouveau draconiennes pourtant…
- Je les trouve proportionnées à cette deuxième vague qui déferle. Le nombre de cas explose et les hospitalisations repartent en flèche. Pour tenter d’inverser cette courbe, les autorités suspendent provisoirement les activités non essentielles. Tout cela me paraît plutôt cohérent.

- A l’heure où nous parlons (jeudi 2 octobre), il y a six personnes âgées en soins intensifs à l’Hôpital du Valais, dont deux intubées. Est-ce suffisant pour justifier cette suspension?
- Absolument. Ce n’est pas pour ces six personnes que ces décisions ont été prises mais pour éviter qu’il y en ait 50 ou 100 dans quinze jours. On ne sait pas comment le virus se comporte. Et quand on ne sait pas, on choisit la sécurité. C’est ce que nous sommes en train de faire. On tâtonne. Mais on tâtonne intelligemment grâce aux enseignements acquis ce printemps. D’ailleurs, s’il y a peu de gens intubés, c’est bien parce que nous avons tiré les leçons de ce qui s’est passé.

- Ou peut-être parce que le virus est moins virulent. Dans l’EMS d’Elgg (ZH), 56 résidents ont été infectés depuis le mois d’août, sans qu’aucun décède ou soit hospitalisé…
- Tout ça parce qu’on a appris. Et parce que le home a été mis sous cloche sans doute.

- On a appris oui et non puisque aucune mesure n’a été prise pour anticiper une deuxième vague pourtant annoncée et ainsi éviter une nouvelle interdiction des visites.
- Les EMS sont des cas particuliers et douloureux. Des mesures de protection ont été prises mais, visiblement, cela n’a pas suffi. Comment pouvait-on faire autrement?

- Beaucoup de spécialistes estiment que le remède est pire que le mal. Des gens vont mourir seuls et pas plus de dix personnes peuvent participer aux enterrements…
- Cette situation est terrible et me choque profondément aussi. Pour rien au monde je n’aimerais mourir seul dans ces conditions. Mais à circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles, et je me refuse à les condamner. Seul l’avenir dira si cette prudence imposée était légitime ou démesurée.

La vie de l’humanité n’est pas un long fleuve tranquille

- Il y a également la société civile et l’économie qui souffrent de restrictions que beaucoup jugent exagérées…
- Tant qu’on ne parle pas de confinement total, je ne les trouve pas exagérées. C’est justement pour éviter que l’économie ne soit encore plus durement touchée que ces mesures s’imposent. Pour les cantons touristiques, c’est la saison d’hiver qui est en jeu. Si on n’inverse pas la courbe des contaminations, les gens ne viendront pas. Quant à la société civile, elle doit faire preuve de résilience.

- La question peut paraître brutale, mais jusqu’où peut-on tuer la vie pour éviter la mort?
- C’est une grande question. Mais encore faut-il s’entendre sur ce que signifie «tuer la vie». Jusqu’ici, nous n’avons pas parlé de confinement éternel mais d’un semi-confinement de quelques semaines. Tout est affaire de proportion. Voyez-vous, la vie de l’humanité n’est pas un long fleuve tranquille. Il y a eu des épisodes bien plus tragiques que celui-là. Des calamités, des guerres, où les gens n’avaient pas «papa et maman Etat» à côté d’eux pour les protéger.

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«Je suis assez fier de mon pays. Je n’ai qu’une seule inquiétude: l’école, si on devait se résoudre à une seconde fermeture» Julie de Tribolet

- Nous ne sommes pas en guerre que l’on sache…
- Non. Mais il y a parfois des événements et des risques équivalents, dont il s’agit de prendre la mesure pour éviter une catastrophe. Et celui-ci en est un.

- On aurait aussi pu suivre le modèle suédois, qui vise l’immunité collective…
- Ce modèle me plairait davantage, c’est sûr. Mais est-il vraiment efficace? A ce jour, le nombre de décès est nettement plus élevé qu’en Suisse. Et les caractéristiques des deux pays ne sont pas comparables. La densité des populations, la discipline de ces dernières, le climat, tout est différent. La Suède n’a pas non plus la même vocation touristique. Nous ferons le bilan à la fin de la pandémie, cette question me passionne.

- En clair, vous estimez que la Suisse a plutôt bien géré la situation?
- Le Conseil fédéral a bien géré. Il a certainement fait des erreurs, mais, à sa décharge, il était confronté à une menace qu’il ne connaissait pas et que, je vous le rappelle, beaucoup ne prenaient pas au sérieux. Au début, on disait: «C’est en Chine, ça ne viendra pas ici.» Puis l’épidémie a touché l’Italie et on a même cru à une farce en voyant les carabiniers patrouiller dans les rues des cités confinées. Il a fallu du temps pour que l’opinion prenne conscience de la gravité de la situation. Et aujourd’hui, l’Italie est en meilleure position que nous.

- Les dégâts sociaux et économiques sont sans doute devant nous, néanmoins…
- Mais pas au point de sombrer dans un pessimisme exagéré. Même si la reprise semble moins vigoureuse qu’annoncé, la perte de prospérité ne sera pas aussi lourde qu’on pouvait le craindre. Le chômage est contenu et, grâce aux RHT et aux prêts aux entreprises, une grande majorité de ces dernières se maintiennent à flot. A vrai dire, je suis assez fier de mon pays. Je n’ai qu’une seule inquiétude: l’école. Si l’on devait se résoudre à une seconde fermeture, j’ai peur que toute une génération soit pénalisée par un manque de formation.

- En tant qu’ancien ministre de la Santé, y a-t-il des choses que vous auriez fait différemment d’Alain Berset?
- J’aurais évité d’être à ce point sur le devant de la scène peut-être. A part ça, c’est difficile à dire. Dans une telle situation, on ne peut pas faire de miracle. J’ai mal pour lui, toutefois. Il avait tiré un prestige extraordinaire de la première vague, mais maintenant, avec la deuxième qui est là et peut-être même une troisième si aucun vaccin n’arrive, il aura du mal à rester dans l’histoire comme le capitaine qui a sauvé le bateau. Pour autant, c’est parfois glorieux d’amener le bateau à bon port même si on n’a pas pu sauver tout le monde.

Malgré toutes les précautions qu’on peut prendre, la vie, c’est 100% de mortalité

- Oublions un instant le covid, si vous êtes d’accord. La politique vous passionne toujours autant?
- On ne se refait pas. Même simple citoyen, je suis toujours animé par la passion de la chose publique. En ce moment, je suis très remonté par les deux initiatives délirantes qui nous seront proposées le 29 novembre. Petite touche par petite touche, on va finir par détruire les avantages qui nous permettent de contenir le chômage à 3% même en période de covid.

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L’ancien président de la Confédération nous a accueillis chez lui. Marcheur invétéré, il aime s’aérer dans le grand jardin de sa propriété. Julie de Tribolet

- Celle concernant les multinationales responsables est portée par Dick Marty, votre collègue du PLR…
- Le Parti radical n’a jamais pondu de doctrine sur l’exploitation des mines au Congo. Mais il y aura toujours des gens qui s’engagent pour des causes idéalistes sans en mesurer les conséquences, notamment économiques. Avez-vous seulement lu le texte de l’initiative? Il est confus, ambigu et s’appuie sur de vagues normes qu’on ne sait pas où trouver. Pour parler crûment, c’est du cheni. Un sac de nœuds. Et surtout inapplicable. Exemple: on promeut, à coups d’argent public, les voitures électriques. Mais comment produire en Bolivie du lithium pour les batteries sans commettre d’atteinte à l’environnement, au sens large? Donc, d’un côté, la Suisse et tous les bien-pensants de gauche et leurs associés voudraient condamner une industrie que nous subventionnons tous. De plus, les initiants font une distinction entre multinationales et PME. En clair, qu’on soit riche ou puissant, on est coupable ou pas. Au nom de quoi?

>> Lire l'interview de Dick Marty sur la votation du 29 novembre

- Dick Marty, juriste comme vous, affirme que dans les pays concernés, la justice ne marche pas…
- Alors il faut leur redonner le statut de colonie et on décide le droit à leur place (sourire). Non, arrêtons le délire avant que les entreprises ne commencent à quitter notre pays. Je suis le premier à vouloir améliorer les choses et promouvoir la justice. Mais avec raison.

- C’est bizarre, tout de même, ces positions aussi radicalement opposées, excusez le jeu de mots, au sein du même groupe…
- J’ai énormément de respect pour Dick Marty. Mais là, il est excessif et cela se voit. Sa virulence à l’égard de Karine Keller-Sutter me choque. Il y a en lui du Robespierre, qui coupait les têtes pour être sûr que les vertus de la République seraient appliquées. Comme si le monde était tourné vers la vertueuse Helvétie. Que croient-ils, ces gens? Et je ne parle pas de l’initiative contre le financement des producteurs de matériel de guerre, qui provient d’un groupe dont le but est de détruire notre armée. Derrière ces deux objets, il y a des machines de guerre idéologiques, mais pas pour aider les Suisses et les Suissesses.

- Revenons au covid pour terminer. Lors de l’hiver 1968-1969, la grippe saisonnière s’est révélée particulièrement meurtrière: 100 000 morts en France, par exemple. Sans que cette tragédie fasse les gros titres des journaux…
- Qu’aurait-on pu faire pour éviter ça il y a un demi-siècle? C’était une autre époque.

- Une époque où l’on acceptait que les gens meurent…
- Mon cardiologue, d’origine française, me dit toujours: «J’adore le Valais parce qu’il y a encore des gens de bon sens qui, quand on leur demande de quoi une personne de 90 ans est décédée, répondent: «De vieillesse pardi!» Dans ce monde qui court après le risque zéro, cette anecdote rappelle que, malgré toutes les précautions qu’on peut prendre, la vie, c’est 100% de mortalité. Le problème, c’est qu’on ne meurt qu’une fois (rire).


Par Rappaz Christian publié le 30 octobre 2020 - 08:24, modifié 18 janvier 2021 - 21:15